mercredi 20 septembre 2023

Chronique "Résister" par Colette Nys-Mazure

Dans la revue catholique "Dimanche",  l'auteure belge Colette Nys-Mazure rédige une chronique de temps en temps. Voici l'une d'entre elles qu'elle a intitulée "Résister" :

Résister, j'aime ce mot qui évoque aussi bien la résistance des matériaux que la Résistance pendant l'Occupation ou celle que manifeste une personne minée par une maladie grave :  une force s'oppose à une autre. Cet acte profondément humain se pratique en petit comme en grand. 

"Quel est le timing aujourd'hui ?   - Dis plutôt l'ordre du jour ou le programme ou tes intentions...".  Je suis saturée de ce franglais alors que notre langue française menacée dispose du vocabulaire adéquat ! On m'objecte avec condescendance que l'assaut irrésistible des sciences, des techniques, de l'informatique, du tourisme international...exige le recours à l'anglais. J'entends mais je n'en tiens pas moins à notre terroir. Je m'arc-boute à notre langue maternelle tellement riche et belle :  comme je râle de lire booster au lieu de stimuler, challenge plutôt que défi, surfer à la place du poétique chevaucher la vague...

Résister aux influenceurs et influenceuses de tout horizon. Je repense à ce film vu il y a des éternités, dont j'ai oublié le titre :  un vieil homme s'obstinait à sauvegarder sa maison au milieu d'un terrain voué à la construction d'immeubles. Il incarnait la résistance aux nouveaux modèles d'habitat et aux tentations du chantage par l'argent, par l'intimidation puis la terreur. David contre Goliath ?

Résister aux flux d'information en continu qui mobilise notre temps sans nous laisser celui de la vraie rencontre en présence. Des nouvelles du monde soigneusement triées pour produire l'effet immédiat de panique entraînant la procrastination, voire l'impuissance et l'inaction. Je ne suis pas réactionnaire pour un sou, mais je suis écoeurée de ces fausses nouvelles. Ce jour, je me sens d'humeur rageuse, ravageuse. Trop, c'est trop. J'en ai assez des hypothèses échafaudées par les faux prophètes, des experts du grand écran autour des guerres, des séismes, de la pollution. Se ressent le plaisir de briller, de parader plus que d'exposer modestement des connaissances utiles. La fierté de connaître une heure de gloire télévisuelle l'emporte sur la communication d'un savoir rigoureux et sans complaisance.

Résister aux modes, aux vacances coûteuses en émanations de carbone, aux achats vestimentaires ou domestiques activés par la publicité, les promotions, les soldes tronquées. Et que dire des remèdes miracles ? 

Hygiène mentale et physique. Aujourd'hui, dans le sillage des révélations gravissimes de pédophilie, on apprend tôt aux enfants à dire "Non, mon corps est à moi, je ne consens pas à". Ne faudrait-il pas les alerter aussi de l'existence de prédateurs par écrans interposés ?

J'ai besoin d'aiguiser ma plume, en l'occurence mon clavier, pour résister à cette vague de fond qui tend à nous uniformiser (je n'userai pas de l'anglicisme formater !), nous anesthésier pour mieux nous faire consommer alors que le monde brûle, que les ressources s'amenuisent. Kundera vient de mourir mais son alarme résonne :  nous sommes menacés par les "termites de la réduction" à chaque tournant, non seulement de l'Histoire mais aussi de nos histoires privées.

Comme il est difficile de rester un homme, une femme debout, dans l'indépendance vaillante, l'ouverture aux souffles venus d'ailleurs mais d'abord dans un enracinement profond. Nos vrais amis ne seraient-ils pas ceux et celles qui ne se contentent pas de partager nos goûts, nos valeurs, nos intimes convictions, mais qui nous remettent en question lors de débats confiants et argumentés. Quelle vie spirituelle cultiver pour une résistance essentielle ?

