A l'occasion de la sortie de son nouveau roman "Du vent", l'auteur belge Xavier Hanotte a répondu aux questions de la revue "Le Carnet et les Instants" (que vous pouvez recevoir gratuitement par courrier sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles) :
"Pourquoi ce délai plus long que d'habitude entre la parution de "Des feux fragiles dans la nuit qui vient" et "Du vent"?
- Une première raison est d'ordre physique. J'ai connu des ennuis de santé qui ne me permettaient pas de me concentrer comme j'en ai l'habitude sur l'écriture d'un roman. Mais il y avait aussi des raisons liées à la création. Avec "Des feux fragiles", j'étais arrivé au bout d'un cycle. Ce livre, j'y avais pensé avant même d'écrire "Manière noire". C'était en quelque sorte mon premier roman à retardement, advenu après tous ceux qu'il avait inspirés. Et donc, après "Des feux fragiles", je me suis posé la question s'il ne fallait pas songer à renouveler ma manière d'écrire. Tout en me disant que je le ferais uniquement si j'en ressentais le besoin. Aucune angoisse là-dedans, mais une interrogation sans doute classique : est-ce que j'ai encore quelque chose à dire et comment? Mes problèmes de santé s'y sont ajoutés. Pour cette raison, relancer la mécanique s'est avéré plutôt compliqué. Après "Des feux fragiles", j'avais d'ailleurs embrayé sur autre chose : un petit roman qui reprenait Barthélemy Dussert et Trientje là où je les avais laissés à la fin du "Couteau de Jenufa". Le titre provisoire était - et est toujours - "Un parfum de braise". Quelques pages existent et je compte bien m'y remettre, car "Du vent" est bouclé depuis octobre 2015 et l'envie est là.
- Qu'est-ce qui a déclenché la rédaction de "Du Vent"?
- Je m'en suis rendu compte a posteriori. Au départ, il y a un minuscule passage que l'on trouve dans "De secrètes injustices". Le commissaire Delcominette y relate à ses inspecteurs l'évasion du truand italien Donato. Ce dernier a emprunté l'uniforme d'une infirmière qu'il a ligotée avec de la bande Velpeau. L'inspecteur Marlaire, avec son humour un peu gras et macho, suggère alors de revendre les photos à une revue de bondage pour la caisse des anniversaires. Et bien entendu, Trientje ne sait pas de quoi il s'agit. Bon, soyons clairs, le bondage ne me fascine pas spécialement. Mais puisqu'il existe, quelle histoire raconte-t-il? Aucune puisqu'il neutralise tout. C'était donc un défi de narration. Si le personnage ligoté est immobile, l'intrigue aussi! Si Bénédicte Gardier ne peut pas bouger, comment faire évoluer son histoire? Donc, puisque j'aime les paradoxes, je me suis amusé à introduire une dimension de suspense dans une situation qui, a priori, ne l'autorisait pas. Je me disais aussi qu'il fallait introduire une touche d'humour, utiliser la qualité parodique du bondage tel qu'on en voyait dans presque tous les films d'espionnage des années 1960. Je me souviens qu'alors j'avais du mal à y croire - comme Jérôme Walque - tant les nœuds de cinéma semblaient aussi lâches que les scénarios... Bref, comment tirer tout ce qu'il y avait à tirer d'une situation par définition assez pauvre? Autre aspect encore : je voulais écrire en proscrivant toute vulgarité alors que le sujet semblait plutôt trivial. Encore un défi amusant. Et puis, on m'a tellement répété qu'il n'y avait jamais de sexe dans mes bouquins... Et bien, il n'y en a pas davantage dans "Du vent"...malgré son sujet!
- Mais le livre comporte également le roman sur Lépide. D'où vous est venue cette idée de lui consacrer un texte?
