L'écrivain belge Xavier Deutsch retrace son parcours littéraire à la revue "Le Carnet et les Instants". Tout commence en 1987-1988 lorsqu'il passe une année à Paris : "J'avais trois manuscrits que je suis allé déposer chez trois éditeurs : Gallimard, Grasset, Le Seuil. Le premier a été séduit par un des trois textes. J'avais 21-22 ans, j'étais insouciant et j'avais assez de culot pour m'adresser à ces trois éditeurs-là. Je me disais que si çà ne marchait pas, je me tournerais vers d'autres. Il se trouve que çà a marché. Aujourd'hui, je mesure mieux la chance que j'ai eue, mais à l'époque, j'y voyais comme une évidence. J'étais euphorique et insouciant. Je ne connaissais pas du tout les codes, dans une ville et dans un monde nouveaux pour moi. Les choses se sont passées de manière naturelle, j'ai eu des contacts avec une éditrice Geneviève Brisac, avec qui j'ai travaillé en bonne intelligence, d'une manière étrangement fluide. Il y avait un rapport de confiance sur le plan humain et un vrai dialogue sur le texte. Je me suis senti accompagné d'une manière bienveillante, considéré comme un interlocuteur valable au sein de la maison Gallimard. Je ne crains pas de dire que je dois tout à Geneviève Brisac qui a été clairement à l'origine de mon entrée en littérature. Je lui conserve une reconnaissance qui durera jusqu'à ma mort. Elle m'a mis le pied à l'étrier".
"La nuit dans les yeux" sera le seul livre publié chez Gallimard. Quand Geneviève Brisac quitte Gallimard pour travailler comme directrice littéraire à l'Ecole des Loisirs, Xavier Deutsch décide de la suivre, ce qui explique que cinq de ses romans ("Les garçons", "Les foulards bleus", "La petite rue Claire et Nette", "La petite soeur du Bon Dieu" et "Allez! Allez!") sortent chez l'Ecole des Loisirs jusqu'à la fin de leur collaboration à la fin des années 90 après le refus de plusieurs manuscrits.
Ce passage par l'Ecole des Loisirs lui vaut l'étiquette d'auteur jeunesse : "L'idée qu'il y ait des éditeurs qui se spécialisent ou qui se diversifient en plusieurs collections ne me gêne pas du tout. Mais je ne suis pas un auteur jeunesse. J'écris des romans comme un boulanger cuit du pain, sans se poser la question de savoir si ce pain va être mangé par une petite fille, un adolescent, une femme adulte ou un vieillard. Je suis heureux et fier que mes livres circulent dans les écoles et soient lus par des jeunes lecteurs, car j'ai l'impression de prendre part à leur initiation littéraire, à leur entrée dans la lecture, mais je n'écris pas spécifiquement en fonction de ce public. "Onze" et "Le cantique des carabiniers", mes derniers romans publiés chez Mijade, considéré aussi comme un éditeur jeunesse, s'adressent pour moi à n'importe quel lecteur de 12 à 112 ans. Les circonstances ont fait que ces romans paraissent chez des éditeurs jeunesse. Ce qui est un peu dommage, c'est qu'il y a peu d'adultes qui vont faire la démarche de lire un roman qui a les apparences d'un roman jeunesse".