Colette Nys-Mazure (chronique dans une des revues "Dimanche" de septembre 2023)

mercredi 23 août 2023

"Les Dragons" (Jérôme Colin)

                                         


Après "Eviter les péages" et "Le champ de Bataille",  l'auteur belge Jérôme Colin sort un troisième roman consacré à l'adolescence et publié par les éditions Allary. A cette occasion, il a accordé une interview aux quotidiens du groupe L'Avenir :

"C'est une fiction et en même temps, le héros a le même prénom que vous. Vous n'avez pas peur qu'on vous psychanalyse ?
- Ce n'est pas ma vie. Que les gens puissent le croire, je n'en ai rien à faire. Il n'y a aucune honte à parler de santé mentale, il n'y a rien de honteux à craquer, rien de honteux à dire qu'on a besoin des autres.

- Mais pourquoi c'était le moment ?
- Le Covid a empiré les choses. Il a coupé les jeunes du monde dans un moment où ils avaient un besoin vital des autres. Les dégâts sont immenses et très mal évalués. Un tiers des 12-18 ans déclarent avoir des troubles anxieux. Un sur dix a déjà pensé au suicide. Ca veut dire que sur une classe de 30 ados, trois ont déjà eu envie de mourir ! C'est effrayant ! Et depuis le Covid, les tentatives de suicide ont augmenté de 50% chez les filles, les automutilations aussi. On ne peut reprendre vie qu'avec les autres. On entend souvent :  "Prends soin de toi". Je n' y crois pas. Il n'y a que l'échange qui guérit. On devrait plutôt dire "Qu'est-ce qu'on peut s'apporter l'un l'autre?".

- Vous avez passé du temps dans un centre pour ados ?
- Je voulais raconter une histoire d'amour entre ados. Je savais dans les grandes lignes ce que je voulais raconter. Mais je devais rencontrer des encadrants, des enfants, les entendre pour essayer de comprendre pourquoi ils vont si mal et raconter leur quotidien. Je me suis présenté, j'ai expliqué ce que j'écrivais, un roman. J'ai dit que je serais là et qu'ils pouvaient venir me voir. Je suis resté trois jours seul à ma table. Ils me disaient bonjour mais aucun ne s'est assis. Et puis dès qu'un a osé venir me parler, ils sont tous venus.

- Qu'est-ce qu'ils ont en commun ?
- Ils sont très différents. Quelles que soient les raisons pour lesquelles ils sont là, ils souffrent tous.

- Comment on rentre de journées comme ça ?
- En pleurant ! Il y avait des jours très joyeux aussi, mais je rentrais toujours bouleversé. J'ai été soufflé de leur honnêteté, je me demandais comment c'est possible d'être si jeune et d'avoir traversé tant de choses....

- Ils ont lu le livre ?
- J'ai envoyé le manuscrit au psychiatre du centre avant que cela parte à l'impression. C'est une fiction : je suis libre d'écrire ce que je veux, mais je ne voulais pas raconter de bêtises. Et surtout, c'était important de donner une image juste de ce qu'il s'y passe. C'est mon métier de journaliste qui ressort".

jeudi 8 juin 2023

Colette Nys-Mazure et le vis-à-vis

Colette Nys-Mazure a écrit une chronique très juste sur le vis-à-vis dans la revue catholique "Dimanche". Cela m'a rappelé un soir de Foire du Livre de Bruxelles où je me suis retrouvé par hasard dans le train...avec Colette Nys-Mazure. Nous avons parlé ensemble une demi-heure de lecture. Un très beau souvenir !

Voici le texte de Colette Nys-Mazure :

Vis en ancien français désignait le visage, ce qu'on voit, la figure, la face. Ce n'est pas inutile de s'en souvenir en notre univers d'écrans qui s'interposent entre les personnes au travail, dans les relations ou les loisirs. Je discutais volontiers avec la guichetière de la gare, de la banque, d'un accueil....mais la machine à distribuer titres de transport, billets ou toutes à travers le dédale des bâtiments administratifs et des hôpitaux ne m'en offre plus guère l'occasion. 

Dans les surfaces commerciales anonymes, je repère l'un ou l'autre solitaire en quête d'un contact, s'efforçant de retenir mon attention autour d'une salade moins fraîche ou d'une nouvelle marque de bière. Le distributeur, le service électronique n'aura jamais raison du besoin de parole.

