jeudi 29 octobre 2009

Chroniques de René Henoumont

Suite au décès de René Henoumont en septembre dernier, "Le Soir Magazine" a la bonne idée de republier ses meilleures chroniques. En voici quatre d'entre elles.

"Premier article le 7 septembre 1944. Le lendemain, je découvre le grand meccano de l'imprimerie, le temps du plomb. On me balade de la "clicherie" à la rotative, mais ce sont les grandes tables de marbre empreintes d'encre qui me fascinent. C'est là que le journal, ligne après ligne, caractères mobiles pour les titres, est mis en forme. La mise en page d'un journal est comme une robe de mariée. On part des escarpins pour arriver à la couronne de roses. J'assimile le vocabulaire de l'atelier. Me voilà bombardé rédacteur au marbre, responsable d'un quotidien mis en page la nuit. Ces mois d'initiation, malgré les bombes volantes et la fin d'une guerre qui revint nous frapper de plein fouet en Ardenne, furent décisifs. Reste l'écriture, le plus important. L'essentiel est de toujours raconter une histoire. Un fait divers en dix lignes est un bref roman. Difficile d'écrire court! L'école du fait divers est la meilleure. Je l'ai apprise dans des locaux de la police liégeoise où le décor n'avait pas changé depuis le passage du petit Sim de la "Gazette de Liège", parti à Paris en 1922 pour s'y faire un nom : Simenon. Dans un hebdo, il faut cinq ans pour imposer une nouvelle chronique, malgré un départ foudroyant. J'ai commencé l'homme à la pipe au "Pourquoi pas?", au début des années 70, la mutation de l'hebdo étant assurée, par la "télé, ce chewing-gum de l'oeil". Et la semaine suivante : A la case Kafka (Reyers), seules les toilettes étaient humaines!".

"C'est fou ce que le journalisme séduit les jeunes. Deux chroniques à ce propos et on me demande comment l'on devient journaliste. J'ai conté mes débuts à la Libération, période exceptionnellement ouverte où fleurissait une presse nouvelle et où bien des aînés étaient en prison pour collaboration. C'est une génération qui aura appris le métier à chaud, sur le terrain. Ce n'est plus possible aujourd'hui. L'intérêt porté à l'économique, l'investigation, une presse plus pragmatique imposent le passage par les écoles. Hélàs, les places sont rares dans la presse écrite. C'est du côté de la radio, de la télé, du cinéma qu'un débutant aura le plus de chance. Est-ce à dire que la presse écrite est plus exigeante? Sans doute que oui! Les nouveaux médias privilégient l'image et la langue parlée. Ecrire n'est pas donné sans un peu de magie ; écrire court, c'est le plus difficile. Ecrire juste demande une attention sans faille. Un gourou parisien assurait que le journalisme était le degré zéro de l'écriture. Faux! Je vous cite dix grands écrivains, de Simenon à Hemingway, qui ont appris à écrire en journalisme, dix autres, de Vandromme à d'Ormesson, qui le sont restés tout en produisant une oeuvre littéraire considérable. Tout d'abord, savoir pour qui on écrit. Ce grand patron avait dans son bureau une photo de l'homme de la rue. C'est pour lui qu'il fallait écrire, oui da, mais à condition de ne pas considérer le lecteur comme un idiot. Répondre à "Où, quand, comment, pourquoi?", on connaît la règle. Il faut y ajouter sa petite musique. Il pleut est un constat, il pleuvait est le début d'une histoire. Dans les années 60, j'ai été personnellement fasciné par ce journaliste américain qui, depuis sa cabane dans les Rocheuses où il pêchait, chassait, écrivait, rédigeait en plus un édito hebdomadaire d'un feuillet tiré à mille exemplaires sur une petite presse à pédales. Ses abonnés? Tout ce qui comptait en Amérique. On dit que les Kennedy durant la crise de Cuba ont tenu compte de ce solitaire. C'est un rêve américain. Il est en partie réalisable si vous parvenez à trouver un ton, de l'humeur, de l'humour, de l'émotion et un peu de tendresse, bordel! Je vous laisse... Le dernier cavaillon de l'été, accompagné de jambon corse, m'attend. C'est aussi très important".

