Voici ce qu'a confié l'écrivain belge Alain Berenboom à la revue "Le Carnet et les Instants" qui l'interrogeait sur ses relations avec les maisons d'édition.
Editions du Cri et Ramsay : "Quand je termine "La position du missionnaire roux", je l'adresse d'abord à un éditeur français qui, horrifié, me le refuse trouvant qu'il est d'un racisme épouvantable. C'était mal parti et j'avais du mal à imaginer que les gens puissent prendre au premier degré ce que j'avais écrit. C'était sans doute une attitude très française. Dans la foulée, j'en parle à une amie qui travaille comme libraire chez Tropismes, Manuela Federico, qui me propose de faire lire le manuscrit à Christian Lutz, des éditions du Cri. Celui-ci m'a rapidement téléphoné en proposant de le publier. Mon aventure a ainsi commencé par un malentendu étonnant, dû sans doute au côté pied-de-nez impertinent et moqueur de ma démarche, relativement absent à l'époque dans la littérature française. Celle-ci a malheureusement toujours été très étiquetée. Si on a l'étiquette "littérature", on doit écrire de la littérature ; si on a l'étiquette "polar", on doit publier du polar, etc. Il n'est pas question de passer de l'un à l'autre. La littérature humoristique, quant à elle, n'existait pas. En Belgique, on est plus ouvert au transgenre, à la possibilité de passer d'un genre à l'autre, de jouer sur la dérision qui est notre fond de commerce. Sorti en décembre 1989, le roman a très bien marché et il a intéressé, ce qui est le comble, une éditrice française, Régine Deforges des éditions Ramsay. En 1990, le roman reçoit aussi une très bonne presse en France, dont un article dans "L'Express" qui saluait la présence d'un roman ironique et humoristique dans la rentrée française, en précisant immédiatement qu'il était l'oeuvre d'un Belge, bien évidemment!
Pour mon roman "La table de riz", Le Cri et Ramsay ont pris un accord entre eux, étant entendu que le livre sortait sous couverture Le Cri en Belgique et sous couverture Ramsay en France, avec une illustration différente. Pour l'édition belge, j'avais suggéré à Christian Lutz une photo tirée d'un vieux film chinois des années 30, en lien avec une partie de l'histoire. Ramsay la trouvait désuète, pas assez accrocheuse et ils ont réalisé une couverture qu'ils estimaient plus moderne, en couleurs. Ramsay ayant ensuite déposé son bilan, je me suis retrouvé sans éditeur en France, mais j'avais gardé un très bon contact avec Christian Lutz. Comme il avait pris le risque de publier mon premier roman et assuré sa sortie, j'ai continué à lui faire confiance. Je lui ai naturellement apporté mon manuscrit suivant, "Le pique-nique des Hollandaises". Il y avait une cohérence à poursuivre la collaboration avec Christian, même si manquait le pan français via la coédition".
Editions Verticales : "J'avais été très content du travail de Christian Lutz et des contacts noués avec Ramsay. Mais comme tous les éditeurs belges, Christian Lutz était confronté à des problèmes d'existence en France, de diffusion et de distribution, mais aussi de promotion auprès des critiques ou des libraires français pour lesquels les auteurs belges restent une curiosité exotique, mis à part quelques exceptions qui sont vite francisés comme François Weyergans ou Dominique Rolin. Nos auteurs ont beaucoup de mal à exister avec leur univers personnel sur le territoire français. Et comme les éditeurs belges n'ont pas l'importance économique de certaines maisons françaises, nous souffrons d'un double handicap. J'ai eu envie d'essayer une maison d'édition française pour voir ce que cela allait donner, si je pouvais faire mon trou en France. Verticales a édité mon livre "La Jérusalem captive" en 1997. Il a bien marché et se trouve toujours à son catalogue".
