lundi 11 juillet 2011

François Weyergans à l'Académie française

A l'occasion de son entrée en juin à l'Académie française, l'écrivain belge François Weyergans a accordé une interview à Jeannine Paque pour la revue bimensuelle "Le Carnet et les Instants" publiée par le Service de Promotion des Lettres en communauté française :

"Vous êtes le premier écrivain belge élu à l'Académie française. Bernard Gheur, un journaliste et romancier belge de vos amis a écrit à votre propos : "Pas mal de terre belge reste collée à ses semelles. Et l'on peut être sûr qu'il ne brossera pas les pieds avant d'entrer sous la Coupole". Dans certains milieux ou en privé, vous évoquez volontiers la Belgique et notamment Bruxelles, le lieu de votre naissance où vous aimez parfois séjourner.

- Bernard Gheur, on s'est rencontré grâce à une interview! Il m'a reçu chez lui à Liège. Je connais si mal Liège... Nous sommes très cinéphiles tous les deux. Des titres comme "La scène du baiser" et "Nous irons nous aimer dans les grands cinémas" sont formidables. Mais si Bernard m'avait parlé de "terre belge" au téléphone, je lui aurais dit "plutôt le pavé bruxellois". Si terre il y a, ce serait la Provence, la Haute Provence. Je revois de modestes chapelles romanes au milieu des champs de thym, sans frises ni frontons, mais pas moins solides que le Mont Ventoux qui avait, de loin, la même couleur que leurs pierres de taille. J'apprivoisais des lézards, on cueillait des pêches dont le goût s'est perdu. "Vous êtes rhénano-méditerranéen" me disait Pierre Klossowski. J'ai vécu à Bruxelles mon adolescence, cette période de la vie un peu négligée au profit de l'enfance. Ce n'est pas parce que j'y suis né que j'aime Bruxelles ; c'est une ville qui n'a pas attendu ma naissance. Je tournerais volontiers un film documentaire sur elle, comme Manoel de Oliveira a tourné "Porto de mon enfance". Mais il faudrait reconstruire en studio le jardin du Mont des Arts, tel qu'il était avant la construction de cet ensemble quasi mussolinien dont fait partie la Bibliothèque Royale où l'étudiant que je fus découvrit avec ferveur tant d'ouvrages qu'il ne pouvait pas s'acheter. Je pense à toutes les librairies qui ont disparu. Ce qui a surtout disparu, ce sont les heures que j'y ai passées. Thème connu... Heureusement, il y a de merveilleuses librairies aujourd'hui à Bruxelles, quel que soit leur nombre de mètres carrés, de Chapitre XII à Tropismes, de Filigranes à La Licorne (la Licorne qui se trouve un peu loin, chaussée d'Alsemberg, mais loin de quoi, finalement?). Et la librairie d'occasions boulevard Adolphe Max où je trouve toujours des livres épuisés sur le cinéma. Autres disparitions : des salles de cinéma, des hôtels. Mais tant qu'on a l'Hôtel Métropole, tout va bien. L'équipe de tournage de mon film "Couleur chair" habita l'hôtel Métropole pendant tout l'été 1976. La chambre que j'occupais, sublime, a disparu ; c'est devenu une salle de réunion. Mais ils ont bien restauré le bar. Et mes soeurs et moi avons fêté au Métropole l'anniversaire de notre mère l'année dernière (histoire de vous dire que ma mère va bien!). Mais je ne vais pas vous faire un guide de Bruxelles! Chaque fois que j'y reviens, je fais un petit pélérinage place Rouppe où se trouvait jadis la gare du Midi. C'est là que Verlaine a tiré sur Rimbaud. Et puis, la grand-place sera toujours la grand-place, n'est-ce pas? Une place de cette importance sans édifice religieux, c'est plutôt rare et agréable. A Bruxelles, j'achète des cahiers Atoma made in Belgium. Je m'en servais à la fin de mes études et on en fabrique toujours. Leur reliure, que je suppose brevetée, est très pratique.

