"C'était en octobre ou en novembre 1944, juste avant l'offensive des Ardennes, à la rédaction du "Monde du Travail", quotidien liégeois issu de la Résistance. Je me trouvais un matin devant un jeune rouquin plutôt costaud pour ses 16 ans. Il me dit s'appeler Raymond. C'était notre nouvelle "petite main" chargée entre autres des navettes entre l'atelier et la rédaction, et surtout des plis Belga enlevés trois fois par jour aux Messageries de la Presse. En ces jours-là, on ne disposait pas de téléscripteur et le téléphone venait à peine d'être rétabli pour les journaux, les Allemands dans leur retraite ayant fait sauter la régie. Justement, durant l'heure creuse de midi, le téléphone sonna et le jeune Raymond, seul à la rédaction, décrocha. Un correspondant bénévole signalait que les inspecteurs du ravitaillement entamaient une opération importante du côté de Ferrières sur les hauts de l'Ourthe. En fait, c'était le vicinal Manhay-Comblain-la-Tour, surnommé la "route de la patate" (au marché noir), qui était visé. Le jeune Raymond sauta sur son vélo et revint à la rédaction en fin d'après-midi avec un reportage sur le vif et près de 100 kilomètres dans les mollets. Je le relus, j'étais déjà un vétéran puisque j'avais quelques semaines de journalisme derrière moi. Ainsi entra dans un métier, qu'il ne quitta jamais, Raymond Arets. C'était mon camarade de Liège, un des derniers du temps de ma jeunesse. Il a lutté pendant cinq ans contre le cancer, sachant qu'il était programmé, arrachant six mois de plus à la grande ombre noire. L'étonnant est que durant ces cinq années de chimio, il n'a jamais cessé de rédiger son billet quotidien dans "La Dernière Heure". Il en a écrit plus de six mille, rejoignant ainsi le peloton des Caso et des d'Osta. Il faut être du métier pour juger de la performance. Maintenant, je vais vous conter la plus belle histoire de presse que je connaisse. Il en est peu dans un métier comme celui-là. Lorsque Raymond fut hospitalisé une première fois, la rédaction de la "DH" se mobilisa et, à tour de rôle, un rédacteur assuma le billet d'Arets. Quelques jours avant sa mort, au téléphone, il me disait : "J'en ai encore fait deux ou trois". Nous étions quelques-uns à le conforter durant ces cinq années. Jean-Marie Peterkenne, avec qui Raymond, alors à "La Meuse", lança le festival de jazz de Comblain-la-Tour, lui disait "Courage, camarade!". Raymond Arets fut ce camarade courage qui assuma son métier jusqu'au bout, fidèle entre les fidèles en amitié. J'avais un camarade...".
"La personnalité complexe de Romain Gary est mise en exergue dans une biographie de Myriam Anissimov, louée par les uns, contestée par d'autres. Nous avons lu "Les Racines du Ciel" (Goncourt 1956) dont on dit aujourd'hui qu'il est un roman prophétique, c'est-à-dire écologiste avant la lettre. Gary y prend la défense des éléphants d'Afrique et John Huston en tira un film en 1960. La critique, alors pâmée devant le "Nouveau Roman", ne fut pas très élogieuse : Gary en conçut une vive amertume. On connaît sa réplique : l'énorme mystification de "La vie devant soi" du soi-disant Emile Ajar, neveu et complice de Gary, qui décrocha un Goncourt, ce qui ne satisfit pas encore le plaisantin de génie. Il eut pourtant tout : combattant des forces françaises libres, compagnon de la Libération, diplomate, époux de Jean Seberg (tragiquement décédée). Gary, une vie pas comme les autres. Nous nous sommes trouvés un soir au coude-à-coude dans un bar : était-ce à Cannes lors d'un Festival ou à Paris après la première du film de John Huston? Je ne sais plus. Je le revois debout, éclusant des whiskies, ricanant, témoignant un mépris souverain pour la presse. Moi, j'aurais voulu lui dire combien j'avais aimé "Les Racines du Ciel", je n'osai, d'autant que les confrères français feignaient d'ignorer l'imposant personnage. J'ai souvent pensé à Romain Gary en lisant le gros ouvrage d'un de nos compatriotes, Jacques Verschuren, auteur du récent "Ma vie. Sauver la nature". Voilà un authentique héros du roman de Gary. Docteur en sciences, il part en mission, à 20 ans, au Congo belge et au Rwanda. Le coup de foudre pour l'Afrique : 4.000 nuits sous la tente, isolé dans des conditions précaires, le climat n'étant pas moins mortel que les braconniers chasseurs d'ivoire. Directeur général des parcs nationaux, il va consacrer sa vie à la défense du rhinocéros blanc, des éléphants et des gorilles. Il sera le seul fonctionnaire belge maintenu en poste par Mobutu et le seul Belge médaille d'or du WWF, le Fonds mondial pour la nature. Le héros des "Racines du Ciel" existait donc, et pas seulement au cinéma. Aujourd'hui, Jacques Verschuren consacre ses loisirs à la défense de la flore et de la faune de chez nous. Des éléphants aux moineaux, voilà une vie exemplaire et méconnue, comme celle de tout grand Belge".
