mercredi 31 janvier 2018

"Ariane", premier roman de Myriam Leroy

                                «
Toute tentative de transmission du réel est une fiction et une autobiographie.
»

Pour son premier roman, la journaliste belge Myriam nous emmène dans sa province du Brabant wallon pour nous raconter une amitié entre deux filles. Elle a répondu aux questions du groupe Vers l'Avenir :

"Johnny Dep, Beverly Hills, les pin's, les vêtements Donaldson ou les chaussures Buffalo :  votre roman multiplie les références aux années 90. Nostalgique?
- Je propose une esthétique des années 90 et du Brabant wallon, car ils sont considérés comme une non-culture et un non-lieu. Je confronte les deux. "Dropper" les références années 90 était aussi un défi car je n'en croise pas souvent en littérature française. Trop plouc? Trop moche? Peut-être qu'en Hongrie, ils écrivent tous sur 2Unlimited?

- Vous avez choisi l'angle des ados.
- Parce que les ados des années 90 sont les derniers à avoir grandi sans Internet, dans cette autarcie nourrie à MTV. Ils voyaient les mêmes films, écoutaient la même musique. Ils faisaient une communauté à la fois rassembleuse et étriquée.

- Ceux qui ont grandi dans les années 90 n'ont pas encore l'âge d'écrire dessus?
- Leïla Slimani dit que 35 ans (donc mon âge), c'est l'âge du premier roman. On est installé, on fait notre job pas trop mal, on peut tenter quelque chose à côté sans peur de se faire dégommer.

- Deux filles, une amitié empoisonnée : pourquoi cette intrigue assez classique?
- Pour parler des normes sociales et du malaise qu'elles provoquent, je me suis rappelée cette dispute avec ma meilleure amie. C'était difficile car j'ai été répudiée. Il y avait de la matière...

- Fades, démissionnaires, violents, baiseurs compulsifs, incestueux :  les hommes ne sortent pas grandis d' "Ariane"?
- Personne ne sort grandi, les femmes non plus. D'ailleurs, mon personnage est parfaitement antiféministe. Les seconds rôles, spectres flous, sont outils de la jouissance et de la toute-puissance des héroïnes. 

- Il y a ce petit copain que la narratrice "satisfait" chaque jour...
- Lui n'exige pas sa baise quotidienne :  c'est elle qui suit scrupuleusement les conseils de la presse féminine et qui s'y plie.

- Le passage pas si anodin, c'est la visite traumatisante chez la gynécologue.
- Elle est basée sur l'expérience personnelle et des histoires entendues partout. Elle permet de montrer la violence d'une vie de jeune fille, en elle ou infligée. Moi, c'est en lisant Martin Winckler, donc tard, que je me suis rendu compte que ce que je ressentais en consultation n'était pas normal.

- Votre narratrice dit qu'au Brabant wallon, on rêve petit ou bien qu'il ne se passe jamais rien à Nivelles?
- Déjà, je ne connais pas Nivelles!  Je viens de Wavre. Ce n'est évidemment pas ma vision du Brabant wallon, mais celle d'un personnage de 14 ou 15 ans. Bien que je joue sur la confusion. Le BéWé, c'est un microcosme unique au monde :  ses habitants sont protégés des turpitudes du monde extérieur mais avec les leurs propres. Ils partagent une vision, celle d'un non-folklore bien à eux. On fantasme le Brabant wallon comme le top du chic mais à part Lasne, on n'y est pas dans l'indécence. Par contre, on est très fort dans le "que vont dire les voisins?". De cette comparaison, on veut sortir victorieux. Comme la maman de ma narratrice". 

mercredi 24 janvier 2018

Interview de l'écrivain Martin Buysse

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Martin Buysse a répondu aux questions de Michel Torrekens pour la revue "Le Carnet et les Instants" que vous pouvez recevoir gratuitement sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles :

"Souvent, on dit qu'un premier roman est autobiographique. Pouvez-vous le confirmer dans votre cas et pourquoi?
- Mon premier roman, "La logique du sang", ne l'est pas, loin s'en faut. Même parmi les manuscrits qui prennent la poussière dans mes tiroirs, il n'y a pas grand chose d'autobiographique. Il est rare que la vie d'un romancier soit romanesque. Certains ont le talent pour fabriquer un roman puissant à partir de presque rien. Moi, je ne suis pas à l'aise face à cela. Ce qui m'intéresse, c'est de plonger un personnage ordinaire dans des circonstances qui ne le sont pas.