Si j'aime la foule de visages inconnus, connus, reconnus, j'ai une préférence pour le tête-à-tête, les moments plus intimes de colloque singulier. Lors des fêtes amicales, des échanges vibrants, bruyants en tous sens, je n'en recherche pas moins ces instants privilégiés où je ne m'adresse qu'à une seule personne, que ce soit face-à-face autour d'une table ou côte-à-côte en marchant. Je provoque cette chance d'alterner le groupe et l'individu. Cette proximité sans promiscuité que je chéris.

Dans une famille heureuse de se retrouver, il me semble essentiel de sauvegarder des aires de rencontre privilégiée avec l'un puis l'autre au gré des circonstances, saisies sans hésiter. Ce samedi ne manquait pas de projets mais voici qu'une petite-fille propose de venir partager repas et promenade. Je modifie aussitôt mon programme.

Nous voici flânant dans un bois lourdement parfumé à l'ail des ours. Elle évoque son travail, apprentissages, plaisirs, interrogations. Je lui raconte le dernier film apprécié, en l'occurence "Le bleu du caftan" réalisé par Maryam Touzani, sa noblesse, la beauté des images et des êtres. Elle s'y intéresse, demande des précisions avant de raconter à son tour "Everything everywhere all at once" réalisé par Daniel Scheinert et Daniel Kwan, dont je n'ai perçu que la rumeur sans en connaître le contenu. Elle m'explique ce qui l'a fascinée dans cette audacieuse fiction couronnée de nombreuses distinctions : les choix et leurs conséquences. 

Nous enjambons les branches mortes, évitons le centre boueux du chemin encaissé, elle me retient dans une descente glissante. Sans avoir senti le temps filer, nous sommes étonnées d'atteindre déjà l'issue du bois, au moment où pénètrent une femme et son énorme chien blanc. 

Lorsqu'elle enfourche gaillardement son vélo pour rentrer chez elle, je me sens accrue par notre simple conversation. Cinquante-cinq ans nous séparent, aujourd'hui on dirait onze générations ! Dans la mesure où s'accélère l'évolution, cinq ans suffisent pour tout modifier. Et cependant, nous pouvons nous rejoindre, nous ouvrir l'une à l'autre des horizons insoupçonnés, nous enrichir. Elle m'a permis d'entrevoir son imaginaire autant que ses préoccupations professionnelles. Je la connais mieux et ne l'en aime que davantage.

Avec un alliage étrange de pudeur mal placée, de discrétion respectable mais équivoque, de crainte de ne pas être à la hauteur, mais aussi la fausse conviction que le fossé des âges est pratiquement infranchissable, nous nous retenons d'oser le dialogue, de lancer l'invitation alors que si nous sautons le pas, nous sommes émerveillés de la qualité des partages. Derrière les visages, tant de paysages imprévisibles. Derrière les conduites surprenantes, différentes de celles que l'éducation nous a inculquées autrefois, nous découvrons des modes de vie passionnants. Au lieu de nous retirer, de nous restreindre et parfois de nous racornir, nous élargissons notre champ de vue, de vie.

Qu'est-ce qui t'anime, qu'est-ce qui te fait vivre ? En nous, ce désir flagrant et jamais rassasié : fais-moi voir Ton visage.

Colette Nys-Mazure

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mercredi 24 mai 2023

La librairie "Chantelivre" à Tournai

La revue "Le Carnet et les Instants" continue - avec raison - de mettre à l'honneur des librairies du sud du pays. Voici un extrait des confidences de Catherine Vanmansart qui dirige la librairie "Chantelivre" à Tournai :

"La fondatrice avait ouvert un beau magasin de livres jeunesse et de jeux-jouets. Au fur et à mesure, elle a engagé plusieurs personnes. Je suis arrivée en 1999. Le lieu étant assez petit et pas très bien configuré, nous avons prospecté pour trouver une surface de plus de 100 m2 dans le centre-ville, ce qui était une de nos priorités. Les représentants nous encourageaient à ouvrir un rayon livre adultes plus important, mais l'espace manquait. C'est un couple de clients qui nous a parlé du pâté de maisons Notre-Dame avec cinq bouts de murs qu'ils étaient en train de rénover. 

