France Bastia a répondu aux questions d'Anne-Françoise Counet pour la revue "Nouvelles de Flandre" (www.francophonie.be/ndf) :
"Si vous deviez vous présenter en quelques mots?
- Il est toujours difficile de se présenter. Quelqu'un comparaît un jour la vie à la musique : nous nous présentons tous à la naissance comme un instrument, un violon, par exemple, bon ou moins bon, mais qui sera le nôtre toute notre vie : autrement dit, un instrument avec lequel "il faudra faire avec". La jeunesse, c'est le temps où l'on vous apprend à jouer de votre instrument, et votre vie, ce sera l'air qu'on entendra. J'ai toujours trouvé la comparaison très juste. Personnellement, mes gênes m'ont dotée, je crois, non d'un stradivarius évidemment, mais pas non plus d'un bête crincrin. Cordes innées principales : le goût de l'indépendance, la joie de vivre, la compassion. Mais c'est à mes parents que je dois de m'avoir merveilleusement permis d'en jouer sur toutes les cordes dans les jeux, les sports, les études, les mouvements de jeunesse, l'ouverture aux autres, et surtout, surtout, à travers les livres partout et toujours! Une éducation grâce à laquelle toute ma vie et jusqu'au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été, comme écrivait Camus...
- Comment avez-vous été amenée à vous tourner vers l'écriture?
- Mais écriture et lecture ne font qu'un. De l'une dépend l'autre, l'une et l'autre s'ensuivent et presque fusionnent. Je ne savais pas encore lire que pour me faire tenir tranquille, ma mère me mettait un album entre les mains. A cinq ans, je savais par cœur les contes qu'elle me lisait le soir. Et je me souviens comme si c'était d'hier de ma première leçon d'écriture, du livre dans lequel j'ai appris les premières lettres, du cahier Le Semeur à deux lignes où j'écrivais p-a-p-a : un éblouissement! Je ne me souviens pas, enfant, avoir écrit moi-même de petites histoires, mais adolescente, j'aimais les rédactions que nous avions à faire chaque semaine et, en plus de la mienne, j'écrivais volontiers pour le plaisir celles d'autres élèves de ma classe! J'ai aussi tenu très vite mon propre journal. Ecriture et lecture ont été les deux cordes essentielles de toute ma vie.
- Vous avez vécu en Afrique : cela a dû influencer votre parcours?
- Oui, mais moins sans doute que le Brabant wallon, que la petite Bruxelloise que j'étais découvrait à six ans dans des circonstances si exceptionnelles qu'elles allaient influencer toute sa vie future. Mais l'Afrique, oui, ce fut l'une des découvertes les plus extraordinaires de ma vie, surtout le premier voyage que j'y ai fait en traversant au Congo toute la province orientale et le Kivu, dans des circonstances là aussi exceptionnelles et que j'ai plus tard relatées sous forme romancée dans mon livre "L'herbe naïve".
- Le grammairien André Goosse a aussi croisé votre route?
- Ca, c'est une autre merveilleuse histoire. Jolie comme un conte, mais un conte vrai dont le fil rouge est l'amour de la langue française. A 13 ans, je le voyais de loin pour la première fois : il était le fiancé de mon professeur de français en 6ème latine, Marie-Thérèse Grévisse. A 16 ans, je le revoyais en rendant visite à Melle Grévisse devenue Mme Goosse, qui venait d'avoir son premier enfant, et je le saluais en tirant une révérence, ce dont il garde, amusé, le souvenir aujourd'hui encore! Plus tard, le hasard nous fit nous établir dans deux villages voisins du Brabant wallon. En 1985, je me trouvai chargée par les éditions Duculot, éditeur de mes propres livres, du lancement dans la presse du "Bon usage 1986" de Grévisse et Goosse, dont hélàs Marie-Thérèse, décédée à la fin de l'année, n'eut pas la joie de voir paraître l'édition. Et en 1986, quand je suis allée, compatissante devant le deuil qui le frappait, dire bonjour à Mr Goosse, comment aurions-nous pu prévoir que nos routes qui depuis quarante ans amicalement se croisaient, allaient se rejoindre pour n'en faire plus qu'une? Et nous voici, le grammairien, la romancière et la langue française, merveilleusement mariés depuis bientôt trente autres années et, de plus, dans cet invincible été dont parlait Camus!