- Il s'agit d'une idée très ancienne. Adolescent, j'étais fasciné par un certain théâtre, celui de Giraudoux ("La Guerre de Troie n'aura pas lieu"), de Camus ("Caligula") ou de Montherlant ("La guerre civile"). L'envie est alors née d'investir moi-même l'Histoire et de lui faire dire quelque chose qui me soit personnel. Et Lépide m'intéressait de longue date, parce que c'est un personnage très méconnu. Ceux qui s'intéressent à l'histoire romaine et au second triumvirat retiennent Octave et Antoine. Ils oublient Lépide, ou se contentent de très peu. Voire divaguent. Je voulais rendre justice à un personnage que je puisse aussi, au même moment, "remplir". Du coup, puisqu'il écrit les deux récits en simultanéité (celui de Bénédicte Gardier et celui de Lépide), Jérôme Walque doit jongler avec des registres différents, voire opposés. Jusqu'à découvrir, par moments, que les extrêmes peuvent se rejoindre...
- Quelle image voulez-vous donner du personnage de Lépide?
- Lépide est un homme de bonne volonté, il cherche le mythique "juste milieu". Ce personnage tend aussi à une certaine intégrité morale, tout en connaissant ses faiblesses. La noblesse de sa famille l'obsède. Elle peut faire de lui un être parfois méprisant, mais elle lui impose aussi de se montrer à la hauteur. Pour Lépide, Antoine n'est qu'un vulgaire parvenu. Quant à Octave (le futur Auguste), Lépide n'oublie jamais que son vrai père est un usurier de province. Autrement dit, Lépide n'est en rien un personnage idéal, mais un homme qui veut bien faire et possède un sens inné de la chose publique. C'est aussi, avant tout, un homme de modération. Si la République ne fonctionne plus, il estime qu'elle ne doit pas pour autant disparaître. Il va donc tenter de concilier Antoine et Octave qui, chacun à leur manière, représentent une facette de Rome qui se prépare, où le pouvoir ne va pas sans violence. Mon Lépide combine donc vanité et responsabilité. Il croit en la parole et, surtout, en l'intelligence. En quoi il est un homme du passé, que la violence va emporter. Car voilà un général dénué de goût pour la guerre et les armes....dont tous les succès reposent sur son art de la négociation. En corollaire, il revendique un certain goût pour l'ombre, parce qu'il a le sentiment fort de n'être que le maillon d'une chaîne. Au pouvoir politique, il finira par préférer la responsabilité de Grand Pontife. Ce qui facilitera son départ du pouvoir, qu'il abandonne peut-être davantage qu'Octave ne le lui prend. En tout cas, il ne veut et ne peut entrer sans peine dans une logique de confrontation avec ses adversaires. Cela finit par caractériser son rapport problématique avec le pouvoir qu'il exerce. Quand Octave le brave en venant haranguer ses propres légions, Lépide pourrait intervenir mais il ne se montre pas et refuse de faire couler le sang. Au lieu de cela, il sort du jeu. A la fin de leur entrevue, quand Octave se vante de lui avoir retiré le pouvoir, Lépide affirme : "Le pouvoir, Octave, c'est du vent!". Ce à quoi le futur empereur répond : "Le vent, Lépide, souffle où il veut".
- Il y a aussi le roman qui raconte comment Jérôme Walque écrit le récit qui met en scène Bénédicte Gardier?
- L'ambition de Jérôme Walque est d'abord et avant tout d'écrire un roman sur Lépide. Mais entretemps, il se voit obligé d'écrire ce roman louchant vers le bondage, pour dépanner Jérémie, son ami qui est lui aussi écrivain. Il écrit donc deux chapitres et croit qu'il pourra s'arrêter là et passer le témoin à Jérémie. Du coup, il ne s'investit pas dans ce texte, l'écrit presqu'en esthète curieux. Par douce vengeance, il met même le personnage de Bénédicte dans une situation inextricable. Mais voilà que de façon parfaitement inattendue, il est appelé à continuer la rédaction et doit trouver une issue au problème qu'il a lui-même créé. A tous les niveaux et sur tous les registres, la question de la responsabilité constitue un des enjeux du livre : celle du pouvoir pour Lépide et celle de l'écriture créatrice pour Jérôme. Le contraste se marque d'autant plus que Jérôme doit mener de front deux types d'écritures très différentes".
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