Cette ancienne demeure entraîne quelques contraintes. Nous ne pouvons pas toucher aux croisillons en pierre des fenêtres, ce qui complique l'aménagement des vitrines. Mais cela contribue aussi à ce que des gens qui ne viendraient peut-être pas en librairie entrent chez nous pour découvrir l'intérieur. 

Il y a une grande part de fantasmes autour du métier de libraire. On nous imagine lire des livres toute la journée, que tout est magique, mais il y a toute l'intendance, la chaîne du livre, les frustrations face à nos concurrents directs sur Internet. Mais chaque fois que j'ouvre une caisse, je garde toujours l'émerveillement face aux nouveautés. Depuis 2-3 ans, Covid oblige, il y a plus de demande pour des livres feel good sur la bienveillance, le bien-être. Et si quelqu'un arrive au livre grâce au feel good, tant mieux, d'autant qu'il y a du bon feel good. 

Les grands-parents aiment beaucoup offrir des livres. Le public le plus difficile à capter, ce sont les adolescents. Pour moi, c'est une petite tristesse. Il y a des enfants que l'on connaît depuis toujours, qui sont venus bébés, mais qui décrochent de la lecture à 14-15 ans. C'est frustrant alors qu'il y a tellement de bons romans jeunesse. Chaque année, je fais une sélection de titre jeunesse pour les écoles de Tournai, et Juliette propose des rencontres à la librairie. Les animations bébé fonctionnent toujours bien, il y a beaucoup de demandes.

Nous avons d'autres partenariats avec "Tournai, ville en poésie", le salon littéraire Tournai la Page, le prix triennal de littérature de la ville de Tournai, le festival Les Inattendues. On s'implique aussi dans l'opération "Lisez-vous le belge?"".

Plus d'infos :   www.chantelivre.be

mercredi 3 mai 2023

L'auteure belge Odile d'Oultremont

                                       


Odile d'Oultremont (49 ans) a répondu aux questions des journaux du groupe Sud Info :

"Odile, vous avez étudié l'Histoire, puis êtes devenue scénariste. L'écriture de romans est arrivée un peu plus tardivement dans votre vie. Pourquoi ?
- J'ai commencé paradoxalement par être scénariste, ce qui n'était pas du tout prévu dans mon cursus. Et c'est le scénario qui m'a menée petit à petit au roman. Mais si vous m'aviez posé la question à 8 ans sur ce que je voulais faire plus tard, je vous aurais répondu écrivain...  C'était un rêve enfoui. Pendant très longtemps, je me suis dit que je n'étais pas à la hauteur. Et puis, je faisais diversion, c'est pour cela que j'ai étudié l'Histoire, puis j'ai fait un peu de journalisme. Il me manquait la confiance en moi, comme plein de femmes, de jeunes femmes...

- Et de vécu aussi ?
- Sans doute oui. Mais après, cette espèce d'idée reçue qu'on doit vivre des choses très compliquées pour pouvoir mieux écrire, je ne suis pas certaine que ce soit une chose à laquelle j'adhère aujourd'hui. Mais peut-être qu'à l'époque, manquant d'expérience et de confiance en moi, et d'actif, j'ai sans doute dû penser à cela.

- En 2018, votre premier roman, "Les déraisons", rencontre le succès public et critique. Qu'est-ce que cela a changé pour vous ?
- D'abord, j'étais très heureuse d'avoir écrit le roman que je rêvais d'écrire depuis très longtemps. Et son accueil, c'était la cerise sur le gâteau, totalement inattendue. J'ai eu beaucoup de chance que mon texte soit très vite accepté, je n'ai pas connu les affres de l'édition comme plein de gens. J'ai découvert qu'on pouvait faire les choses dans des conditions satisfaisantes et heureuses. Bon, je l'ai découvert tardivement, il y a moyen de le faire plus vite ! J'ai des filles, j'espère qu'elles comprendront cela bien avant moi. Cela m'a ensuite donné une énergie qui était en fait un cercle vertueux. C'est le premier pas qui est compliqué.