"On ne remerciera jamais assez les éditeurs qui, contre vents et marées, dans l'indifférence des pouvoirs publics, ont sauvé du naufrage titanesque la Foire du Livre de Bruxelles, lorsqu'elle a dû quitter le Centre Rogier, idéalement situé. C'était en 1991. Inventée par le malin singe Jean-Jacques Schellens (qui nous manque), elle débuta timidement à la Galerie Louise. Ses années d'or furent 1980-1990, lorsque la ville était couverte d'affiches de vingt mètres carrés et que l'on compta jusqu'à 300.000 visiteurs en huit jours! Combien d'éditeurs belges disparus depuis et combien d'auteurs pionniers? Je n'ose les compter... Ce que je n'oublie pas, ce sont les tribulations de la Foire depuis tant d'années. Ah! l'Albertine où les auteurs et les exposants se calcinaient sous les néons dans la pénombre et une moiteur saharienne. On déménagea au Heysel, dans la solitude glacée de vastes palais loin du centre-ville. On revint à l'Albertine, dans le clair-obscur du parking, où l'on errait muni de lunettes à infrarouge. Les auteurs étaient comme des chouettes à l'oeil écarquillé... Nous revoilà place Rogier, aux Pyramides, où l'on contemple comme Bonaparte les siècles défunts à l'ombre des tours aveugles. Nous revoilà au parking et sous tente, comme pour un jamboree scout. J'y suis passé... J'ai éprouvé de la tendresse pour l'auteur, "cet être fragile", comme l'écrit Jean-Luc Outers. J'ai observé ce jeune homme ignoré du public, auteur d'un premier roman, tant de rêves... A deux pas, on se bousculait pour Amélie ou tel animateur de la RTBF, qui signait à poignets rompus. Ah, la télé, elle ferait vendre un vase de nuit parlant et chantant ou un roman écrit sur six cartons de bock! Mon jeune homme était ailleurs... Affreux! Ce qui est scandaleux, c'est que le pays de Simenon, de Brel, d'Hergé, et d'Amélie Nothomb depuis 1990, n'a pas édifié un local adéquat, alors que les chancres urbains et les terrains vagues sont là dans une ville taudissée. Chez nous, l'écrivain compte moins, infiniment moins qu'un joueur de foot ; avez-vous déjà vu un auteur célèbre sur une liste électorale? Pourtant, Bruxelles, qui se veut capitale de l'Europe, reste le meilleur vecteur de la culture et de la connaissance. Ah, misère!".
"Un vent du nord-est piquant, une pointe de bronchite. Râlant! Autant de bonnes raisons pour observer du fauteuil, devant la fenêtre, la cabane emplie de graines de tournesol. Questions : pourquoi les moineaux, disparus depuis longtemps, reviennent-ils? Ce n'est pas l'invasion, mais ils sont là, les moineaux des champs. Et pourquoi les mésanges sont-elles de plus en plus nombreuses? Chaque semaine, on apprend la disparition d'une espèce animale. De visu, je constate qu'il n'y a plus de vanneaux, plus de coucous, plus d'étourneaux, sans compter les hirondelles. Les abeilles sont menacées, si bien qu'en France on vient d'interdire deux insecticides dangereux, le Régent et le Gaucho, "nuisibles à la santé de l'homme et de l'animal". J'ai lu de savants articles sur la disparition des hirondelles et des moineaux. En cause : les pesticides et les insecticides, en bref l'agriculture industrielle mais aussi la diminution de l'habitat rural. Il est vrai que l'hirondelle bâtissait son nid dans les étables, mais les moineaux! Ils étaient des milliers dans nos villes, picorant le pavé et saluant le soleil levé. Alors, quoi? Ne me faites pas croire que les moineaux, et même les hirondelles de nos villes, étaient des navetteurs! On parle moins des insectes, sauf des abeilles. Il n'y a plus de sauterelles, de hannetons, de libellules et de papillons, sauf quelques rescapés dans nos jardins. Que pèsent ces insectes face aux grands groupes agrochimiques? Rien. J'entends à la radio qu'en 2080, il n'y aura plus de pôles, plus de glaces. 75 ans, une vie d'homme, et les pays industrialisés seront-ils d'autres Sahel? Il n'y a pas, hélàs, que la pollution des sols, mais celle de l'air et de l'eau. On montre du doigt le tabac : "Fumer tue". Respirer, manger et boire aussi, d'où la prolifération des cancers, des allergies et des insuffisances respiratoires chez les personnes âgées. Ne sortez plus de chez vous! Ne rêvons pas, il y aura toujours plus de voiture, plus de chimie, plus d'industries polluantes. Vous me trouvez pessimiste, qui ne le serait pas? Combien de stations d'épuration sur la Meuse et l'Escaut, sur nos rivières? La Hesbaye est un désert, faune et flore en voie d'extinction. Vus de mon fauteuil, il y a 20 ans, dans la prairie, les jeunes lièvres se chauffaient au soleil. Je n'ai plus vu de lièvre depuis quand? Le marais a été drainé, les haies de saules têtards tronçonnées, les bosquets servent de dépôts sauvages de détritus. Dans le jardin de Miette, des enfants jouent au ballon. Si je leur contais le monde de mon enfance, ils me traiteraient de vieux c...".
