A certains, le monde des Lettres fait peur. Il apparaît comme mystérieux, replié sur lui-même, plein de morgue, cultivant l'ego, tout petit monde dans le vaste monde. Pourtant on y trouve en raccourci, comme disait Brassens à propos des amours d'un jour, l'essentiel de ce qui fait la vie du vaste monde : ses problèmes, ses farces, ses drames, ses fidélités, ses injustices, sa gravité, sa légèreté. A l'instar du vaste monde, il fonctionne grâce à des institutions, vit de son commerce, de ses marchés, sa géographie est complexe, traversée de cénacles, de réseaux, d'instances qui distribuent blâmes et récompenses. Sa légitimité, il la tire de son lectorat qui choisit avec plus ou moins de goût, mais librement, ses élus sur les tables des libraires.
C'est un monde où il se passe toujours quelque chose. L'actualité n'y a pas de répit. Ainsi cette information datant de la fin mars mais qui ne risque pas de vieillir : François Weyergans a été élu à l'Académie française où il succède à l'ancien commissaire-priseur Maurice Rheims. Bravo le Belge! Ou plutôt le Franco-Belge. Décidément, le nouvel immortel aura obtenu les plus belles reconnaissances des deux côtés de la frontière : prix Rossel, prix Renaudot, prix Goncourt et maintenant la Coupole.
La joie, la peine. Peu de temps avant cette élection, une voix émue au téléphone nous annonçait au téléphone la disparition du poète Claude Haumont, parti sur la pointe des pieds. Cet homme discret, ami de Balthazar, Prévot, Chavée, Norge, pour n'en citer que quelques-uns, nul doute qu'il sera immortel dans la mémoire de cette voix émue. Immortel, le fameux mot! Un qui est assuré de l'être pendant longtemps, c'est Georges Simenon : à l'heure où on va bientôt célébrer le vingtième anniversaire de son décès, ses lecteurs restent très nombreux. En poche mais aussi dans la prestigieuse Pléiade, où il figure parmi les meilleures ventes. Pour la petite histoire, sait-on que le père de Maigret faillit être des deux Académies? La Belge et la Française, où François Mauriac le pressait de faire candidature.
Une autre forme d'immortalité, c'est le Nobel. Un seul écrivain belge, Maurice Maeterlinck, eut cette récompense suprême. A l'époque, sa renommée était immense. Aujourd'hui, des colloques se préparent pour commémorer l'événement en automne 2011. Bref, même si on ne le lit plus guère (mais on le joue), il est toujours là. Avec une oeuvre que certains se préparent à revisiter.
Et puis, il y a tous ceux qui ont déserté le monde des Lettres, pour qui, depuis belle lurette, il n'y a plus d'actualité. Ce n'est pas toujours la mort qui les a soustraits au plaisir qu'on avait de les lire. C'est parfois autre chose, mais quoi? Peut-être que le monde des Lettres n'était pas fait pour eux, qu'ils s'y sentaient mal à l'aise? Peut-être que ce monde, après les avoir acceptés, encensés quelquefois, les a rejetés tout à coup. Plus d'éditeur, plus de presse, plus de lecteurs. A moins que la source ne se soit tarie. Des périodes sèches, tous les écrivains en connaissent, ils sont alors déprimés, invivables, scrutant la plus petite goutte annonçant le retour du flux fécond. Dans d'autres cas, les difficultés matérielles ont eu raison de leur disponibilité, les malheurs les ont frappés, et la littérature n'a pu les consoler.
Mais ici comme ailleurs, il ne faut jamais dire jamais. La vie littéraire nous a habitués à des résurrections où le talent l'emporte sur l'oubli. C'est une question d'années, parfois de décennies. Emmanuel Bove, Pierre Bost, André Fraigneau, Jean Freustié, Madeleine Bourdouxhe, Jacqueline Harpman, René Swennen, et combien d'autres, sont de retour parmi nous. Dans le monde des Lettres comme dans le vaste monde, une éclipse ne dure que le temps d'une éclipse.
Chronique de Michel Lambert dans la revue bimensuelle et gratuite "Le Carnet et les Instants" (juin 2009) publiée par le Service de Promotion des Lettres Belges de langue française.
jeudi 11 juin 2009
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Beau texte... L'âme d'un pays passe aux générations futures par l'art, parfois aussi aux générations en cours... Les textes qu'on doit lire en classe, il en reste parfois quelque chose. Et si ils parlent d'atmosphères familières... ils entrent en nous et en s'en vont jamais tout à fait!
RépondreSupprimer"son lectorat qui choisit avec plus ou moins de goût, mais librement, ses élus sur les tables des libraires."
RépondreSupprimerLa phrase la plus importante.