- D'autres souvenirs abondent. Vous pouvez parler longuement de l'enseignement chez les jésuites, dont vous avez gardé une mémoire très vive, que vous avez utilisée dans certains de vos romans, comme "Frans et François" par exemple. Des lieux vous ont marqué durant ces années de votre adolescence, de vos premiers apprentissages.

- J'ai fait mes humanités gréco-latines dans deux collèges, Saint-Michel et puis Saint-Boniface. C'est là que j'ai appris que Louis XIV avait fait bombarder la grand-place de Bruxelles! On ne le dit pas en France, çà. Mon professeur de troisième latine s'appelait Monsieur Lahaye. Je mets son nom quand un ordinateur pose la question secrète au cas où on oublierait son mot de passe : "votre professeur préféré". Il m'a écrit lorsque j'ai publié mes premiers livres ; il disait être fier de moi. Dans les années 80, j'ai rencontré à Tokyo un autre de ses anciens élèves et nous lui avons envoyé une carte postale. Il mourut peu de temps après, je crois. Pendant un cours de français, je m'étais disputé avec lui à propos de Cocteau, sans savoir qu'un demi-siècle plus tard, ce serait l'exemple de Cocteau qui me pousserait à me présenter à l'Académie française! L'Expo 1958 a été très importante. J'ai eu 17 ans pendant cette exposition, j'ai découvert des films, des peintres, des êtres humains exceptionnels : ce serait une belle séquence pour mon film de reconstruire le pavillon américain et la fresque de Saul Steinberg. Le stabile de Calder, transfuge de ce pavillon, s'est retrouvé, lui, entre l'ancien Old England et la nouvelle cinémathèque. Et si on parlait de Venise, la ville où je suis allé le plus souvent? Il n'y a pas que Bruxelles. De toute façon, j'aime toutes les villes où je vais, c'est une chance, c'est peut-être dû à une curiosité que je considère comme un instrument de travail.

- Que pensez-vous de la Belgique actuellement? Quel est aujourd'hui votre sentiment à l'égard de votre pays ou de votre ville d'origine, des relations entre communautés et des problèmes présents en général?

- Alors, je tiens beaucoup à dire le plus grand bien de la vie intellectuelle en Flandre. Déjà en 1967, c'est la télévision dite flamande, la BRT, qui m'a commandé un film d'une heure sur Baudelaire à l'occasion du 100ème anniversaire de sa mort. J'ai pu tourner avec un chef opérateur et un ingénieur français. Mon titre était "Baudelaire is gestorven in de zomer". Il y a deux ou trois ans, j'ai fait des lectures en français, surtitrées en néerlandais, dans une dizaine de théâtres, de Brugge à Hasselt, de Knokke à Gent, à Sint-Niklaas, à Aalst, à Mechelen et dans l'extraordinaire théâtre Bourla d'Antwerpen, en compagnie de confrères néerlandophones (Anne Provoost, Bernard Dewulf entre autres). Et même à...Brussel! Je logeais à Anvers, on y rentrait tous les soirs en minibus. C'était organisé par l'étonnant Luc Coorevits, l'inventeur de Behoud de begeerte et la tournée s'appelait "Saint Amour Vlaanderen". Saint Amour,c'est à cause du vin de Bourgogne! Chaque soir, je lisais en français devant un public en or, plutôt jeune et extrêmement attentif, dans des théâtres qui étaient complets. Il y avait un partage de rires et d'émotions, une complicité forte. Ces soirs-là, elle était aux oubliettes, la malsaine frontière linguistique. Là encore, je voudrais me servir de cette tournée, ces dix jours incroyables, dans un roman. Si je vous en parle davantage, ce sera moins intériorisé, moins mystérieux pour moi. Pour rester du côté néerlandophone de cette frontière linguistique utilisée de la pire des façons, laissez-moi ajouter que je m'intéresse de très près par admiration au travail de trois peintres dits flamands : Thierry De Cordier, Luc Tuymans et Michaël Borremans. Je vais finir par acheter des dessins de Thierry De Cordier.