Souhaitant se détacher de cette étiquette, Xavier Deutsch se tourne au milieu des années 90 vers un éditeur généraliste pour rencontrer un autre public : Christian Lutz qui a créé en 1981 les éditions Le Cri. Xavier explique : "Mon nom commençait à circuler en Belgique et il a été ravi que je vienne lui proposer un manuscrit. Il l'a accepté d'emblée. Je lui ai donné le manuscrit du premier volume, "Too much". Il l'a trouvé magnifique. Quand je lui ai annoncé qu'il y aurait encore deux volumes, il les a acceptés alors qu'il n'avait pas encore lu le deuxième, "Sur la terre", et que le troisième, "Comme au ciel", n'était pas encore écrit. Voilà le début de l'histoire avec Christian Lutz. Cela était inespéré pour moi, d'autant que j'étais encore jeune à l'époque. C'est mon éditeur historique, celui qui a publié les romans de mon épanouissement, après Geneviève Brisac qui a été l'éditrice de mes débuts, qui m'a permis d'exister. Christian Lutz a publié plusieurs de mes romans que je considère comme emblématiques de mon travail. J'ai travaillé longtemps avec lui au nom de ses nombreuses qualités. C'est un amoureux de la littérature, sincère, entier, loyal, passionné par son travail. Il a des amitiés très durables avec des écrivains comme Gaston Compère, aujourd'hui décédé, Pascal Vrebos, Yves-William Delzenne. Par ailleurs, il est audacieux, ce qui est probablement sa plus grande qualité. Certains de mes romans n'auraient probablement pas été publiables ailleurs. Je lui ai mis entre les mains des romans extrêmement atypiques, difficiles à défendre sur le plan du marché littéraire et qu'il a publiés sans hésiter".
En janvier 2011, c'est la rupture entre Xavier Deutsch et Christian Lutz, et ses 12 romans publiés par les éditions du Cri ne sont plus disponibles.
Autre maison d'édition figurant dans la bibliographie de Xavier : le Castor Astral. C'est une maison française située à Bordeaux qui a lancé une collection "Escales du Nord" orientée vers la Belgique, tant francophone que flamande, à l'initiative de l'auteur belge Francis Dannemark : "Comme j'avais de bons rapports avec Francis Dannemark et qu'il m'avait fait comprendre qu'il me publierait volontiers, je lui ai soumis des textes et j'ai ainsi publié trois volumes chez lui, tout en continuant à publier au Cri. Je suis très content d'avoir publié trois livres avec Francis Dannemark mais il n'a visiblement pas souhaité poursuivre l'aventure, une aventure que je ne renie pas". Publié par le Castor Astral, "La belle étoile" lui vaudra le Prix Rossel 2002.
Après plus de vingt ans dans le monde littéraire, Xavier Deutsch conclut : "Je pense que la logique économique a pris le dessus comme pour les joueurs de football ou les pilotes de Formule 1 confrontés à des transferts. Je n'aimerais pas être un auteur débutant aujourd'hui. J'ai eu la chance de commencer dans les années 80 où je pense que l'on pouvait être atypique. Aujourd'hui, la logique économique est devenue tellement dure que les éditeurs font preuve de moins d'audace, de témérité. C'est plus compliqué pour eux comme pour les auteurs, sans compter l'arrivée d'Internet. Les éditeurs sont vigilants et prudents : ils attendent un peu de voir car ce n'est pas le moment de prendre des risques. Il y a une telle profusion de titres aussi. Ce n'est pas facile pour eux non plus d'exister. Je me suis marié il y a deux ans, à 44 ans, et ma femme est la femme de ma vie. Je vis avec elle un bonheur d'une évidence rare. Dans ma jeunesse, j'ai connu des aventures longues, courtes, sereines ou tourmentées, et je m'aperçois qu'il y a une espèce de corrélation entre mon histoire auprès de mes éditeurs et mon histoire affective. Je rêve de trouver en littérature l'éditeur de ma vie. J'ai eu des rencontres, des histoires, des aventures, longues avec Le Cri, courtes avec Le Castor Astral, de grands bonheurs et des déceptions, mais je cherche encore l'éditeur de ma vie. Je sais qu'il existe. Pour le moment, je suis publié par Mijade et Laffont, et je m'y trouve bien. Cette année, j'ai écrit trois romans, dont un commandé par l'asbl Lire et Ecrire, une pièce de théâtre et quelques nouvelles. Mais je n'ai pas d'assurance d'être édité. Il arrive encore que des éditeurs me refusent un manuscrit. Rien n'est jamais acquis ; c'est dur".
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xavier Deutsch reste l'un de mes auteurs favoris. Audacieux, ses textes ont éclairé quelque chose en moi. C'est comme si en l'espace d'un ou deux romans, j'avais découvert un autre monde. Xavier Deutsch a écrit un essai ( de l'air de l'air ), essai que tout auteur devrait lire ...Xavier Deutsch, un homme vrai et fidèle ...
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