- Vous êtes issue d'une famille de la noblesse belge qui remonte très loin dans notre Histoire. Ce patronyme a pu être gênant pour vous ?
- Je pense que cela a été beaucoup plus difficile d'être une femme blonde aux yeux bleus, que d'avoir le patronyme que j'ai. Disons que tout cela mêlé, de temps en temps, peut être particulier parce que les gens projettent des fantasmes sur un nom, sur l'histoire. La réalité est plus normale. Ce n'est pas du tout une souffrance mais c'est parfois compliqué pour moi de l'assumer, parce que je me rends bien compte que cela fait référence à des choses qui ne sont pas toujours vraies, ensuite qu'il est nécessaire d'expliquer ou de mettre dans un contexte. Après, je n'ai pas choisi de naître dans un univers comme celui-là. Et en même temps, c'est une vraie chance parce que mes parents sont des gens très ouverts, très tolérants, qui nous ont appris la curiosité intellectuelle. C'est cela la vraie richesse, le reste n'a pas beaucoup d'importance. 

- Vos romans intéressent aussi le cinéma. Un milieu que vous connaissez bien car vous avez déjà réalisé un court-métrage ?
- Mon deuxième roman, "Baïkonour", je l'ai adapté en scénario de film et j'espère pouvoir le réaliser moi-même en 2024. Et pour ce livre "Une légère victoire", il y a des intérêts de producteurs aussi pour en faire un film. Tout est interlié". 

mercredi 19 avril 2023

"Le meurtre du docteur Vanloo" (Armel Job)

                                    


A l'occasion de la sortie de son roman "Le meurtre du docteur Vanloo" (aux éditions Robert Laffont),  l'auteur belge Armel Job s'est confié à la revue catholique "Dimanche" :

"Ce qui m'intéressait, ce n'est pas ce meurtre, qui est plutôt une manière d'accrocher l'attention du lecteur. Il importe de voir les réactions des personnes confrontées à cet événement. Pratiquement tous le font en couple. Je pars dans les mêmes conditions que mon lecteur. Je soupçonne même plusieurs de mes personnages d'être responsables de cet assassinat ! J'ai différentes issues possibles mais, au fur et à mesure que je fais agir les personnages du roman, ils prennent une certaine consistance. Et il arrive un moment où je suis obligé de m'incliner devant leur personnalité ! Les responsabilités s'établissent vraiment de cette manière. Je m'impose toujours de ne pas modifier ce qui a déjà été rédigé. L'enquête policière ne constitue pas le fil conducteur de mon roman, puisqu'il y a beaucoup d'épisodes indépendants de l'enquête elle-même.

Je ne vois pas pourquoi mes romans se dérouleraient ailleurs qu'en Belgique. La bourgeoisie est la même partout. Dans la mesure où vous mettez en scène des personnes qui appartiennent à tel univers social ou à telle profession, c'est universel ! Mes romans sont ancrés en Belgique, et dans de petites localités ou villes, mais cela peut être transporté n'importe où.

Un auteur doit travailler avec sa totale subjectivité. Selon la définition de Jean Giono, un romancier est un raconteur d'histoires. Quelquefois, je tombe sur un fait divers et je l'utilise comme point de départ, mais je n'en fais pas la chronique. C'est une opportunité. En réalité, j'ai peu utilisé les faits divers. J'écris pour le lecteur. J'aime bien le traiter avec une certaine élégance et parsemer des remarques qui le feront sourire. C'est un signe de complicité. Il est très important qu'un auteur fasse comprendre à son lecteur qu'il le considère comme une personne intelligente. Le roman n'est pas l'occasion de lui asséner des vérités, mais de réfléchir ensemble. 

