mercredi 9 avril 2014
Interview de Geneviève Damas
Geneviève Damas s'est confiée à la revue "Le Carnet et les Instants" que vous pouvez recevoir gratuitement sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles :
"Comment et quand êtes-vous arrivée à l'écriture?
- Toute petite, ce qui m'intéressait, c'était de faire du théâtre, de jouer des personnages. Aussi j'écrivais des pièces pour mes copines et moi. J'ai notamment adapté "Le gendarme de Saint-Tropez". Adolescente, j'ai également écrit un journal, des poèmes, des trucs. Plus tard, en sortant de l'IAD, je me suis rendu compte que les pièces écrites par les autres ne me satisfaisaient pas. Par exemple, un prof a voulu m'engager, comme comédienne, à jouer un texte de Karl Valentin, mais je n'aime pas Karl Valentin. Je sais qu'il ne faut pas penser ainsi, mais c'est comme çà. Il m'a dit : "On se voit en septembre?". Je n'ai pas osé dire non, mais je ne l'ai pas recontacté. J'ai compris que si je ne travaillais pas avec un matériau qui me touche, cela n'irait pas. J'ai alors commencé à écrire des adaptations de romans. J'ai notamment transposé "L'invention de la solitude" de Paul Auster, mais les droits m'ont été refusés. Il fallait que je mette 50.000 francs français sur la table avant même le début des discussions. Je n'avais pas cet argent. J'ai fait d'autres adaptations, cela m'amusait beaucoup. Je réécrivais des parties complètes. Ce fut ma manière de pénétrer l'écriture. Au début des années 2000, j'ai écrit une petite pièce de théâtre pour enfants. Elle était trop bavarde, je racontais dix fois la même chose. Mon compagnon l'a lue et m'a conseillé de répondre à un appel à projets de la SACD. Cela marquerait, m'a-t-il dit, le fait que je ne faisais pas que jouer, que j'écrivais aussi. J'ai été sélectionnée. On m'en a demandé un deuxième, et de fil en aiguille, j'en ai écrit d'autres. Je n'avais jamais pensé devenir écrivain, en faire mon métier. Je me rendais simplement compte qu'une journée où j'écrivais me rendait joyeuse. Ensuite est venue la rencontre avec Hubert Nyssen. Il m'a dit que j'avais l'étoffe d'un écrivain et que je devais écrire tous les jours. Je découvrais un territoire inexploré. J'ai écrit une quinzaine de pièces. Comme il faut du temps pour qu'un spectacle soit monté, à un moment, je me suis dit : pourquoi n'écrirais-je pas des nouvelles? J'ai participé à un atelier d'écriture avec Michel Lambert qui m'a beaucoup apporté. Ensuite, assez naturellement, je suis passée au roman.
- Pourquoi écrivez-vous souvent sous la forme du monologue?
- Le premier texte de théâtre que j'ai écrit comptait quatre personnages. Puis j'ai mis en scène une pièce où nous étions six. C'était la foire tant au niveau de la disponibilité des comédiens que de l'argent. Aussi j'ai décidé d'écrire un monologue : cela ne coûterait rien, permettrait de renflouer la compagnie et je me rendrais toujours libre pour jouer.
- Le monologue est aussi la forme que l'on trouve dans vos romans?
- J'ai travaillé dans un théâtre en France et je ne cessais d'entendre : "Le français n'est pas vraiment ta langue". Le côté maternel de ma famille est flamand, alors certainement qu'il n'est pas totalement ma langue. Mais moi, au théâtre, ce qui m'intéresse, c'est de tordre la langue, d'essayer de comprendre comment elle est parlée, cette langue, notamment par ceux qui n'ont pas le droit de cité en littérature et au théâtre, et de me l'approprier. Le monologue intérieur de mes romans me permet cela aussi.
- Comment naissent vos personnages?
- Ils surgissent de la langue. Ils sont une façon de parler, un rythme, je les découvre en écrivant. Après, je barre, rature, recommence. Je suis lente, je fais, défais, refais. Je ne conçois pas de plan, j'invente ma structure au moment où j'écris. En général, j'ignore où je vais. Quelquefois jaillissent des fulgurances, des choses qui m'apparaissent et je sais qu'elles vont rester telles quelles. Alors je dois remonter, réécrire pour garder la cohérence. Jean-Luc Outers dit très bien : "Ecrire, c'est faire advenir une histoire qu'on portait au fond de soi et que l'on ignorait". Je pense que c'est çà, écrire.
- Vous commencez "Histoire d'un bonheur" par le monologue d'un personnage antiphatique. Ne prenez-vous pas le risque de perdre le lecteur tout de suite?
- C'est un risque à courir. J'aime beaucoup le personnage d'Anita. J'ai voulu travailler sur les troubles bipolaires, sur le décalage total avec le réel qu'ils provoquent. Quand les sujets sont en phase up, ils se placent en position héroïque, toute puissante, ils reconstruisent le réel. Je trouve le livre de Delphine de Vigan, "Rien ne s'oppose à la nuit", sur la maladie de sa mère, très beau, mais cela reste de l'autofiction. Je voulais aller ailleurs, partir dans la fiction. Dans le premier monologue où Anita est en période maniaque, elle est très sûre d'elle, elle sait comment marche le monde. Cela ne la rend pas très sympathique. En même temps, elle dit de ces choses, des énormités et elle ne s'entend pas les dire. Je trouve cela tellement triste quand elle dit que son chien, en quatre années, lui a apporté plus de joies que sa fille en vingt-huit ans. Elle croit qu'elle contrôle la réalité mais nous, nous entendons un avis d'échec. J'ai aussi voulu écrire sa phase dépressive. C'est le monologue qui clôt le roman. A chaque fois, Anita est dans une image excessive d'elle-même.
