mardi 2 avril 2013

Françoise Lison-Leroy vue par Michel Voiturier

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Voici ce qu'écrit Michel Voiturier au sujet de Françoise Lison-Leroy (www.lison-leroy.be) dans son livre "Sur les traces des écrivains en Hainaut occidental" (Editions La Renaissance du Livre, 2001) :

"A sa façon, Françoise Lison-Leroy (1951) s'est nourrie de racines régionales semblables à celles de Paul André, sauf qu'elles se situent davantage dans le Pays des Collines, à Wodecq, du côté d'Ellezelles et de Flobecq. Pas plus que son voisin de Blandain, elle ne se cantonne à l'étroitesse d'un terroir considéré comme horizon unique.

Son écriture, intimement reliée à l'enfance et à ses rêves assassinés par la crudité du réel mais également à la sensualité amoureuse, fait recours fréquent à l'ellipse. Elle associe souvent le concret et l'abstrait. Elle use volontiers du substantif épithète. Rarement un poème tente de tout dire ; au contraire, c'est dans le suspens d'une phrase, dans l'allusif plus que le descriptif que se crée l'atmosphère d'un langage qui, tout en ayant le sens de la formule, se prête mal à une interprétation définitive. Chez elle, dirait-on, les mots font des ricochets sur la phrase et les ronds qu'ils laissent atteignent le lecteur là où sa sensibilité est la plus réceptive. Cette comparaison s'impose car mer, fleuve, ruisseau sont récurrents en tant qu'évocateurs d'espaces, sources de vie et symboles à la fois de durée et de mouvance. Ces composantes, dès le premier recueil, "La mie de terre est bonne", s'affirment.

La transparence en poésie est d'abord illusion : le cristal ne lutte pas contre la lumière. Néanmoins, à le regarder de près, il donne à voir l'insolite de ses réfractions, l'irisé de ses métamorphoses, les parcelles de sa matière. Les premiers textes de Lison sont "chanson musette au timbre de poème" qui désire "trouver passants à niveau d'être" afin de mieux nous réapprendre qu'  "il y a des jardins à planter dans chaque zone de présence".

"L'Apprivoise" poursuit la quête de lucidité face au monde, parie sur la réalité charnelle et spirituelle de l'amour, sur l'amitié susceptible d'apprivoiser les humains. L'ensemble établit une étroite correspondance avec tout ce que l'environnement local donne en nourriture aux sens, à la souvenance enfouie au creux de la mémoire, à l'appartenance au présent.

En dépit des apparences, Françoise Lison-Leroy n'a rien d'une nostalgique. Le passé n'est pas là pour être regretté. Il appartient à l'individu qu'il a permis de construire, qui en dépasse les étapes afin de plus sereinement affronter un avenir qu'il se doit de bâtir. La parution de "Elle, d'urgence" est significative à cet égard. De la sorte aboutissent à se confondre, à se fusionner êtres et territoire.

Ce qui apparaît au long de ce livre, c'est que le vital sourd à travers le langage utilisé par quelqu'un qui, depuis toujours, "avait su la salive des mots. Tout lentement comme on sait un chocolat". Ceux-ci dévoilent jusqu'à l'occulté. Failles, brisures, morsures sont révélées. Les tabous sont traqués, au point qu'un poème a l'audace de prendre pour sujet la menstruation. L'orgueil humain est assumé en tant que témoignage d'avidité ou d'aptitude à exister. La mort, elle, n'est pas omise, qui justifie l'urgence, l'enfantement, la création.

Cette conception de l'existence se cristallise davantage avec "Pays géomètre", prix Max-Pol Fouchet. Le moi et le toi façonnent le nous. Et c'est une trinité en communion avec le décor, un décor aux présences d'acteur, tout autant témoin que participant à l'évolution de la personne, du couple.

Le travail littéraire de Françoise Lison-Leroy se poursuit sans faille, en totale cohérence puisque le nouveau titre parle de "Terre en douce". La tendresse s'y décline au présent. La majorité des phrases produisent de la dentelle avec un point de faufilage dans la mesure où elle se contente de la simplicité d'aligner sujet-verbe-complément en dépassant rarement huit mots. La musique est dominée par la sonorité lumineuse du i.

L'examen du lexique montre à satiété que l'idée de cheminement, de mouvement, d'errance s'impose. Route et navigation en sont les annexes. L'ici mène à l'ailleurs ; le maintenant emporte vers l'avenir. Les étapes de la vie servent à percevoir l'urgence de migrer, en affrontant l'existence afin d'en tirer "leçon de glaise".

Intégrée à la réalité sociale, Françoise Lison-Leroy a voulu mettre sa poésie au service des grands enfants. Elle a rassemblé dans "Dites trente-deux" des thèmes liés à l'actualité, des thèmes porteurs de conscience citoyenne. La misère interpelle quand "les journaux affichent / gris et blanc / l'alphabet de la faim". Les catastrophes réclament compassion, comme en Arménie où "un enfant dort sous huit mètres de remblai, du sable contre les dents. Une mère lui tient la hanche". La guerre embrigade de force, au Cambodge par exemple. En dehors de ces drames, le journalier tient son rang : courses au supermarché, invasion de la publicité, émoi des premiers rendez-vous, désobéissances irrépressibles complètent un tableau perspicace de la société.

Toujours à destination des préadolescents, "Marie-Gasparine" abandonne le langage clarifié au profit d'une densité poétique. Il évoque une des sorcières familières au pays des collines. Celle qu'on craint, qui conserve les secrets, incarne les frayeurs, débarque dans les rêves, donne voix aux brises.

Resterait à envisager sous l'angle de l'amitié qui lie Françoise Lison-Leroy à Colette Nys-Mazure, les recueils à deux voix qu'elles ont cosignés :  "On les dirait complices", "La Nuit résolue", "Lettres d'appel", "L'Eau des fêtes" (où figure aussi François Emmanuel), etc. La forme y étant à l'envi consanguine, il est délicat de distinguer la part de l'une et celle de l'autre. Au lecteur attentif de repérer ce que l'osmose n'a pas rendu trop commun. Chose certaine, l'horizon familier, même non nommé, constitue la nourriture des moindrres lignes de ses notations poétiques.

C'est encore dans un recueil à quatre mains avec Colette Nys-Mazure, "Champs mêlés", que se trouvent des poèmes sur des tableaux exposés au musée des Beaux-Arts de Tournai. Son intégration dans sa ville d'adoption, elle la marque de plus en plus fréquemment. Par exemple à travers des chansons, mises en musique et chantées par son autre complice qu'est Myriam Mélotte, comme celle-ci, dédiée à Charles Prayez après une visite à son atelier de peintre".

Extrait de "Sur les traces des écrivains en Hainaut occidental" de Michel Voiturier (éditions La Renaissance du Livre, 2001).

Voici l'article que j'avais écrit l'an dernier sur son roman "Flore et Florence", co-écrit avec Colette Nys-Mazure :   http://ecrivainsbelges.blogspot.be/2012/04/flore-et-florence-colette-nys-mazure-et.html

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