lundi 28 mars 2011
lundi 21 mars 2011
Nouveau roman d'Armel Job
Dans son roman "Les eaux amères" (éditions Robert Laffont), l'écrivain belge Armel Job raconte l'installation de Bram et de sa ravissante épouse dans les Ardennes. Les habitants se posent de nombreuses questions : pourquoi a-t-elle commandé des pillules contraceptives à la pharmacie? Où disparaît-elle pendant que son mari tient la quincaillerie? A l'occasion de la sortie de ce roman, Armel Job a été interviewé par le quotidien "La Dernière Heure" :
"Vous êtes-vous imposé comme défi de toujours situer vos romans dans les Ardennes ou les Cantons de l'Est?
- C'est une bonne question ; on me l'a rarement posée, en fait. Vous avez raison : le terme défi convient tout à fait. Quand j'ai commencé à écrire, je me suis dit que je n'allais certainement pas tomber dans le snobisme qui consiste à expatrier mes personnages sous prétexte que la Belgique - et, dans mon cas, souvent l'Ardenne profonde - ne conviendrait pas pour écrire un roman. Ma région est peuplée d'habitants qui sont tout à fait aussi dignes de devenir des personnages de romans que les habitants du 16ème arrondissement de Paris.
- L'histoire se déroule dans un passé relativement récent. Mais suffisamment ancien pour qu'on ait l'impression de contempler un tableau?
- Comme romancier, je me vois comme un raconteur d'histoires. Je ne déballe pas ma vie intime devant les lecteurs. Comme vous le savez, toutes les histoires commencent par "Il était une fois". Je voulais placer tout çà à distance, pour pouvoir regarder tout çà sereinement. Là, l'histoire se passe en 1968 : époque que j'ai connue puisque j'étais étudiant à l'époque. Elle est un peu mythique aussi dans la société occidentale. Le but était aussi de voir comment les gens ont vécu les changements, les bouleversements dans une petite ville : on n'est pas à Paris, les jeunes ne sont pas sur les balustrades.
- Raison pour laquelle vous introduisez, par exemple, l'histoire des débuts de la contraception?
- Absolument. C'est une question que je ne me suis certainement pas posée à l'époque mais une femme qui voulait acheter la pilule à l'époque dans une petite ville, comment faisait-elle? Ca ne devait pas être évident.
- Le personnage principal, Bram, est doublement étranger quand il débarque dans sa nouvelle ville : il vient d'Anvers et il est juif.
- J'ai écrit le roman en pensant à lui, effectivement. Cet homme qui a éprouvé la souffrance de la Shoah, ses parents ont disparu, lui-même y a échappé par chance. Comment a-t-il vécu çà? Il est accablé par le souvenir, la culpabilité, et la trahison même. Ce sur quoi je voulais insister, c'est la manière dont on peut percevoir ce genre de personnage : les gens de la ville où il est venu s'installer ne soupçonnent pas ce qui se passe en lui. Ils ne savent pas qu'il est juif et çà leur est totalement égal. Lui n'en parle à personne, il ne veut pas faire pitié. Au contraire, il veut paraître jovial. C'est quelqu'un qui ne vit que dans le passé mais son présent n'est qu'un bluff permanent. C'est un thème qui me plaît : j'ai envie que le lecteur entre dans l'âme de cet homme. Il va retrouver une forme de joie de vivre quand une autre difficulté va se présenter à lui".
A lire également : le compte-rendu de la journaliste Apolline Elter sur ce roman (http://editionsdelermitage.skynetblogs.be/archive/2011/03/14/les-eaux-ameres.html)
"Vous êtes-vous imposé comme défi de toujours situer vos romans dans les Ardennes ou les Cantons de l'Est?
