mardi 13 octobre 2009

Editorial sur les traductions par Jean-Luc Outers

Voici l'éditorial de Jean-Luc Outers dans la dernière revue bimensuelle "Le Carnet et les Instants" (que vous pouvez recevoir gratuitement sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la communauté française) :

Joseph Hanse cite le maréchal Vorochilov, président de l'URSS, venu à Bruxelles inaugurer le pavillon soviétique de l'Exposition Universelle de 1958 : "L'oeuvre immortelle de Charles De Coster, La légende d'Ulenspiegel, a connu chez nous 42 éditions, en langues russe, ukrainienne, biélorusse, arménienne, lettonne, lituanienne, estonienne, tchouave et autres. N'est-il pas éloquent au point de vue de l'intérêt qu'ont les Soviétiques pour l'héritage culturel d'autres peuples, le fait même que le peuple de Tchouvachie, autrefois à peu près totalement illettré, lise aujourd'hui dans sa langue maternelle l'oeuvre du classique belge?".

Etrange destin que cette oeuvre, écrite en langue française mais qui fut davantage lue dans ses multiples traductions. Il est vrai que la critique parisienne avait reproché à l'auteur son "charabia", lui qui précisément s'était élevé contre ceux qui "finiront par user la langue à force de la polir". "La légende d'Ulenspiegel", traduite dans la plupart des langues européennes, a fait à peu près le tour du monde aux côtés des fresques picaresques qui sont l'abrégé d'une époque comme "Don Quichotte" ou "Le brave soldat Schweik".

Maurice Maeterlinck connut un succès mondial sans précédent. Ses pièces furent jouées sur les plus grandes scènes européennes et américaines avant même que Debussy n'adapte pour l'opéra "Pelleas et Mélissande" que, chaque année encore, on représente de par le monde. "L'oiseau bleu" fut créé à Moscou en 1908 par Stanislavski, metteur en scène à la pointe de la modernité, avant d'être monté à Londres, à New York, et à Paris en 1911 seulement, l'année du Prix Nobel de littérature. Et jusqu'à ces dernières années sans discontinuer, malgré les bouleversements politiques, cette féerie fut représentée dans la capitale russe. Les Archives et Musée de la Littérature ont dénombré pas moins de 700 traductions d'oeuvres de Maeterlinck, même s'il se peut que ce chiffre soit plus révélateur du nombre d'éditions que de traductions originales. Les romans de Simenon constituent un autre exemple d'une oeuvre qui s'est répandue dans le monde entier comme une traînée de poudre. Cinq cent millions d'exemplaires vendus, toutes langues confondues, est un chiffre souvent cité qui en fait l'auteur contemporain de langue française le plus lu sur la planète.

Aujourd'hui, Amélie Nothomb et Jean-Philippe Toussaint sont les auteurs belges les plus traduits. La traduction de "Stupeur et tremblements", par exemple, s'est, pour plusieurs langues, négociée aux enchères à la Foire du Livre de Francfort. Les romans de Jean-Philippe Toussaint sont traduits dans vingt langues et le premier, "La salle de bain", s'est vendu au Japon à 120.000 exemplaires, à tel point que cette oeuvre fut davantage lue en japonais qu'en français! Ce rayonnement inimaginable au pays du Soleil Levant a d'ailleurs valu à son traducteur Kan Nozaki le prix de la traduction de la Communauté française.

Il ne faudrait surtout pas déduire des exemples cités que les éditeurs du monde entier se précipitent sur nos Lettres pour les traduire et les diffuser en masse. Bien au contraire, puisque nombre de nos auteurs, sinon la majorité, ne sont traduits dans aucune langue. Il n'y a là rien de surprenant si ce n'est que certaines oeuvres, bénéficiant pourtant chez nous d'une reconnaissance publique et critique, sont à peu près inconnues à l'étranger. Par ailleurs, il est des mondes éditoriaux relativement fermés à la traduction littéraire contemporaine. C'est le cas de l'édition anglo-saxonne où seuls 3% des ouvrages publiés sont traduits d'une littérature étrangère. A l'inverse, nos Lettres bénéficient d'une attention constante des éditeurs d'Europe centrale et orientale, où la Roumanie surtout fait figure d'exemple.

Le marché éditorial international impose donc un effort de promotion des éditeurs mais également des pouvoirs publics. Le Service de Promotion des Lettres s'y emploie de multiples manières. Il envoie chaque année une moyenne de 20.000 ouvrages sélectionnés par la Commission des Lettres à destination des bibliothèques des facultés de lettres universitaires réparties dans quarante pays. Il assure, en collaboration avec Wallonie-Bruxelles International, une présence dans les principaux salons du livre. Il octroie un soutien financier aux éditeurs étrangers publiant des ouvrages de nos auteurs. Une vingtaine de traductions sont ainsi subventionnées chaque année. Il est enfin partenaire du Collège européen des traducteurs littéraires de Seneffe qui accueille en résidence des traducteurs du monde entier se consacrant à la traduction de nos Lettres. Ces efforts contribuent sans doute à promouvoir les lettres françaises de Belgique au delà des frontières de la langue.
Jean-Luc Outers

2 commentaires :

  1. J'avais en effet lu que seuls 3% des livres publiés en anglais étaient des traductions! Tout ce que ces gens perdent en culture est incroyable. Ici (USA), les films "étrangers" sont considérés uniquement pour les "intellectuels" et pratiquement négligés, sauf justement dans les communautés "intellectuelles"...

    Dommage!

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  2. Entre-temps, la traduction du livre 'nous sommes tous des playmobiles' de Nicolas Ancion en néerlandais est publiée le mois passé. En allemand, elle se prépare. Quant à moi, je prépare la traduction de carbowaterstoemp de Thomas Gunzig

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