Il y a des personnages que je préfère. Mais j'essaie de me montrer le plus juste possible, même avec celui dont les actions ne sont pas correctes. Je n'aime pas mettre en scène des personnages trop tranchés : uniquement bons ou mauvais. Tous les êtres humains sont complexes. Et le propre du roman, c'est de permettre au lecteur d'aller à la rencontre de ce qui fait un être humain. C'est une occasion de l'inviter à la prudence, à ne pas juger trop vite. 

C'est un roman sur la société telle que je la perçois, sur un monde qui serait en danger de disparition dans la littérature. De nos jours, celle-ci s'intéresse beaucoup à des situations très particulières et à tout ce qui tourne autour de minorités tout à fait respectables. Mais peut-être qu'elles sont en train d'expulser de la littérature ce qui fait le commun des mortels... Le plus gros de la société est composé de gens ordinaires qui ont besoin, eux aussi, de se retrouver dans la littérature. Or la littérature française est souvent bourgeoise : elle s'adresse à une certaine classe de la société. Un très grand nombre de romansse déroule souvent dans des milieux intellectuels, aisés, avec des gens qui ont le temps de se triturer l'esprit à propos de leur vie... Vous pouvez lire beaucoup de romans avant d'y trouver un vétérinaire et un fermier !  Moi, ce sont pourtant des gens que je vois à la campagne ! J'aime bien de leur donner une existence. 

L'auteur a un rôle dans la société. Il est là pour donner matière à réfléchir, poser des questions. Asséner ses opinions serait détestable. A l'inverse, on referme un bon roman en restant perplexe. Sa lecture peut nous inciter à poser un autre regard sur la société, à chasser nos préjugés, à nous éloigner des stéréotypes de représentation. J'ai de la sympathie pour les gens que je connais le mieux et avec lesquels j'ai eu une relation plus sentimentale. Mais je ne fais quand même pas une littérature de classe".

Cliquez ci-dessous sur "Job Armel" pour retrouver mes autres articles consacrés à cet écrivain belge. 

mercredi 5 avril 2023

Interview d'Ariane Le Fort

                                    


Ariane Le Fort a répondu aux questions de la revue "Le Carnet et les Instants" de janvier 2023 :

"De quel milieu social êtes-vous issue ?
- Je proviens d'une famille plutôt bourgeoise. Mon père a étudié la théologie. Suisse, il s'est installé en Belgique comme pasteur. Il est devenu professeur à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles. Ma mère, institutrice à la base, est d'un milieu industriel verviétois. Mes parents adoraient lire. La littérature faisait partie de notre vie, nous en parlions beaucoup.

- Que lisiez-vous quand vous étiez enfant ?
- Je dévorais tout ce qui me tombait sous la main, surtout les livres de la Bibliothèque rose et de la Bibliothèque verte, que j'empruntais à la bibliothèque communale. En ce qui concerne les grands auteurs entre guillemets, j'ai d'abord lu les romans historiques d'Henri Troyat. Grâce à lui, j'ai découvert la Russie. Ensuite, je suis passée à Romain Gary. J'adorais cette littérature populaire, ces grands noms accessibles, de véritables épopées. Je ne crois pas que je pourrais encore en lire. On évolue. Petit à petit, et de plus en plus, grâce à la rencontre de certains auteurs, je suis allée vers l'intime. Maupassant, Colette, je les ai énormément aimés. Et aussi des romancières, les Anglaises, les Américaines, Anita Brookner, Edith Wharton... Elles ont dû un peu m'influencer. J'ai aussi lu Marguerite Duras, sans en être fanatique. Quand on parle ainsi de littérature, il faudrait que je retourne dans ma bibliothèque, je ne me rappelle pas bien de tout. Aujourd'hui, Ian McEwan est mon écrivain préféré.

- Petite, écriviez-vous ?
- Oui. J'ai essayé d'écrire mon journal mais j'ai vite réalisé qu'en l'écrivant, je mentais. Je n'arrivais pas écrire les choses telles qu'elles étaient, mais plutôt telles que je voulais qu'on les lise, telles que je voulais les faire croire. Je me regardais écrire. Cela ne me faisait aucun bien. Je me suis dit : écris plutôt un roman. J'avais 12 ans. Ma soeur s'étant moquée de moi, je l'ai jeté à la poubelle. Nous n'en avons plus parlé. L'envie d'écrire me chipotait mais je n'osais pas m'y remettre. Vers 20 ou 23 ans, je ne sais plus, j'ai recommencé.