- C'est une bonne question ; on me l'a rarement posée, en fait. Vous avez raison : le terme défi convient tout à fait. Quand j'ai commencé à écrire, je me suis dit que je n'allais certainement pas tomber dans le snobisme qui consiste à expatrier mes personnages sous prétexte que la Belgique - et, dans mon cas, souvent l'Ardenne profonde - ne conviendrait pas pour écrire un roman. Ma région est peuplée d'habitants qui sont tout à fait aussi dignes de devenir des personnages de romans que les habitants du 16ème arrondissement de Paris.
- L'histoire se déroule dans un passé relativement récent. Mais suffisamment ancien pour qu'on ait l'impression de contempler un tableau?
- Comme romancier, je me vois comme un raconteur d'histoires. Je ne déballe pas ma vie intime devant les lecteurs. Comme vous le savez, toutes les histoires commencent par "Il était une fois". Je voulais placer tout çà à distance, pour pouvoir regarder tout çà sereinement. Là, l'histoire se passe en 1968 : époque que j'ai connue puisque j'étais étudiant à l'époque. Elle est un peu mythique aussi dans la société occidentale. Le but était aussi de voir comment les gens ont vécu les changements, les bouleversements dans une petite ville : on n'est pas à Paris, les jeunes ne sont pas sur les balustrades.
- Raison pour laquelle vous introduisez, par exemple, l'histoire des débuts de la contraception?
- Absolument. C'est une question que je ne me suis certainement pas posée à l'époque mais une femme qui voulait acheter la pilule à l'époque dans une petite ville, comment faisait-elle? Ca ne devait pas être évident.
- Le personnage principal, Bram, est doublement étranger quand il débarque dans sa nouvelle ville : il vient d'Anvers et il est juif.
- J'ai écrit le roman en pensant à lui, effectivement. Cet homme qui a éprouvé la souffrance de la Shoah, ses parents ont disparu, lui-même y a échappé par chance. Comment a-t-il vécu çà? Il est accablé par le souvenir, la culpabilité, et la trahison même. Ce sur quoi je voulais insister, c'est la manière dont on peut percevoir ce genre de personnage : les gens de la ville où il est venu s'installer ne soupçonnent pas ce qui se passe en lui. Ils ne savent pas qu'il est juif et çà leur est totalement égal. Lui n'en parle à personne, il ne veut pas faire pitié. Au contraire, il veut paraître jovial. C'est quelqu'un qui ne vit que dans le passé mais son présent n'est qu'un bluff permanent. C'est un thème qui me plaît : j'ai envie que le lecteur entre dans l'âme de cet homme. Il va retrouver une forme de joie de vivre quand une autre difficulté va se présenter à lui".
A lire également : le compte-rendu de la journaliste Apolline Elter sur ce roman (http://editionsdelermitage.skynetblogs.be/archive/2011/03/14/les-eaux-ameres.html)
lundi 14 mars 2011
"L'eau à la bouche" (Colette Nys-Mazure)
Dans l'introduction, Colette Nys-Mazure nous confie : "Qu'est-ce qu'un poème dans la marche du monde? Peut-on encore écrire des poèmes après les horreurs des camps d'extermination et les génocides? Interrogations légitimes. Chaque homme qui naît recommence l'histoire, et la poésie, comme toute forme d'art, accompagne, éclaire, soutient son existence tout en creusant le mystère de l'être au monde (...) Comme nous en avons besoin dans cet univers mécanisé, robotisé, informatisé à outrance. Cultiver la gratuité, la beauté avec ce matériau qui appartient à tous : les mots de la langue. Faire sien le quotidien et le transfigurer. Ecrire, lire la poésie accroît la liberté et donc la joie (...) Nous avons besoin de poèmes comme de l'air que nous respirons. Une longue fréquentation de la poésie de tous bords m'a convaincue que la vision poétique, loin de nous éloigner du réel et du présent, communique au quotidien une qualité particulière, une lumière et une chaleur, un émerveillement comparables à l'effet du feu sur le bois sec".
Dans cet ouvrage, Colette retrouve sa pédagogie d'ancienne professeur de français pour sortir la poésie de sa tour d'ivoire et la faire découvrir au grand public, avec des mots simples, sans analyse littéraire complexe. Elle a choisi des poètes francophones qu'elle apprécie afin de nous donner l'eau à la bouche ("Puisse cette série susciter chez les plus jeunes comme chez les aînés l'envie de mordre à même la chair du poème") : Françoise Lison-Leroy, André Schmitz, Maurice Carême, Liliane Wouters, Achille Chavée et François Emmanuel pour la Belgique, mais aussi Racine, Charles Baudelaire, Joachim du Bellay, Andrée Chedid, Serge Wellens, René Char, etc. Une courte présentation permet de les situer dans le temps et l'espace.