- Le lecteur n'est pas toujours conscient que le temps de l'écriture n'est pas le temps de la publication. Comment avez-vous fait vos armes en littérature?
- Il y a eu des galops d'essai. Pendant des années, j'ai passé mes soirées à écrire dans la quasi clandestinité, avec une bière, une cigarette et une lampe de bureau comme seuls compagnons. Je suis plutôt lent. Il aura fallu quinze ans avant que le premier texte soit édité. Depuis lors, je suis passé au jus de tomate, j'ai lâché la clope et j'écris plutôt dans le train et les cafés, quand j'en ai le temps.

- Votre éditeur a-t-il joué un rôle particulier pour ce premier roman?
- En amont, les corrections d'usage. Plus loin, j'ai été bien servi côté distribution et presse belge. J'ai un éditeur très sympathique et aguerri, mais comme beaucoup, il est seul et débordé.

- Avez-vous rencontré des difficultés à trouver cet éditeur?
- Enormément. Envoyer un manuscrit, même si l'on écrit une adresse sur l'enveloppe, avec un nom, une rue, un code postal, c'est jeter une bouteille à la mer. Le nombre de textes reçus par les éditeurs est tel que même pour un romancier déjà publié, ce n'est pas évident d'être lu. Alors pour les manuscrits pleins de bravoure (souvent bourrés de maladresse) des aspirants, il ne faut pas demander.

- Maintenant que votre premier roman est publié, quels sont étonnements (positifs et négatifs) par rapport à ce qui doit apparaître à vos yeux comme un événement?
- J'ai tellement buté contre le mur de l'édition que lorsque le manuscrit a été accepté, j'ai cru que c'était bon, que je n'avais plus qu'à me laisser faire et que tout le reste allait couler de source. J'ai appris à mes dépens que l'auteur doit accompagner son livre à la sortie, et que s'il veut qu'il vive un peu, il doit se battre, faire sa promotion et même se vendre. Quelquefois, c'est gênant. Par contre, ce qui est magique, c'est la nouvelle dimension, si petite soit-elle, que prend votre vie :  des retours de lecteurs, des expériences inédites, parfois des voyages et surtout des rencontres. J'ai découvert quelques bons confrères qui sont devenus des amis.

- On dit souvent que la difficulté n'est pas d'écrire un premier roman, mais d'écrire le deuxième. Confirmez-vous cette difficulté et à quoi est-elle due selon vous?
- Je ne trouve pas. Bon, c'est vrai que ça va faire quatre ans et qu'il n'y a toujours rien qui sort... Disons que c'est une question de disponibilité, puis à nouveau de processus éditorial. J'en ai un qui est presque prêt. Une fiction qui s'enracine dans l'histoire récente et tragique du Rwanda. Peut-être en 2018?". 

Pour (re)lire mon article sur son roman "La logique du sang" :   http://ecrivainsbelges.blogspot.be/2014/01/premier-roman-de-martin-buysse.html

mercredi 17 janvier 2018

Les livres de Stijn Streuvels à Anvers

Qui est Stijn Streuvels?   C'est un des plus grands écrivains belges néerlandophones du 20ème siècle. Il est né en 1871 et est décédé en 1969. Après son mariage avec Alida en 1905, il construit sa maison à Ingooigem, et va se consacrer à temps plein à son oeuvre littéraire. Il a écrit principalement des romans naturalistes, des nouvelles et des pièces de théâtre, où il décrivait très bien la vie de village.

Depuis 40 ans, Paul Thiers est l'expert de l'oeuvre de Stijn Streuvels, et a rassemblé une collection exceptionnelle de 1.339 livres. Elle surpasse à tous les niveaux ce que l'on peut trouver dans d'autres collections publiques des oeuvres de Streuvels. Elle offre aussi un aperçu d'environ 80 ans d'évolution d'éditions bibliophiles très soignées, du développement du monde de l'édition, et illustre le réseau littéraire de Streuvels, ainsi que ses relations avec les arts visuels.