- Etait-ce "L'eau froide efface les rêves" ?
- Non. Avant ce titre, j'ai écrit "Léon", l'histoire d'une jeune femme qui rencontre un vieux type dans le tram. Elle se lie d'amitié avec lui, puis cela chavire. Elle a envie de le voir nu. Dans mes romans, toujours, à un moment, les choses basculent... Il n'a pas été publié, mais j'avais déjà eu un très bon contact avec Le Seuil". 

Retrouvez la suite de cette longue et intéressante interview dans la revue "Le Carnet et les Instants" que vous pouvez recevoir gratuitement par courrier sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles. 

mercredi 29 mars 2023

La librairie D Livre à Dinant

Patrick De Munck a ouvert en 2007 la librairie D Livre à Dinant en province de Namur. Il s'est confié à la revue "Le Carnet et les Instants" :

"J'ai toujours voulu être indépendant, ce qui est difficile dans un grand groupe comme Arcelor Mittal. Je voulais être mon propre patron. J'ai découvert ma voie à Banon, un petit village provençal de 1.000 habitants où un libraire a ouvert "Le Bleuet" avec l'équivalent en stock d'une FNAC parisienne, au point d'occuper désormais deux maisons adjacentes. Ce qui était possible à Banon pouvait l'être à Dinant. Dinant parce que Bruxellois à l'origine, j'y vis depuis 31 ans après avoir épousé une Dinantaise. J'ai réalisé une analyse marketing sérieuse de la région en m'appuyant sur une démarche enseignée dans les écoles françaises de formation des libraires. A l'époque, il n'y avait plus de librairie dans un rayon de 30 kilomètres, à part les points presse, et donc un marché à prendre. La zone de chalandise offrait un nombre d'habitants suffisants pour faire vivre une librairie : j'ai ainsi des lecteurs de Philippeville, Florennes, Ciney, Yvoir...et j'en ai même eu de Givet, de l'autre côté de la frontière, avant qu'une FNAC s'y installe. Une fois ma décision prise, j'ai suivi quelques formations proposées par le Syndicat des libraires francophones de Belgique. Et puis, je remercie mes profs d'humanité de m'avoir si bien enseigné la littérature française !

Les contacts interprofessionnels sont importants. On apprend beaucoup en rencontrant des collègues, en découvrant de bonnes pratiques. Cela permet d'offrir un niveau de service performant à nos clients. Se regrouper aide aussi des petites librairies comme la mienne à faire bouger les choses face à de grands groupes de distribution comme Hachette, Madrigal ou Editis. Je suis un petit libraire dans le sens où mon chiffre d'affaires ne me permet pas de peser assez lourd, par exemple pour avoir des marges intéressantes. Le rapport reste inégal. Le syndicat a permis l'émergence de la Banque du Livre, du catalogue informatique. Je viens également d'inaugurer la facture électronique avec les fournisseurs français. Je suis le premier à le faire comme libraire-test en Belgique. 

J'avais trois objectifs, et aujourd'hui, nous avons pu réaliser les trois :  la librairie physique, la librairie sur la toile et la vente de livres numériques. Déjà à l'époque, en 2007, j'estimais que la librairie en ligne deviendrait incontournable. Comme la révolution de l'imprimerie a duré une centaine d'années pour s'imposer, la révolution du numérique prendra aussi du temps mais fera partie du quotidien des lecteurs dans le futur. Je pense que les deux marchés vont vivre en parallèle et s'équilibrer. Mais à long terme, le livre papier aura moins d'importance en termes de chiffres d'affaires. Aujourd'hui, il pèse pour plus de 90%. Il est fort probable que le rapport va s'inverser dans l'avenir. 