Certains poèmes m'ont beaucoup plu, d'autres pas du tout. Mais la mission est réussie pour Colette Nys-Mazure qui a varié les générations, les pays et les styles. Chaque lecteur peut avoir l'eau à la bouche et y trouver son bonheur. Merci Mme le professeur.
Je ne peux terminer ce compte-rendu sans choisir un poème extrait de cet ouvrage et écrit par le poète belge André Schmitz (né en 1929) :
La poésie, je ne peux jamais
la voir que de dos,
quand elle fait ses courses au village
ou se rend à des offices de nuit.
Je la suis de loin comme un voyeur
et sur son épaule parfois
ma main se pose comme un vieil oiseau.
Je lui demande encore pardon
de ne savoir m'y prendre avec elle.
En d'autres temps je propose avec gaucherie
de porter ses cabas et ses livres de magie.
La poésie, elle la passante inouïe
que je prie en silence de réchauffer ma vie.
Dans cet ouvrage, Colette retrouve sa pédagogie d'ancienne professeur de français pour sortir la poésie de sa tour d'ivoire et la faire découvrir au grand public, avec des mots simples, sans analyse littéraire complexe. Elle a choisi des poètes francophones qu'elle apprécie afin de nous donner l'eau à la bouche ("Puisse cette série susciter chez les plus jeunes comme chez les aînés l'envie de mordre à même la chair du poème") : Françoise Lison-Leroy, André Schmitz, Maurice Carême, Liliane Wouters, Achille Chavée et François Emmanuel pour la Belgique, mais aussi Racine, Charles Baudelaire, Joachim du Bellay, Andrée Chedid, Serge Wellens, René Char, etc. Une courte présentation permet de les situer dans le temps et l'espace.
Certains poèmes m'ont beaucoup plu, d'autres pas du tout. Mais la mission est réussie pour Colette Nys-Mazure qui a varié les générations, les pays et les styles. Chaque lecteur peut avoir l'eau à la bouche et y trouver son bonheur. Merci Mme le professeur.
Je ne peux terminer ce compte-rendu sans choisir un poème extrait de cet ouvrage et écrit par le poète belge André Schmitz (né en 1929) :
La poésie, je ne peux jamais
la voir que de dos,
quand elle fait ses courses au village
ou se rend à des offices de nuit.
Je la suis de loin comme un voyeur
et sur son épaule parfois
ma main se pose comme un vieil oiseau.
Je lui demande encore pardon
de ne savoir m'y prendre avec elle.
En d'autres temps je propose avec gaucherie
de porter ses cabas et ses livres de magie.
La poésie, elle la passante inouïe
que je prie en silence de réchauffer ma vie.
lundi 7 mars 2011
Les débuts littéraires de l'auteur Thomas Gunzig
Dans le dernier numéro de la revue "Le Carnet et les Instants" (que vous pouvez recevoir gratuitement sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres), l'auteur belge Thomas Gunzig (né en 1970) revient sur le début de sa carrière littéraire : "Comme tous les ados torturés, j'écrivais de sombres textes. Vers 16-17 ans, j'ai terminé deux soi-disant romans que je n'ai jamais soumis à des éditeurs. Mais j'ai toujours souhaité être publié. Quand tu es un jeune homme de 15-16 ans, tu cherches ta place dans la société, la reconnaissance des jeunes filles qui n'en ont pas forcément à ton égard... J'avais plein d'idées naïves sur ce qu'est être écrivain et beaucoup de fantasmes sur cette activité. Cela me venait, je suppose, d'une espèce de volonté d'exister dans le monde".
A 23 ans, étudiant en sciences politiques, il remporte un concours de nouvelles dont la récompense est la publication du manuscrit par un éditeur français : "J'étais jeune, naïf et impressionné. Jacques Grancher était sympathique avec moi, mais il m'a de suite prévenu qu'il n'avait pas les moyens de faire un travail éditorial et la promotion du bouquin. Il allait corriger les fautes d'orthographe et l'imprimer. C'était à moi de me débrouiller pour démarcher les libraires et faire connaître le livre. C'était presque du compte d'auteur chic, à part que je ne payais pas. Mais pour moi, ma carrière était lancée, j'allais devenir riche et célèbre! Ce bouquin n'a pas du tout fonctionné mais il a eu une petite vie".
