mercredi 6 juillet 2011

Interview croisée d'Edmée De Xhavée et Nicole Versailles

Petit Belge : Avant de faire publier votre premier livre, vous avez toutes les deux créé un blog et choisi un pseudonyme. Pourquoi avez-vous fait ces deux choix et qu'est-ce que cela vous a apporté?

Edmée : Quand j'étais petite, je jouais à être une (merveilleuse) princesse adorée de tous mais d'une sauvagerie assez impressionnante (je grimpais aux arbres, me battais à l'épée et avais une chevelure avec laquelle j'aurais pu étrangler plus d'un impoli). Mais j'avais un grain de beauté sur le bras qui, lorsque je le voyais au cours de mon jeu, me rappelait cruellement que je n'étais "que" moi. Je me suis donc peut-être offert non pas la couronne d'une princesse, mais un second moi. Je me sens plus libre d'écrire sous un pseudonyme qui est un de mes prénoms de baptême et le nom d'une rue commerçante de ma ville natale, Verviers. Quant au blog, au départ, je l'ai fait pour présenter mon premier roman "Les Romanichels". Or ils ont mis si longtemps à être prêts qu'entretemps, je m'étais mise à parler de bien d'autres choses, et à me prendre au jeu. Maintenant, j'y tiens beaucoup et essaie de garder ma discipline autant que possible.

Nicole : Depuis toujours, j'aime écrire, j'ai rempli des cahiers entiers achetés tout neufs et de préférence tout rouges, de mes petites pensées personnelles. Tellement personnelles que tôt ou tard les cahiers se retrouvaient plongés dans les feux de joie de la cheminée...sous mes yeux nostalgiques de voir partir en fumée tant de mots dont je ne retrouverai plus jamais la trace. La peut d'être percée à jour par une indiscrétion commandait cet acte de destruction massive! C'est pour cette raison que l'anonymat de la toile me séduisait tellement : écrire sous les yeux du monde entier, tout en restant cachée de mon entourage... Quel paradoxe tentant! Et puis, il y avait la magie incroyable de voir affichés sur la fenêtre de mon ordinateur, accessibles à chacun, les mots que j'écrirais, mes mots à moi. Cela me semblait proprement fascinant! Je me prenais à rêver que moi aussi, je pourrais écrire de belles choses sur l'écran du monde entier, que je pourrais être lue par des dizaines de lecteurs que j'imaginais bien sûr intéressés et enthousiastes. Ecrire et être lue dans un même élan, je n'osais y penser, moi qui jusqu'alors n'avais confié qu'à mes tiroirs les plus secrets quelques mots inachevés. J'avais envie d'écrire et je me prenais à rêver qu'on me lise... Comme tant d'autres, je me suis donc peu à peu laissée séduire par l'idée exaltante de déposer dans le vaste monde du Net les traces indélébiles et passionnantes de ma vie, en réalité pas toujours si passionnante que çà et même parfois franchement quelconque. Mais qui sait? Ma vie prendrait peut-être un autre relief si elle s'affichait sur l'écran de cet ordinateur qui décidément prenait de plus en plus de place dans ma vie... Le pseudo choisi sur un coup de coeur pour sa musicalité était obligatoire, l'anonymat était à ce prix.

Petit Belge : Nicole en a déjà parlé dans la première question, mais vos romans et les textes de vos blogs sont en partie autobiographiques?

Nicole : En ce qui concerne mes livres, "Tout d'un blog" et mon récit de vie "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" racontent beaucoup de moi, bien sûr... Même chose en ce qui concerne mon blog, qui sont des billets d'humeur à propos du quotidien, de la vie : c'est du personnel qui peut rencontrer le vécu des autres. Mon recueil de nouvelles raconte des histoires de fiction. J'ai voulu sortir de la facette "personnelle", récit de vie, faire autre chose...inventer des personnages et les aventures qu'ils vivent, j'ai aimé çà!

Edmée : Comme Nicole, le premier roman contient beaucoup d'éléments personnels réels, mêlés à de la fiction parce qu'il ne s'agit pas du tout d'une histoire vraie (je me souviens d'un ami français qui, horrifié, y a tellement cru qu'il m'a dit : "mais comment as-tu pu abandonner ton enfant???"). Le second aussi, mais avec plus de fiction. Le troisième sera un recueil de nouvelles où je pense que seuls les éléments de décor ou de mise en scène sont parfois réels, ou un personnage secondaire. Le blog, c'est personnel oui, mais je ne cherche pas à en faire un journal ou une sorte d'autobiographie. Ce sont les choses qui m'ont marquée, ont accroché ma curiosité, et que je cherche à partager.