Afin de la sauvegarder dans sa totalité et la rendre accessible au public, Paul Thiers a accepté de la vendre au Fonds du Patrimoine de la Fondation Roi Baudouin, qui va mettre cette collection en dépôt à la bibliothèque Hendrik Conscience à Anvers. Cette bibliothèque est la référence pour tout chercheur ou étudiant s'intéressant à la littérature néerlandaise.

Par ailleurs, en parlant de la littérature néerlandophone, signalons que le Fonds Flamand pour les Lettres (www.auteurslezingen.be) permet aux enseignants (y compris d'écoles francophones) de faire venir un auteur, illustrateur, traducteur ou dessinateur flamand dans votre classe gratuitement. Le Fonds contribue au défraiement de l'auteur et paie le montant total de la conférence à l'organisateur.

mercredi 10 janvier 2018

"Les passagers du siècle" (Viktor Lazlo)

                                           Les passagers du siècle

La chanteuse Viktor Lazlo sort son quatrième roman, "Les passagers du siècle", publié par les éditions Grasset. C'est une fresque familiale sur cinq générations de 1860 à nos jours, dans laquelle l'esclavage et la Shoah sont présents.

Viktor Lazlo a répondu aux questions des journaux du groupe Sud Presse :

"Où avez-vous trouvé l'inspiration pour ce nouveau roman?
- C'est quand même un peu de mon histoire. Je porte dans mon ADN l'histoire de l'esclavage : mon arrière-grand-mère était esclave. Et la mémoire de la Shoah, elle m'a été apportée par la littérature. J'étais très jeune quand ma maman m'a fait lire mes premiers livres qui en parlaient. J'avais dix ans et j'ai commencé à faire des cauchemars où j'étais poursuivie par les nazis. Puis, à l'Université Libre de Bruxelles, j'ai eu beaucoup d'amis juifs polonais. Plus que de "mémoire rapportée", je crois qu'on peut parler de "mémoire fantasmée". Et puis, à l'époque, je me souviens très tôt avoir entendu "ils ne voudront jamais de toi", et je me demandais pourquoi, dans l'esprit général, les communautés étaient imperméables les unes aux autres. Et déjà, ça me révoltait !

- Votre famille a-t-elle abordé ces sujets avec vous?
- L'histoire de ma famille ne m'a pas été rapportée très jeune, car les survivants de la Shoah n'ont très souvent rien raconté. La transmission de l'esclavage ne s'est pas faite non plus. Dans ma famille, surtout mon père, on ne peut pas voir un bouquin ou un film qui parle de ça. Et ma mère a une vision complètement déformée du viol par le patron :  dans le monde colonial, pour elle, il y a une justification au droit de cuissage... Du côté de ma mère, ma grand-mère s'est fait abuser par un colonial anglais blanc. Et à l'époque, tout le monde trouvait ça normal.

- Ces sujets couvaient donc en vous?
- Oui, et ce qui a été le dernier déclencheur, c'est un incident au métro Saint-Paul à Paris où je croise un jeune homme noir qui vend des poèmes et me dit :  "Je viens de me faire agresser par une dame âgée qui m'a dit : on devrait vous brûler, vous et les juifs". Je me suis dit qu'il y avait plus d'une similitude dans ces tragédies, et j'ai trouvé intéressant de les mettre ensemble dans une histoire, à considérer que ces deux tragédies se valent, et qu'il n'y en a pas une plus cruelle que l'autre dans le sadisme des tortionnaires, et que donc, il faut couper court à toute tentative de "concurrence mémoriale".

- Vous vous exprimez mieux dans la littérature que dans la chanson?
- Dans l'écriture romanesque, pour moi, il y a une façon de continuer à m'instruire, de continuer à travailler et à travailler sur moi. De me construire tout simplement. La chanson, c'est un exercice spontané mais aussi beaucoup plus technique. Donner une idée forte en quelques minutes, c'est une prouesse technique. Même si j'aborde des sujets qui me tiennent à cœur, je dois m'adapter à la musique.

- Vous avez autant besoin de l'un que de l'autre?
- J'ai besoin de la scène :  ce sont les concerts et le public qui me nourrissent. Ils me donnent des forces pour l'écriture. En même temps, je sais que je vais bientôt m'arrêter :  j'ai été une enfant gâtée, mais je n'ai pas envie de me battre, de faire la tournée des maisons de disques. Alors la scène, oui, mais me battre, non. J'ai besoin de trouver un mode d'expression, et je n'ai pas trouvé mieux que l'écriture".