Lors d'une rencontre littéraire, un auteur français propose de parler de lui à Elisabeth Samama de la maison d'édition Julliard. Thomas raconte : "Je suis parti pour Paris dans le bel hôtel particulier dont disposent les éditions Julliard sur l'avenue Marceau. Cela me changeait des petits bureaux de Jacques Grancher, un peu rustiques. J'ai eu l'occasion de réaliser avec Elisabeth Samama le meilleur travail éditorial de ma vie, même si j'ai rencontré beaucoup d'éditeurs par après. Elle a bossé comme je n'ai jamais vu un éditeur bosser sur des textes. Pour elle, il y avait moyen de monter d'un cran avec les textes que je lui avais envoyés. Elle avait passé des nuits dessus. Je me souviens que les feuilles sentaient l'odeur de cigarettes. Elle avait souligné, proposé des tas de choses. Durant une journée complète, dans son bureau, nous avons discuté de chaque page de chaque nouvelle, sans pression aucune de sa part. Elle n'a rien réécrit, mais il y avait des questions, des conseils, des éclaircissements, tous judicieux, qui ont apporté une plus-value à l'ensemble du recueil. Par exemple, elle a proposé que le personnage féminin de Minitrip qui apparaissait dans quelques nouvelles revienne systématiquement pour apporter une unité à l'ensemble. L'idée était excellente. "Il y avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu" est sorti en 1997 avec la très dépouillée mais prestigieuse couverture des éditions Julliard. C'est à partir de ce moment que j'ai vu la différence entre un éditeur artisanal et une grosse machine qui a les moyens, comme Julliard".
Entretemps, l'auteur belge Francis Dannemark, qui a pris la direction de la collection "Escales du Nord" aux éditions du Castor Astral, demande à Thomas s'il est possible de rééditer certaines de ses nouvelles : "Elles paraîtront avec quelques inédites sous le titre "A part moi, personne n'est mort" et c'est ainsi que j'entre au Castor Astral, éditeur sympathique mais sans les lustres et les dorures de Julliard. Marion Mazauric reprendra également ce titre en "J'ai Lu". J'en avais un peu marre des nouvelles et je décide de me mettre à l'écriture d'un roman. C'est vrai que les recueils de nouvelles se vendent moins bien et que la presse s'intéresse beaucoup plus aux romans. Ceci dit, les recueils de nouvelles ont des durées de vie beaucoup plus longues que les romans, parce que ce genre se prête à toutes sortes d'exercices qu'autorise moins facilement le roman, comme la lecture en spectacle, l'adaptation en court métrage, la diffusion radiophonique, etc.".
Un beau jour, Marion Mazauric l'invite à un déjeuner à Paris et lui annonce qu'elle va fonder sa propre maison d'édition : "Un truc hyper nouveau, très dynamique. Elle me demande quelle avance j'ai chez Julliard. Elle s'élevait à environ 60.000 francs belges. Elle me propose le double. Sur le coup, considérant que j'étais jeune et que je n'avais rien à perdre dans cette affaire, je lui donne le manuscrit du roman auquel je travaillais et elle accepte le bouquin, d'ailleurs un peu trop facilement selon moi. Ca m'aurait plu de me retrouver face à un interlocuteur plus offensif, plus ambitieux littérairement".
Son premier roman, "Mort d'un parfait bilingue", paraît en 2001 et lui vaut le prestigieux Prix Rossel. Thomas Gunzig n'a plus arrêté d'écrire depuis lors...
A 23 ans, étudiant en sciences politiques, il remporte un concours de nouvelles dont la récompense est la publication du manuscrit par un éditeur français : "J'étais jeune, naïf et impressionné. Jacques Grancher était sympathique avec moi, mais il m'a de suite prévenu qu'il n'avait pas les moyens de faire un travail éditorial et la promotion du bouquin. Il allait corriger les fautes d'orthographe et l'imprimer. C'était à moi de me débrouiller pour démarcher les libraires et faire connaître le livre. C'était presque du compte d'auteur chic, à part que je ne payais pas. Mais pour moi, ma carrière était lancée, j'allais devenir riche et célèbre! Ce bouquin n'a pas du tout fonctionné mais il a eu une petite vie".
Lors d'une rencontre littéraire, un auteur français propose de parler de lui à Elisabeth Samama de la maison d'édition Julliard. Thomas raconte : "Je suis parti pour Paris dans le bel hôtel particulier dont disposent les éditions Julliard sur l'avenue Marceau. Cela me changeait des petits bureaux de Jacques Grancher, un peu rustiques. J'ai eu l'occasion de réaliser avec Elisabeth Samama le meilleur travail éditorial de ma vie, même si j'ai rencontré beaucoup d'éditeurs par après. Elle a bossé comme je n'ai jamais vu un éditeur bosser sur des textes. Pour elle, il y avait moyen de monter d'un cran avec les textes que je lui avais envoyés. Elle avait passé des nuits dessus. Je me souviens que les feuilles sentaient l'odeur de cigarettes. Elle avait souligné, proposé des tas de choses. Durant une journée complète, dans son bureau, nous avons discuté de chaque page de chaque nouvelle, sans pression aucune de sa part. Elle n'a rien réécrit, mais il y avait des questions, des conseils, des éclaircissements, tous judicieux, qui ont apporté une plus-value à l'ensemble du recueil. Par exemple, elle a proposé que le personnage féminin de Minitrip qui apparaissait dans quelques nouvelles revienne systématiquement pour apporter une unité à l'ensemble. L'idée était excellente. "Il y avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu" est sorti en 1997 avec la très dépouillée mais prestigieuse couverture des éditions Julliard. C'est à partir de ce moment que j'ai vu la différence entre un éditeur artisanal et une grosse machine qui a les moyens, comme Julliard".