Petit Belge : La famille, ses secrets et ses dessous de table, ainsi que la relation mère-fille sont présents dans vos ouvrages respectifs?

Edmée : Toute famille a des secrets, tout cercle social en a. Les secrets sont les tabous que l'on a enfreint, et donc forcément, les maisons sont tapissées de secrets. Ca me fascine, d'autant plus que, finalement, les gens sont de fameux comédiens! Quant à la relation mère-fille, je la trouve toujours intriguante aussi. Après tout, une mère est une mère au sortir de notre regard, nous ses enfants, mais elle est une jeune femme dans le sien propre - heureuse ou déjà lasse de ce que la vie pouvait lui offrir - et une fille inexperte dans le regard de ses parents. Elle peut aussi être une amante exceptionnelle ou une épouse trop conventionnelle aux yeux de son époux. Mais elle n'est la mère que pour ses enfants, et son rôle peut lui plaire ou pas, l'user, la ravir, l'amuser parce qu'elle confie les enfants à des nannies et offre un baiser parfumé du soir, la tuer parce qu'elle est seule et n'en sort pas. Ce sont des relations difficiles et qui ne trouvent leur plénitude, je pense, que sur la longue durée, la longue attente, la longue patience.

Nicole : La famille, ses failles, ses douleurs, son manque de dialogue sont évoqués surtout dans mon livre "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers"...mais aussi sous forme de fiction dans mes nouvelles. Dans mon récit de vie, j'ai tenté d'explorer quelque peu toutes ces failles, à travers les visages de trois générations de femmes. J'ai voulu aussi retrouver mes souvenirs d'enfant, ceux qui s'obstinaient à se cacher dans ma mémoire sélective. Je l'ai fait pour que mes enfants puissent avoir accès à leur histoire et puissent à leur tour la transmettre plus librement à leurs enfants. Quant à la relation mère-fille, elle n'a pas été simple pour moi, ce fut le berceau de beaucoup d'incompréhensions. L'amour et la haine s'y sont côtoyés bien souvent. J'ai voulu croire jusqu'au bout que l'amour pouvait triompher de tout par le dialogue et qu'il n'y a aucune malédiction d'incompréhension définitive. Je crois fermement que, quel que soit le passé, le futur reste sans cesse à construire et qu'il est dans nos mains!

Petit Belge : Vous dénoncez toutes les deux l'hypocrisie et les conventions de certains milieux, liées notamment à la religion et au "qu'en dira-t-on?". Etes-vous la rebelle de votre famille?

Edmée : Je suis certainement la rebelle, mais je ne me voyais pas comme telle. On me regardait un peu comme celle qui ne comprenait rien, la cigale impénitente, et on me sérinait "pierre qui roule n'amasse pas mousse"... C'est vrai que je n'ai pas de mousse, mais peut-être suis-je une pierre brute? Et je ne suis ni anti-religion, ni anti-famille, et je reconnais la nécessité des conventions aussi. Mais tout est dans la mesure, car souvent, c'est le fait de cacher les choses pour ne pas faire de mal aux enfants, à une épouse, à un groupe humain qui fera le plus grand désastre en fin de compte car le secret viendra au jour quand même, mais à la manière d'une bombe.

Nicole : Non, je ne suis une rebelle. Je suis juste une femme en quête de vérité. S'il me faut dire quelque chose (principalement par l'écriture), je tente de le dire tant dans le respect de l'autre que dans la fidélité à moi-même. Je suis bien plus encore une femme en quête d'amour (aussi bien donné que reçu), sans doute idéaliste à ce niveau... Je suis capable de me taire, de prendre sur moi, pour ne pas blesser l'autre...et de continuer seule au profond de moi-même mon chemin d'humanité. C'est aussi pour cette raison que j'aime écrire : il m'est donné l'occasion de m'exprimer de manière non-violente. Maintenant, dans ma fratrie, je suis considérée comme un peu "à part"...

Petit Belge : Autre ressemblance entre vos écrits : les femmes y sont très présentes et les hommes sont souvent à l'arrière-plan. Est-ce un choix ou un hasard?

