Né en 1963 à Uccle, Vincent Engel est l'auteur de nombreux essais, romans et pièces de théâtre. Professeur à l'UCL et à l'IHECS, c'est aussi un écrivain engagé qui tient des chroniques pour le journal "Le Soir" et la radio La Première.
Il y a quelques jours, Vincent Engel a donné son avis sur la politique et la société aux journaux du groupe L'Avenir :
"Les autorités redoutent des violences de la part des gilets jaunes. Le 2 décembre, 70.000 personnes manifestaient à Bruxelles pour le climat de manière très pacifique. Comment expliquer cette différence?
- Le mouvement du dimanche 2 décembre était préparé, relayé par une structure, des corps intermédiaires. Les gilets jaunes, c'est un mouvement spontané, qui est le fruit du travail de sape constant de ces corps intermédiaires. Le gouvernement se retrouve directement face à la population. Cela peut donner l'impression de partir dans tous les sens, mais ce n'est pas moins légitime que le mouvement du 2 décembre.
- L'expression des deux mouvements est différente, mais ne peut-on y voir un même malaise?
- Il y a un point commun : le sentiment dans la population que l'ordre politique s'occupe davantage des impératifs et des besoins de l'ordre financier que des priorités de la population. On fait peser le poids des mutations sur les plus fragilisés, sur ceux qui n'ont aucune alternative crédible. Et on demande que ce soit vous et moi qui fassions l'effort en matière d'écologie, mais dans le même temps, les compagnies aériennes et les plus grands pollueurs sont à peine taxés.
- Rien d'inédit dans cette attitude des gens de pouvoir?
- On est quand même à un point particulier dans l'attitude des gouvernants qui méprisent ce qui peut venir de la population. Ce mépris se marque fortement dans les écarts de richesse, surtout depuis les années 90. Les inégalités, les gens peuvent s'en accommoder, tant qu'elles restent raisonnables.
- La fracture sociale grandit.
- On a beau dire que le niveau de vie n'a jamais été meilleur, la discordance entre les chiffres avancés par les gouvernements et la réalité que les gens vivent est criante. Ce n'est pas une impression : on peut le constater tous les jours. Ce qui est difficile, c'est l'arrogance et le mépris qu'on sent en face. Quand un président dit qu'il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot, c'est une forme de violence. La violence n'est pas seulement celle qu'on nous montre dans les médias.
- En France, les gilets jaunes ont obtenu quelques concessions. Est-ce que la violence paie mieux que le pacifisme?
- Macron a fait un petit pas en arrière, mais c'est temporaire. Il lâche un peu de lest pour gagner du temps, et table sur l'essoufflement d'un mouvement qui n'est pas structuré. Et il insiste énormément sur les débordements, sur les casseurs. On s'attend à une guerre civile. Il y a une dramatisation pour que tout débordement couvre tout le reste.
- La voie pacifique ne donne pas des effets plus concrets pour ce qui est du climat.
- C'est pour cela que le coup de gueule de Bouli Lanners est justifié. L'attitude de Marghem est invraisemblable. S'ils continuent à mépriser un mouvement et à criminaliser l'autre, ils vont se retrouver face à de la violence dont ils seront les seuls responsables.
- Au fond, gilets jaunes et "gilets verts" ne sont-ils pas compatibles?
- Je ne vois pas pourquoi ils s'opposeraient. Bien sûr, si on se focalise sur la question du carburant, ils s'opposent. Mais si on propose aux gens une voie de lutte contre le réchauffement climatique avec une vraie politique de transports en commun efficaces et accessibles à tous, on répond à ces problèmes-là. Ceci dit, ces gens en gilet jaune ne manifestent pas seulement pour le prix du diesel.
- Que peut répondre le politique?
- Ce qu'il faut en face, c'est une attitude ouverte et pas seulement un petit saupoudrage cosmético-électoraliste. Ce n'est pas à ces mouvements de se structurer davantage, c'est au politique de modifier les structures pour laisser une place significative aux citoyens. C'est une nouvelle forme de démocratie.
- Nous ne vivons pas en démocratie?
- La réalité que nous vivons, c'est une démocratie qui, par bien des aspects, n'est plus trop démocratique. Et qui est en danger par un affaiblissement interne, davantage que par la menace de terroristes.
- Les mouvements citoyens peu structurés, sans tête, ne risquent-ils pas une récupération politique?
- Tout est récupérable. Cela va dépendre de la force morale des individus et de l'honnêteté du politique. La manipulation est une règle qui régit les rapports humains, mais le risque de récupération ne doit pas être l'argument pour ne rien faire. La seule piste est la vigilance, ça ne peut pas être le renoncement".
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