Entretemps, l'auteur belge Francis Dannemark, qui a pris la direction de la collection "Escales du Nord" aux éditions du Castor Astral, demande à Thomas s'il est possible de rééditer certaines de ses nouvelles : "Elles paraîtront avec quelques inédites sous le titre "A part moi, personne n'est mort" et c'est ainsi que j'entre au Castor Astral, éditeur sympathique mais sans les lustres et les dorures de Julliard. Marion Mazauric reprendra également ce titre en "J'ai Lu". J'en avais un peu marre des nouvelles et je décide de me mettre à l'écriture d'un roman. C'est vrai que les recueils de nouvelles se vendent moins bien et que la presse s'intéresse beaucoup plus aux romans. Ceci dit, les recueils de nouvelles ont des durées de vie beaucoup plus longues que les romans, parce que ce genre se prête à toutes sortes d'exercices qu'autorise moins facilement le roman, comme la lecture en spectacle, l'adaptation en court métrage, la diffusion radiophonique, etc.".
Un beau jour, Marion Mazauric l'invite à un déjeuner à Paris et lui annonce qu'elle va fonder sa propre maison d'édition : "Un truc hyper nouveau, très dynamique. Elle me demande quelle avance j'ai chez Julliard. Elle s'élevait à environ 60.000 francs belges. Elle me propose le double. Sur le coup, considérant que j'étais jeune et que je n'avais rien à perdre dans cette affaire, je lui donne le manuscrit du roman auquel je travaillais et elle accepte le bouquin, d'ailleurs un peu trop facilement selon moi. Ca m'aurait plu de me retrouver face à un interlocuteur plus offensif, plus ambitieux littérairement".
Son premier roman, "Mort d'un parfait bilingue", paraît en 2001 et lui vaut le prestigieux Prix Rossel. Thomas Gunzig n'a plus arrêté d'écrire depuis lors...
mardi 1 mars 2011
Confidences de Caroline De Mulder
C'est la révélation 2010 des Lettres belges francophones : Caroline De Mulder (Prix Rossel 2010 pour son premier roman "Ego Tango") dont je vous avais parlé en décembre (http://ecrivainsbelges.blogspot.com/2010/12/prix-rossel-2010-pour-caroline-de.html . Dans la dernière revue de "Le Carnet et les Instants", Caroline parle de son roman :
"J'ai beaucoup dansé, oui. D'ailleurs, depuis j'ai un peu de mal à gesticuler dans des soirées "normales". Mais ce n'est pas un roman autobiographique, même si je me suis inspirée de certaines personnes de mon entourage d'alors pour construire les personnages secondaires : le danseur qui n'invite que les débutantes, le Chilien qui coince les femmes entre deux portes, et le professeur Stéphane King, évidemment (il est vraiment mort sur la piste, en plein bal!). J'avais envie de placer mon intrigue dans un microcosme comme celui-là, où les choses stagnent. Et le côté "policier" de mon roman s'y intègre bien : le tango est né dans les bas-fonds, et racontait initialement des histoires de violence. Le sentimentalisme qui lui est associé n'est venu qu'après. Il y a dans cette danse quelque chose de très triste, mais de très beau aussi. Dans un passage du livre, je dis que le tango est un ersatz plutôt qu'un prélude. Pour certains, la danse remplace véritablement l'amour. C'est un amour sublimé, sans passage à l'acte. D'ailleurs, le tango est une métaphore de l'amour non réalisé : l'homme avance, la femme recule, il essaie de retenir la danseuse, elle s'échappe toujours. Sinon il n'y a pas de mouvement. Que vous soyez chômeur ou banquier ne change rien. Sur la piste, il n'y a aucune hiérarchie sociale. Ce qui compte, c'est le niveau de danse. Le tango est une mise en scène. Même quand on est à la ramasse, il faut paraître, être frais, pimpant. Le meilleur sera le prince du bal, même si c'est une épave dans la vie. Il y a aussi une vraie cruauté, quasi darwinienne : des femmes attendent parfois tout le bal qu'on les invite, en vain".