Editions Flammarion : "Une collaboratrice de Flammarion me demande si je serais intéressé d'écrire un livre sur la Belgique. A l'époque, notre pays commençait à intéresser les Français suite aux remous politiques liés à l'ascension irrésistible du Vlaams Blok. La question de l'éclatement de la Belgique était déjà dans l'air. Je me suis mis à travailler à ce livre, et, très vite, me suis rendu compte que si j'aime écrire des chroniques politiques comme je m'y attèle dans "Le Soir" depuis des années, écrire des essais ne me correspond pas. J'ai donc proposé à l'éditeur de transformer l'essai en fiction, pour raconter l'histoire de l'intérieur et de manière décalée. Malheureusement, l'éditeur n'embraie pas à cette idée d'un roman. Heureusement pour moi, la directrice générale de Flammarion, était à l'époque une femme d'origine belge. Danielle Nees, sortie de Solvay, passée par Hachette puis Flammarion. Elle se montre intéressée par mon projet et me propose d'essayer sans me promettre de publication. C'était la première fois que je revenais à un sujet belge, bien que je le trouvais aussi exotique que l'Afrique ou la Chine car la Flandre était devenue tout aussi exotique".
Editions Pascuito : "Par hasard, je croise un éditeur français qui, depuis 2004, tenait une petite maison d'édition qui marchait assez bien : Bernard Pascuito, un éditeur fou comme moi de littérature et de cinéma américains, surtout des années 50 et 60. Nous avons vite sympathisé à partir de nos goûts communs. Je lui parle de mon roman de nostalgie sur le cinéma américain des années 50, qui tourne notamment autour de la filmographie de James Stewart. Vingt-quatre heures après que je lui ai passé le manuscrit de "Le goût amer de l'Amérique", il le prenait. Selon un rebondissement devenu une tarte à la crème dans ma vie éditoriale, Bernard Pascuito tombe à son tour en faillite. Je me retrouve à nouveau sans éditeur. Si je suis passé d'éditeur en éditeur, ce n'est pas parce que je suis un capricieux qui n'est jamais content. Au contraire, je suis un homme fidèle qui cherche une relation stable. Avec Bernard Pascuito, j'avais une vraie connivence".
Editions Genèse : "Danielle Nees a pris le risque financier de ressortir deux précédents volumes, inaccessibles depuis la faillite des éditions Pascuito. Pour elle, le projet n'avait de sens que si on le concevait dans un ensemble. Cela m'a donné l'occasion de retoucher mes textes, car je ne suis jamais satisfait de ce que j'écris. Des lecteurs m'avaient apporté des précisions, en relevant des anachronismes par exemple. Jean-Baptiste Baronian, grand écrivain mais aussi lecteur extraordinairement attentif et magnifiquement maniaque, m'a fait une longue liste d'éléments impossibles en 1947. J'ai corrigé scrupuleusement mes erreurs en fonction de ses observations, notamment pour "Périls en ce royaume". L'éditrice est aussi intervenue sur le plan littéraire, par exemple lorsqu'il y avait une chute de rythme. Elle voulait que ce soit un manuscrit dont elle soit fière et pas une simple réédition. D'une certaine façon, on court toujours derrière de grands éditeurs dans de grandes maisons et je me rends compte que le travail que j'ai réalisé avec de petits éditeurs a parfois été plus intéressant littérairement que d'être perdu dans une enseigne prestigieuse où on s'occupe surtout des auteurs à succès. On a affaire à des gens qui soignent chaque livre parce qu'ils ne sont pas obligés financièrement de sortir quarante livres par mois. Ils travaillent véritablement avec l'auteur qu'ils ont choisi de publier, quitte à ce que cela prenne quatre mois de plus. Peu importe pour eux, car ils ne cherchent pas à être en compétition pour le Goncourt et sortir en septembre ou en novembre a peu d'importance pour eux".
Prochain livre d'Alain Berenboom à la rentrée : "Le fils préféré du magicien" (éditions Genèse)
mardi 23 avril 2013
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