samedi 23 mai 2009

Interview de l'écrivain belge Eric-Emmanuel Schmitt

A l'occasion de la sortie de son nouveau roman "Le sumo qui ne pouvait pas grossir" (qui raconte la rencontre entre un adolescent fugueur et un maître du sumo), l'écrivain belge Eric-Emmanuel Schmitt s'est confié cette semaine au journal "La Dernière Heure" :

"Comment avez-vous fait pour vous immiscer à ce point dans cette culture?
- J'ai eu un grand choc la première fois que je suis allé au Japon. Je ne me suis jamais autant senti à l'étranger que là-bas. Et pourtant, j'ai beaucoup voyagé. Je me sentais dans d'autres repères, y compris spatiaux. La nourriture est différente, les rapports hommes-femmes, les rapports sociaux. J'étais dans une étrangeté totale et une certaine fascination, aussi.
- Et quelle a été votre voie d'accès?
- Un jour, j'étais à Kyoto, dans un jardin zen par désoeuvrement et par respect de mes hôtes qui étaient japonais. Tout à coup, j'ai été happé par ce jardin et j'ai commencé à faire le trajet des yeux qu'il me demandait, puis le trajet imaginaire. J'ai vécu cette expérience que je fais vivre à June : cesser de penser avec ma conscience, mais avec une conscience plus cosmique. Penser avec le vide qui est entre toutes choses. C'est un concept que je ne pouvais concevoir avec ma tête, mais que mon corps a compris.
- Comment avez-vous trouvé les mots pour dire ce que votre corps avait ressenti?
- C'est là que je suis heureux d'écrire de la fiction : je trouve des images et des émotions pour dire les choses. Cet adolescent est japonais, mais universel...
- Cet adolescent, c'est celui que vous étiez et ce sage, c'est celui que vous avez envie d'être?
- Oui... Cet adolescent me ressemble beaucoup et ce sage m'attire beaucoup. En même temps, je crois que sagesse et adolescence ne sont pas des âges, mais des états que l'on porte en soi toute sa vie.
- La sagesse, quand vous la cherchez, vous la trouvez où?
- Je l'ai cherchée pour me libérer de la souffrance et de la violence que j'ai en moi. J'ai une grande capacité de souffrir, qui n'apparaît pas parce que j'ai réussi mon chemin. Et puis, j'étais très colérique quand j'étais jeune.
- Le héros reçoit de sa mère des lettres sans mots. Un comble d'imagination pour un auteur!
- Il y a moyen de communiquer sans les mots. J'avais envie de dire çà dans un livre. On peut être analphabète et s'exprimer avec infiniment de délicatesse. Je me suis dit que j'allais vraiment le faire avec mes amis : c'est bien de réveiller l'imagination de l'autre en changeant les symboles.
- A une époque où tout le monde veut être mince, lui fait tout pour être gros : çà fait du bien?
- N'est-ce pas? Il faut dire qu'on est au Japon. Là, les gens ne sont pas gros du tout. Le régime alimentaire fait des centenaires et des gens minces. Donc, quand on est gros là-bas, c'est qu'on l'a voulu. Les sumos sont des êtres à part, qui grossissent volontairement, et c'est pour çà qu'ils ont ce statut d'idoles. Pour les hommes, ce sont des champions et pour les femmes, des sex-symbols... Mon grand-père était très rond et ma grand-mère disait toujours : "C'est un bel homme". A l'époque, quand on avait réussi, on avait de la prestance et du volume.
- Vous avez eu des réactions auxquelles vous ne vous attendiez pas?
- J'ai découvert un usage de ce livre auquel je n'avais pas pensé : des parents d'enfants anorexiques lisent ce livre et l'offrent à leur enfant. Car ce garçon est un anorexique mental. Souvent, c'est dû à un deuil qui n'a pas été fait. J'ai été bouleversé par cette idée. Quand j'avais écrit "Oscar et la dame rose", on m'avait dit qu'on le faisait lire à des patients en fin de vie. Je trouvais çà dingue, mais juste. On ne sait pas ce qu'on écrit, en fait..."

2 commentaires :

  1. Bonsoir Petit Belge,
    "Il y a moyen de communiquer sans les mots. J'avais envie de dire çà dans un livre. On peut être analphabète et s'exprimer avec infiniment de délicatesse. Je me suis dit que j'allais vraiment le faire avec mes amis : c'est bien de réveiller l'imagination de l'autre en changeant les symboles."
    Voilà qui m'a motivé pour revenir à EE Schmitt que je n'ai plus ouvert depuis sa trilogie. Et ça n'a rien à voir ou quand même un tout petit peu, mais Jacqueline Bir était exceptionnelle dans son interprétation d'Oscar et la Dame rose! Bon Week-end!

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  2. -Cesser de penser avec ma conscience, mais avec une conscience plus cosmique-
    J'aime bien cette ouverture, la faculté de se remettre en question :-)
    Eric-Emmanuel Schmitt est un auteur que j'apprécie beaucoup, talentueux, modeste et sage!
    Amicalement
    Marcelle

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