J'ai une passion depuis l'enfance pour la lecture, mais il est indispensable d'avoir des bases de gestion pour tenir le coup. Sinon, je lis un peu de tout, de la littérature, de l'économie, de l'histoire, de la politique. Je lis aussi souvent des livres que je ne vends pas, comme la littérature du Moyen Age, qui est un dada personnel, ou la poésie flamande. Je suis preneur d'un livre sur l'histoire de Dinant, car il n'y en a plus depuis longtemps.

Je propose aussi un polar historique, "L'oratoire celte" de Daniel Remacle, un Bruxellois qui vit près de Verdun. C'est un auteur assez curieux, qui s'est autoédité après avoir suivi un atelier d'écriture de Franck Thilliez. Je ne peux pas accepter tous les livres autoédités des nombreux auteurs qui viennent en faire la promotion auprès de moi, mais Daniel Remacle est parvenu à me convaincre que son livre, finaliste du prix Fintro Ecritures noires 2020, aurait été aussi qualitatif s'il était sorti à compte d'éditeur, tant sur le plan du texte que de l'impression".

 Plus d'infos :  https://www.dlivre.com/

mercredi 25 janvier 2023

"Le plus beau cadeau" (Hakim Benbouchta)

                                 


A l'occasion de la sortie de son deuxième roman aux éditions Marque belge, l'écrivain bruxellois a répondu aux questions de la journaliste Charlotte Vanbever pour le groupe Sud Presse :

"Votre deuxième roman met en scène Harold qui renoue des liens forts avec son père. Le dénouement est superbe. Vous avez puisé dans votre histoire personnelle ?
- Oui, j'ai perdu mon père quand j'étais jeune. J'ai voulu ici idéaliser les retrouvailles avec mon père. Il est parti brusquement, je ne l'ai pas vu arriver. J'avais 16 ans, je ne savais pas du tout qu'il était malade. Je réalise qu'à l'époque, ça ne m'a pas touché du tout, autant aujourd'hui ça me touche beaucoup. J'ai voulu idéaliser cette relation en me disant :  s'il revenait de je ne sais où, est-ce que je le prendrais mal ? Non, j'en aurais profité. C'est l'état d'esprit dans lequel j'étais pour écrire ce livre. Mais cette écriture n'était pas du tout thérapeutique.

- La mort rôde un peu autour de ce roman :  le héros porte le nom de votre meilleur ami disparu, la conductrice de taxi qui inspire un personnage est décédée, et puis il y a votre père. Comment avez-vous réussi à en faire un livre lumineux, feel good ?
- Dans le cas d'Hanane, la vraie histoire est triste mais, dans le livre, j'en ai fait quelque chose de positif. J'aime les émotions, les rapports humains. Et j'aime l'idée que ça se termine bien.

- Vous avez adapté votre premier roman, "Le pseudo", en scénario. Et il est aujourd'hui adapté en film de Noël pour TF1 avec Hélène de Fougerolles et Lannick Gautry. C'est assez incroyable comme destin?
- D'abord, il n'y a pas de miracle (et tant mieux si je me jette des fleurs) :  je pense que l'idée de base du "Pseudo" était bonne. Une ado qui se fait passer pour son père sur un site de rencontres :  en une phrase, on peut pitcher le livre et ça attire. Ensuite, je me suis dit que je n'avais rien à perdre. Le non, je l'avais déjà en n'essayant pas. Et puis, il y a l'opiniâtreté, ne pas lâcher, pendant des semaines.

- Vous avez mis un terme à votre carrière dans la pub pour vous consacrer à l'écriture. Vous avez abandonné un certain confort de vie aussi ?
- Je dois être honnête :  je n'ai aucune crainte là-dessus parce que j'ai de la chance d'avoir ma famille. C'est une chance énorme de pouvoir se permettre ça. Ca fait un an et demi que je ne fais que ça, et je ne vis pas avec ce que j'ai gagné de mes livres. A ceux et celles qui veulent écrire mais ne peuvent pas arrêter de travailler, je dis de le faire comme hobby, quelques heures par semaine. Le récit mettra peut-être un an à être finalisé, mais ce n'est pas parce qu'on ne peut pas tout faire tout de suite qu'il ne faut rien faire".