Edmée : Ma vie m'a portée à construire autour de moi un mur de femmes. A savourer la force et la présence des femmes. Parce que les hommes furent, en fait, peu présents...en tout cas positivement présents. J'ai grandi dans un monde de femmes : ma mère (divorcée), sa mère (séparée), la gouvernante (une vieille demoiselle malgré de nombreux prétendants), des tantes veuves ou divorcées, des amies de ma mère célibataires ou "plantées là"... L'homme semblait ne faire que de brèves apparitions et disparaître.

Nicole : Difficile de répondre à cette question. Je répondrais spontanément que c'est un hasard, mais ce genre de hasard n'existe pas vraiment... J'aime me glisser dans la peau des femmes, essayer de mieux les comprendre, essayer de savoir ce qu'elles peuvent vivre. Mais je suis tout aussi intriguée par le monde masculin, il me fascine tout autant. Alors hasard sans doute... En tout cas, ce ne fut pas un choix délibéré. J'aime beaucoup les hommes (rires)!

Petit Belge : Quelles difficultés et quelles bonnes surprises avez-vous rencontrées pour faire connaître vos livres et votre blog?

Nicole : Je n'ai pas cherché à faire connaître mon blog. J'étais au début une simple anonyme qui écrivait simplement sur la vaste toile. Mais très vite les lecteurs sont venus... Cela m'a surprise... Il semblait qu'on aimait me lire, je n'en revenais pas mais c'était du bonheur. Ecrire et avoir cette chance d'être lue, que demander de plus? Mes lecteurs sur mon blog sont bien plus nombreux que les lecteurs de mes livres... Et la surprise la plus merveilleuse, c'est que mes livres se sont fait connaître en priorité grâce à mes amis blogueurs. C'est mon meilleur réseau!

Edmée : Les bonnes surprises ont été l'aide de gens, comme toi Petit Belge, qui ont fait que mon blog a bien démarré et avec lui l'annonce faite au bon peuple de la sortie de mon livre, ce qui a duré plus d'un an. J'ai donc eu des fidèles du blog qui ont acheté le livre. Maintenant, les éditions Chloé des Lys ne font pas de promotion ou presque, c'est donc à l'auteur de se débrouiller. Un petit noyau d'auteurs se soutient et s'entraide, ce qui assure une bonne relation sans rivalité et des échanges d'idées. Un auteur m'a, par exemple, mis une vidéo promotionnelle sur youtube, et je viens d'avoir une interview de Bob Boutique - autre auteur - qui vient de passer dans l'émission Actu TV de juin 2011. Je vais participer un peu plus à des événements littéraires, maintenant que je suis en Belgique. J'espère donc que çà aidera...

Petit Belge : Quels sont vos projets littéraires?

Nicole : Une publication des billets les plus commentés des Petites Paroles de Coumarine (très bientôt). Une publication collective d'ici la fin de l'année, dont je ne peux encore rien dire. Et puis d'autres choses en chantier...mais je préfère ne pas dévoiler ce genre de projet tant qu'ils ne se trouvent pas finalisés. J'en profite pour annoncer que le 7 septembre à 9h30, je serai interviewée dans les locaux de la Sabam dont je fais partie (dans le cadre des Mercredis du Livre). Et que le 16 octobre, je participe en tant qu'auteure au "Curieux dimanche" à la bib. Sésame à Schaerbeek (interview et dédicaces vers 13h, les détails suivront). Ces deux interviews concernent les "Dessous de table", éditions Mémory Press, 2010.

Edmée : Là pour le moment, je laisse un peu de place et d'espace à "De l'autre côté de la rivière, Sibylla". Et je pense sortir, l'année prochaine, un recueil de nouvelles (chic, diront certains, moins de personnages!) d'amour et de mals d'amour... Mais pour entretenir la forme, je compte aussi continuer à faire les petits concours littéraires qui passent, ne serait-ce que parce que c'est chaque fois un défi qui me stimule et m'évite de penser que "çà, c'est pas pour moi!".

Petit Belge : Quel regard porterz-vous sur cette interview croisée, et sur le travail et l'écriture l'une de l'autre?