Outre un deuxième roman, Caroline De Mulder prépare aussi un essai sur Faust : "Pour moi, ce sont deux choses tout à fait différentes. Un ami proche dit que dans un cas, j'écris de la main gauche, dans l'autre de la main droite. D'un côté, il y a l'écriture universitaire, rationnelle ; de l'autre, l'absence de contrôle, l'écriture intuitive, au moins dans un premier temps. Il y a vingt ans que j'écris, c'est comme une maladie. C'est une partie très importante de ma vie, mais je n'en parlais que rarement, et seulement à des intimes. Etre publiée, c'est une reconnaissance de cette partie de moi".
Elle parle également de sa passion pour la lecture : "C'est à Namur que j'ai appris à lire vraiment, avec discernement, à réfléchir au style, à l'écriture. Je suis toujours une lectrice additive, j'adore les page turner, comme on dit, les livres de Stieg Larsson par exemple. Mais j'ai découvert à ce moment-là qu'on pouvait prendre plus de plaisir en lisant des livres plus exigeants (Beckett, Céline, Duras, p.ex.)". A l'Université de Gand, Caroline de Mulder a consacré sa thèse à Leconte de Lisle : "On a parfois l'impression que seuls Rimbaud, Verlaine et Baudelaire existent pour les universitaires. Moi, j'aimais le caractère très scandé de l'écriture, chez Leconte de Lisle".
Souhaitons bonne continuation à cette auteur belge qui semble promise à un bel avenir...
"J'ai beaucoup dansé, oui. D'ailleurs, depuis j'ai un peu de mal à gesticuler dans des soirées "normales". Mais ce n'est pas un roman autobiographique, même si je me suis inspirée de certaines personnes de mon entourage d'alors pour construire les personnages secondaires : le danseur qui n'invite que les débutantes, le Chilien qui coince les femmes entre deux portes, et le professeur Stéphane King, évidemment (il est vraiment mort sur la piste, en plein bal!). J'avais envie de placer mon intrigue dans un microcosme comme celui-là, où les choses stagnent. Et le côté "policier" de mon roman s'y intègre bien : le tango est né dans les bas-fonds, et racontait initialement des histoires de violence. Le sentimentalisme qui lui est associé n'est venu qu'après. Il y a dans cette danse quelque chose de très triste, mais de très beau aussi. Dans un passage du livre, je dis que le tango est un ersatz plutôt qu'un prélude. Pour certains, la danse remplace véritablement l'amour. C'est un amour sublimé, sans passage à l'acte. D'ailleurs, le tango est une métaphore de l'amour non réalisé : l'homme avance, la femme recule, il essaie de retenir la danseuse, elle s'échappe toujours. Sinon il n'y a pas de mouvement. Que vous soyez chômeur ou banquier ne change rien. Sur la piste, il n'y a aucune hiérarchie sociale. Ce qui compte, c'est le niveau de danse. Le tango est une mise en scène. Même quand on est à la ramasse, il faut paraître, être frais, pimpant. Le meilleur sera le prince du bal, même si c'est une épave dans la vie. Il y a aussi une vraie cruauté, quasi darwinienne : des femmes attendent parfois tout le bal qu'on les invite, en vain".
Outre un deuxième roman, Caroline De Mulder prépare aussi un essai sur Faust : "Pour moi, ce sont deux choses tout à fait différentes. Un ami proche dit que dans un cas, j'écris de la main gauche, dans l'autre de la main droite. D'un côté, il y a l'écriture universitaire, rationnelle ; de l'autre, l'absence de contrôle, l'écriture intuitive, au moins dans un premier temps. Il y a vingt ans que j'écris, c'est comme une maladie. C'est une partie très importante de ma vie, mais je n'en parlais que rarement, et seulement à des intimes. Etre publiée, c'est une reconnaissance de cette partie de moi".
Elle parle également de sa passion pour la lecture : "C'est à Namur que j'ai appris à lire vraiment, avec discernement, à réfléchir au style, à l'écriture. Je suis toujours une lectrice additive, j'adore les page turner, comme on dit, les livres de Stieg Larsson par exemple. Mais j'ai découvert à ce moment-là qu'on pouvait prendre plus de plaisir en lisant des livres plus exigeants (Beckett, Céline, Duras, p.ex.)". A l'Université de Gand, Caroline de Mulder a consacré sa thèse à Leconte de Lisle : "On a parfois l'impression que seuls Rimbaud, Verlaine et Baudelaire existent pour les universitaires. Moi, j'aimais le caractère très scandé de l'écriture, chez Leconte de Lisle".
Souhaitons bonne continuation à cette auteur belge qui semble promise à un bel avenir...
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