- Mais il fallait à l'époque quitter Bruxelles et monter à Paris? C'était irrésistible?

- N'oubliez pas que ma mère et donc la moitié de ma famille sont françaises. Un de mes oncles, sociologue, habitait Paris. Et après un passage à l'IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques) et mes premiers articles dans les "Cahiers du Cinéma", je suis revenu un mois à Bruxelles pour y tourner en avril 1961 mon premier court-métrage professionnel en 35mm, sur un jeune chorégraphe qui s'appelait Maurice Béjart. Avec ce film, j'ai eu un grand prix au festival de Bergame, où j'ai rencontré Marcel Duchamp. Le prix, c'était un chèque d'un million de lires que j'ai reçu en liquide dans une banque lombarde. J'avais 20 ans. Ah l'Italie! Qu'est-ce qu'on serait sans l'Italie? A propos, vous avez vu sur youtube l'intervention de Riccardo Muti à l'Opéra de Rome? Il interrompt la représentation d'un opéra de Verdi et s'adresse à la salle, où se trouvait le sieur Berlusconi, pour s'indigner des coupes dans le budget de la Culture. J'avais la chair de poule. Il faut absolument regarder çà.

- C'est aujourd'hui le plus parisien des écrivains belges, peut-être celui que l'on attendait le moins, qui va revêtir l'habit vert, porter l'épée et prononcer le discours de circonstance. Peut-on supposer, espérer, en cette occurence, qu'il s'agira, outre la pratique convenue de l'éloge, d'un objet hautement littéraire et tout à fait personnel?

- Le plus parisien des écrivains belges, où allez-vous chercher çà? J'ai écrit les 3/4 des 500 pages du "Pitre" à Cannes, à Avignon, à Venise, à Londres, à Munich, à Amsterdam, et "Macaire le Copte" dans une maison de campagne à Sologne. J'ai commencé de rédiger "Je suis écrivain" à Montréal. J'ai récemment vécu un an en Suisse. Cela dit, j'aime écrire à Paris, où vivent mes enfants et petits-enfants, et où sont mes éditeurs. Et puis c'est à Paris que je trouve tout ce dont j'ai besoin : l'amour, l'amitié, les restaurants, le musée du Louvre, le centre Pompidou, les centres culturels du monde entier ou presque, la Seine. Pour les restaurants, Bruxelles n'est pas mal non plus. Pour l'amour aussi, j'imagine. Mais l'adjectif "parisien" ne me plaît pas. Quant à "écrivain belge", c'est un autre dossier, vous en conviendrez... Elu en mars 2009, je serai reçu le 16 juin 2011 à l'Académie française. C'est un peu long, mais de prestigieux confrères ont attendu aussi longtemps, René Clair et Edmond Rostand. Ce fut long parce que l'Académie devait recevoir quatre ou cinq académiciens élus avant moi. Dans un geste à la fois sentimental et réfléchi, je reprendrai l'épée de mon ami Maurice Béjart qui fut membre de l'Académie des Beaux-Arts. Je préfère que cette épée continue de vivre plutôt que de m'en faire faire une, avec de prétendus symboles de ce qu'on appellerait mon oeuvre. J'ai fait graver les lettres de l'aphabet qui est après tout mon premier instrument de travail! La mort de Maurice vint mettre fin à plus de 40 ans d'une amitié sans disputes. J'ai eu en 2007 le douloureux honneur d'organiser ses funérailles. Elles eurent lieu dans un théâtre plutôt que dans une église".

1 commentaire :

  1. heureux de trouver cet interview ici. le bonhomme m''intrigue, ainsi que Toussaint

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