"On m'a fait remarquer que je m'indigne contre la disparition de certaines espèces animales alors que je regrette les glorieuses ouvertures de la chasse aux perdreaux en août. Il n'y a pas contradiction sinon apparente. La disparition de certaines espèces n'est pas due à la chasse. Si le petit gibier, surtout en moyenne Belgique, est de plus en plus menacé, il faut imputer plusieurs raisons qui n'ont rien à voir avec la chasse. Pourquoi la chasse d'ailleurs? Parce que les lois ont privilégié les chasseurs nantis au détriment du chasseur paysan conservateur. L'élevage intensif du faisan et son abbatage au cours de battues tir à la pipe les reléguant au sort de poulets ont indigné les citadins venus s'installer à la campagne. Ce n'est pas, ce n'était pas cela la chasse. Manque de place pour traiter le sujet, mais je vais en trouver pour citer à la barre l'industrialisation de l'agriculture, la domestication des campagnes par les lotissements, les zonings et les autoroutes. L'utilisation massive des pesticides et des insecticides a été mortelle pour les oiseaux et les insectes, sans compter la flore. Les terres de culture réduites à l'état de Sahel ne produisent plus sans l'apport d'engrais, empoisonnant nos eaux. La banlieue galope au détriment des villages et les fusions de communes ont eu pour effet pervers l'utilisation de machines pour l'entretien des talus. Tout pour l'automobile! Tout pour produire...des surplus! Il suffit d'une infime quantité de "Gaucho", de "Régent" ou de "Temmik" pour foudroyer sur place un animal de cinq kilos (j'en ai été le témoin). Dites-moi, avez-vous déjà vu un chasseur poursuivre les hannetons en battue, traquer les abeilles, tirer les moineaux et les hirondelles? Le hanneton, ce bouffeur d'aubépine, a disparu, les abeilles sont menacées. Des lecteurs, photos à l'appui, me disent qu'il y a encore des hirondelles oui, mais autour des bâtiments de fermes. Pour le reste, terminé, plus de nids, plus rien à manger (insectes ou graines) ; alors où est le chasseur dans tout cela? Il y en a de moins en moins, le double permis Wallonie Flandre étant obligatoire. En cause aussi, la disparition du petit gibier massacré, broyé, déchiqueté par les machines lors des récoltes. Alors, plus facile de crier "chasseur assassin" que de montrer du doigt les lobbies agrochimiques. Eau, terre, air, notre vie est menacée. Et que fait le parti Ecolo? De la bicyclette. C'est toujours çà!".

"Bardot, je la revois un jour de 1955 dans tout l'éclat de sa juvénile beauté, pas encore star mais déjà Bardot. J'étais aux studios de Boulogne-Billancourt pour le tournage des "Grandes manoeuvres" de René Clair. J'en avais terminé lorsque je l'aperçus dans les coulisses, blottie dans une calèche, s'embêtant ferme. Le cinéma est une longue attente, surtout pour les seconds rôles. Je lui demandais quel était son écrivain préféré. Hemingway, me dit-elle du bout des lèvres. Quel roman? Silence. J'avais ma petite interview un peu vacharde. Planter là Bardot, idiot que j'ai été! Michèle Morgan, d'accord pour trois minutes d'interview. Elle tournait "Marie-Antoinette". D'avoir devant moi la Nelly du "Quai des Brumes", idole de ma génération, j'ai été nul. Elle daigna sourire et demanda une retouche à sa maquilleuse. Gabin, lui aussi, était au maquillage : "Sont chiants les journalistes", dit-il, "Qu'en penses-tu mon petit gars? (...) Eh ben voilà, on s'est tout dit!". Ce fut l'interview la plus courte. Du pur Gabin! En revanche, Louis de Funès, l'homme le plus triste et le plus inquiet au monde, m'accorda deux heures. Tchernia, le bonheur, toutes nos lectures enfantines, des "Pieds Nickelés" à Curwood. En télé, l'intervieweur est dominant. Ils veulent tous passer au petit écran. Goscinny fut génial, le prince Rainier d'une grande cordialité. C'est peut-être dans les "Mémoires d'enfance" pour le "Pourquoi pas?" que j'ai peaufiné l'interview de tout ce que la Belgique comptait de seniors. Je revois André Cools me ramenant chez lui pour déjeuner en famille : "M'man, c'est moi!". Armand Bachelier, que je connaissais depuis trente ans, me révéla qu'il haïssait son père et qu'il avait survécu durant l'Occupation grâce aux croûtes de fromage que sa mère recevait gratis dans les épiceries. Pierre Devos m'a dit d'entrée : "Mon père était un con!". Le plus dur, les sportifs : tel grand champion se souvenait d'un ballon de foot en papier mâché. C'était un peu mince! Desgraupes n'intervint pas alors que mon stylo pissait l'encre sur mes feuillets... Ah la vache!".

A lire également sur René Henoumont : http://ecrivainsbelges.blogspot.com/2009/09/deces-de-rene-henoumont.html

1 commentaire :

  1. Merci de nous offrir ces splendides billets, son bagout, son bon sens, ce sourire sur papier ... Il nous manque moins quand on sait qu'il nous en reste tant, de ces sourires sur papier!

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