- Que saviez-vous de ce livre avant de l'écrire?
- J'ai commencé à écrire l'épisode du chapeau, quand Anita se demande si elle doit porter un chapeau à l'enterrement de sa belle-mère. Puis petit à petit, la bipolarité est arrivée. A un moment donné, j'ai vu que je n'arrivais plus à écrire, je me demandais ce qui se passait, j'ai réinterrogé la structure. Anita était parvenue au terme de ce qu'elle avait à dire. Il fallait la confronter à une autre réalité que la sienne. C'est là qu'ont surgi les monologues des autres personnages.
- Est-ce que l'angoisse est la même à la sortie d'un roman qu'à la veille d'une première?
- Pour une pièce de théâtre que vous avez écrite et qui n'est pas jouée par vous, l'angoisse est d'envoyer les autres au casse-pipe avec un texte raté. Lorsque je suis la seule en scène, en revanche, l'anxiété de la comédienne prime sur celle de l'auteure. Quant à la publication de mon premier roman, je n'avais aucune appréhension : il avait été refusé partout! Il était à la fin de sa vie quand Luce Wilquin l'a accepté. Tout ce qui s'est présenté par la suite a été une véritable surprise. "Histoire d'un bonheur" me tient beaucoup à cœur, même si j'entrevois ses limites, les choses sur lesquelles je pourrais encore progresser. Le Prix des Cinq Continents m'a permis de rencontrer des écrivains incroyables, africains ou haïtiens, des écrivains importants pour moi, comme Danny Laferrière, des écrivains pour qui la littérature ne constitue pas un passe-temps agréable, mais un véritable engagement. Dès lors, pour moi, publier ne peut plus être un acte léger, même si je ne fais pas de mon livre un acte politique, pas du tout.
- Pouvez-vous nous dire quand les nouvelles du recueil "Benny, Samy, Lulu et autres nouvelles" ont été écrites?
- La nouvelle est le premier pied que j'ai posé dans une écriture non dramatique. C'était un saut dans l'inconnu. Au départ, comme je l'ai dit, j'ai participé à un atelier d'écriture avec Michel Lambert. Avant de le rencontrer, je n'avais aucune idée de ce qu'était une nouvelle sauf que c'était plus court qu'un roman. J'ai découvert un genre très dense qui demande beaucoup de concision et un enjeu ciblé. Et en cela, cette écriture est assez proche du théâtre. J'ai appris le plaisir qu'il y a à ne pas tout dire et le travail de la chute. Mais c'est un genre excessivement difficile. A priori, on pourrait croire qu'il nécessite moins de temps qu'un roman mais il n'en est rien. La nouvelle demande de la minutie, c'est quelque chose comme de l'horlogerie, fascinant et épuisant.
- Pourquoi "Histoire d'un bonheur" se déroule-t-il en France et non en Belgique?
- Cela me permet, à moi, de dire que cette histoire n'est pas autobiographique. Je n'avais pas non plus envie d'inscrire la problématique des banlieues, qui est abordée à travers le personnage de Noureddine, dans une perspective wallonne. J'avais peur de faire régionaliste belge ou qu'on se dise que je parle de la Belgique des frères Dardenne. Ce que filment les frères Dardenne ne concerne pas que la Belgique, mais les gens ne peuvent s'empêcher de dire : "En Belgique, il se passe de ces choses...". On m'a beaucoup parlé, à la remise du Prix des Cinq Continents, du problème de l'analphabétisme en Belgique. J'ai essayé de leur expliquer que l'analphabétisme n'était qu'un élément de mon roman, mais pour eux, j'avais soulevé un vrai problème belge... Le roman n'était pourtant pas situé dans un pays en particulier! Comme "Histoire d'un bonheur" a lieu à Lyon, cette lecture biaisée devrait être évitée.
- Est-ce imaginable que ce roman soit porté un jour sur scène?
- Oui, mais il ne le sera pas par moi. Si quelqu'un a envie de le prendre, je le donne avec bonheur. Je suis trop dedans, je ne vois pas ce qu'on peut faire avec des monologues intérieurs. Au théâtre, pour moi, la tension provient de ce qui est dit et de ce qui est tu. Je peux dire, par exemple, à quelqu'un que je l'aime beaucoup et, au fond, ne pas le penser. Dans "Histoire d'un bonheur", les personnages sont tellement dans leur vérité que je ne saurais comment atteindre cette tension dramatique. Le monologue intérieur, c'est le luxe de ce qui n'est jamais entendu. Je dis luxe, parce que pour moi, auteure, cela me permet d'accéder à un autre espace mental que je ne peux pas aborder au théâtre. La parole du monologue intérieur n'est pas une parole naturaliste. Noureddine ne parlerait pas comme çà dans la vie, ce n'est pas sa façon de parler que j'écris. Je décale sa langue. Dans le roman et les nouvelles, je décale une langue. Et dans le décalage, je trouve une autre réalité. J'invente une langue réelle mais qui n'est pas entendue dans la vie".
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On en apprend beaucoup au sujet de cette auteure que je connaissais en fait, très peu.
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