- L'écriture a toujours tenu une place importante dans votre parcours ; c'est sans doute la raison pour laquelle vous avez été présidente de l'Association des Ecrivains Belges?
- En 1986, Duculot devenant l'éditeur de la "Revue Générale", me proposait de représenter la maison au sein du comité de rédaction présidé alors par Georges Sion. L'année suivante, le même Georges Sion me demandait de succéder à l'un des directeurs de la rédaction inopinément décédé. Et c'est le même Georges Sion qui, en 1993, me proposait à ma grande surprise d'entrer au conseil d'administration de l'Association des Ecrivains Belges et, en 1994, à ma surprise plus grande encore, de bien vouloir être candidate à la succession de Roger Foulon qui, pour des raisons de santé, souhaitait démissionner de son poste de président. J'ai dit oui, non sans quelque hésitation toutefois, vu le travail important que me demandait déjà la "Revue Générale". J'ai été élue et j'ai présidé l'Association des Ecrivains Belges pendant 16 ans pour en être nommée présidente d'honneur par l'assemblée générale lors de ma fin de mandat en 2010. Un merci qui m'a laissé penser que je n'avais pas trop mal fait le boulot...
- La "Revue Générale" (www.revuegenerale.be) fête cette année ses 150 ans. En 1865, quelles étaient les motivations pour mettre sur pied une telle revue?
- En 1865, il n'existait pas de revue en Belgique, seulement des quotidiens se bornant le plus souvent à n'enregistrer qu'actualités politiques et faits divers. Une revue offrant un spectre d'informations et de réflexions plus larges couvrant, outre la politique, l'actualité économique, sociale, littéraire, scientifique, artistique, etc. comme il en existait déjà en France, en Angleterre, en Allemagne ou aux Etats-Unis, était donc nécessaire. Deux grands partis politiques se partageaient alors le pays : les libéraux (bien organisés déjà dans la presse) et les catholiques (plus conservateurs mais très ouverts déjà aux questions sociales). Ce sont eux qui, en janvier 1865, prirent l'initiative de la création de la "Revue Générale", en confiant la direction à un ancien journaliste et avocat, Edouard Ducpétiaux. Le premier numéro précisait toutefois dans son introduction que la "Revue Générale" n'entendait imposer aucun programme ni imprimer à la revue une direction unique. La "Revue Générale" de janvier 2015 reproduit en hommage à ses fondateurs le texte de cette enthousiaste première introduction et la ligne de conduite avec laquelle, 150 ans plus tard, elle reste fondamentalement attachée : réflexion, culture, respect des droits de l'homme, souci d'évolution et liberté d'expression.
- Quel est votre meilleur et votre pire souvenir en tant que responsable de "La Revue Générale"?
- Difficile de choisir parmi les meilleurs souvenirs, tellement ils sont nombreux. Peut-être, parmi eux, ces réunions estivales où, sous les arbres de Hamme-Mille, se retrouvaient tous les auteurs et collaborateurs de l'année écoulée et les merveilleuses rencontres que, de façon très conviviale, ces champêtres réunions permettaient. Le pire souvenir? En 2014, quand le Ministère de la Culture et la Promotion des Lettres, qui en avaient toujours assumé la charge jusque-là, ont supprimé des abonnements de la "Revue Générale" à un nombre important de bibliothèques publiques. Un coup très dur; Mais les temps certainement redeviendront meilleurs et nous gardons confiance en l'avenir...
- Dans une société dominée par l'information quasi instantanée, comment voyez-vous l'avenir de la "Revue Générale"?
- Comme un outil de plus en plus indispensable pour continuer à prendre en toutes circonstances à la fois le recul et la hauteur nécessaires à la réflexion. De plus en plus conscients que nous ne vivons pas une crise, mais un changement profond de société, de garder l'œil attentif à l'actualité, au numérique, aux réseaux sociaux et à l'évolution nécessaire de la revue elle-même, mais en conservant la tête et le cap sans se laisser emporter par le flot!".
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