Edmée : Je dois dire que j'aime énormément ce que fait Coumarine. Je visite moins son blog - je visite moins tous les blogs - parce que j'ai moins de temps, mais je le garde, avec quelques autres, "pour la bonne bouche". J'ai lu deux de ses livres avec fascination et, sans vouloir me comparer à elle, quelque part je me reconnais en elle sur bien des points. On a, je pense, le même regard sur les choses, bien qu'elle me paraisse plus sage que moi (dans le bon sens!). Coumarine, pour moi, est une dame! Son écriture est belle, profonde, sans langue de bois et sans vulgarité. J'aime beaucoup, beaucoup !!!

Nicole : Je n'ai lu que le premier roman d'Edmée qui m'a un peu déroutée par l'abondance des personnages et la complexité de son intrigue. C'est le genre de livre qu'il faut lire d'une traite, sous peine de perdre le fil de l'histoire. Edmée écrit de manière ample, avec une grande richesse de vocabulaire. Cette écriture ample et recherchée, apparaît aussi sur son blog et suscite souvent l'admiration de ses lecteurs. Edmée écrit moins sur son blog que moi, ce qui me permet quant à moi, de la lire régulièrement. Quant à cette interview croisée, j'ai trouvé l'idée originale et intéressante : Edmée et moi, nous nous ressemblons pas mal, nous sommes contemporaines, nous écrivons et publions depuis peu, et nous tenons un blog à visée plutôt littéraire. D'autre part, la place de la femme, chez elle comme chez moi, est prédominante, et cependant nous ne sommes ni l'une, ni l'autre des "féministes". N'ayant pas lu toutes ses réponses, ce sera donc une (belle) surprise de découvrir l'ensemble de l'interview... Merci Petit Belge de nous avoir permis cette confrontation amicale.

8 commentaires :

  1. Je connais Edmée depuis un moment, j'ai lu ses deux romans et je suis content de la retrouver ici.
    Nicole, je ne la connais pas encore.

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  2. Edmée et Coumarine, deux fidèles que je lis avec grand plaisir dans leur blog respectif. Merci pour cet entretien petit Belge.

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  3. Deux personnalités se rencontrent grâce au Petit Belge. Et quelles personnalités !

    De bonnes réponses à de bonnes questions.

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  4. C’est très curieux que je n’arrive pas à trouver de ressemblance entre ces deux écrivains. Pourtant les réponses aux questions posées, sembleraient démontrer le contraire, bien que la façon d’y répondre diffère totalement et c’est ça qui fait toute la différence !
    Sur les conseils de mon cher Petit Belge, je suis allée voir le blog de Coumarine, mais je n’ai pas eu le coup de foudre ! Je n’y suis pas retourné depuis longtemps !
    Par contre j’ai apprécié les commentaires qu’Edmée laissait sur le journal d’un Petit Belge, et c’est pour cela que j’ai voulu en lire d’avantage en allant sur son blog et… j’y reviens toujours depuis !
    Beaucoup de lecteurs à vous trois !
    Florence

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  5. Merci Petit Belge pour cette interview bien originale. Coumarine et moi avons, je crois, le même regard qui scanne. Il y a des ressemblances entre nous mais oui, Florence a raison très différentes aussi. Ne serait-ce que parce que Coumarine/Nicole a vécu une vie plus linéaire que moi. Enfin... il me semble!

    Edmée

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  6. Merci aussi Petit Belge, pour cet interview croisé: j'étais à chaque fois curieuse de savoir ce que Edmée allait répondre
    Nous sommes à la fois semblables et différentes, et heureusement... ce serait lassant autrement!
    Nous sommes deux femmes, heureuses de l'être, fondamentalement...
    (@Florence... tu n'as pas eu le coup de foudre? chhhhhhhhuuuuuuuuuttttt, pas dire ça tout haut...)

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  7. On les reconnaît bien dans cet interview, nos deux artistes. Je rejoins Florence, pour moi, elles sont très différentes, bien que la féminité les rapproche. Et je les lis toutes deux avec autant de plaisir. D'ailleurs, Edmée, comme j'ai pesté en constatant que je n'avais pas commandé ton livre pour l'Espagne. Mais je vais me rattraper très vite.
    delphine

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  8. Un jour j'ai découvert le blog d'Edmée et j'ai été séduite par son style, son humour, la diversité de ses billets.
    J'ai aimé également son livre " Les Romanichels". Les secrets de famille, l'atmosphère, les personnages, un régal!!
    Nicole/Coumarine, je connais un peu son blog mais je n'ai pas encore eu le plaisir de lire son livre :-)

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