mercredi 26 juin 2024

La librairie "La Page d'Après" (Louvain-la-Neuve)

Suite à la faillite de la librairie française "Le Furet du Nord" en 2022, le manque d'une librairie indépendante se faisait sentir dans la ville universitaire de Louvain-la-Neuve. En 2023, Floriane Vreuls et Pierre-Yves Millet ont donc ouvert la librairie "La Page d'Après". Plus d'infos :wwww.lapagedapres.be

Originaire du Brabant wallon, Pierre-Yves Millet s'est confié à la revue "Le Carnet et les Instants" de la Fédération Wallonie-Bruxelles :

"En ce qui me concerne, j'ai été journaliste pendant 21 ans à la RTBF. Diplômé en langues et littératures romanes puis en communication de l'UCL également, je me suis lancé avec bonheur dans le journalisme, tout en me disant que je reviendrais un jour à mes premiers amours :  le monde du livre et de la littérature. Basé à la rédaction de Namur, j'ai passé beaucoup de temps à la librairie voisine Papyrus, créée par une amie qui m'a transmis son goût du métier.

Finalement, une opportunité s'est présentée, grâce à l'UCL qui voulait absolument retrouver une librairie indépendante à Louvain-la-Neuve et était prête à apporter son soutien. J'ai alors discuté avec Floriane qui est une amie depuis dix ans et on s'est lancés dans l'aventure. Floriane avait une idée précise de la tonalité qu'elle voulait donner au lieu. Elle a été visionnaire en imaginant un espace zen, avec du blanc, du bois, du vert. On en a discuté avec le menuisier et l'architecte d'intérieur qui ont conçu une librairie où les gens se sentent comme chez eux. 

Ce qu'on souhaite proposer, c'est d'abord une ambiance, un accueil. Tout le monde a accès à tous les livres, peut les regarder, les manipuler, s'asseoir pour les parcourir. En plus de l'accueil, de la bienveillance, du conseil, j'aime que la librairie soit un lieu de flânerie, calme et paisible. Que le client ait envie de prendre le temps de regarder les tables, de feuilleter les livres. La librairie est de plain-pied avec une porte à double battant. On a laissé de l'espace entre les rayons. Les meubles sont assez bas. On a aussi enlevé les faux plafonds pour donner de l'air aux 200 mètres carrés. Il n'y a pas de rayonnages centraux qui viendraient couper la vue.

Venant tous les deux de la fonction publique, nous avons dû apprendre à la fois comment créer et gérer une société commerciale et comment développer une librairie indépendante. Il fallait identifier une situation idéale, visible et accessible, avoir un loyer soutenable, établir un bon plan financier (on a calculé qu'il faudrait vendre 150 à 220 livres par jour en tenant compte d'un prix moyen pour être rentable) et s'entourer de vrais libraires. Dès que notre projet a été connu, nous avons reçu énormément de candidatures spontanées. C'est un métier qui attire. Nous avons engagé trois libraires avec une expérience, et nous avons appris le métier sur le terrain grâce à elles. 

Nous cherchons à donner une coloration à l'ensemble, et les choix s'affinent au fil du temps, en fonction des demandes et des suggestions du public, singulièrement dans les sciences humaines ou en politique, en philosophie, en développement personnel, il y a toute une gamme de possibilités entre le tout-public et le super spécialisé. La librairie évolue aussi en fonction des problématiques de société. On pressentait une attente forte. Nombre de personnes viennent encore nous dire merci pour notre initiative. Même si d'autres clients ont pris de nouvelles habitudes comme se rendre à la Fnac ou chez Claudine à Wavre et chez Twist à Ottignies. Mais on est convaincus qu'il y a de la place pour trois librairies indépendantes dans la région. 

Les collaborations sont presque illimitées... La Maison du développement durable a créé un escape game dans la ville auquel nous participons. Il y a aussi les possibilités offertes par la proximité avec l'université. Nous sommes à son écoute : si les professeurs ont des envies de collaborations, d'inviter des auteurs abordés dans les cours, en littérature par exemple, nous pouvons organiser des rencontres dans la librairie ou relayer les ouvrages des docteur honoris causa comme Bernard Foccroulle. Nous avons également des rapports étroits avec la maison d'édition Academia de Louvain-la-Neuve. C'est ainsi que nous avons organisé un speed dating entre quatre responsables de la maison et des candidats écrivains venus faire le pitch de leur projet. C'était super !".  

mercredi 12 juin 2024

Les 40 ans d'Espace Nord (1983-2023)

 A l'occasion des 40 ans d'Espace Nord, la revue "Le Carnet et les Instants" (éditée par le Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles) a consacré un hors série à cette collection belge. Voici l'éditorial de ce hors série :

"Espace Nord a quarante ans. En Belgique francophone, une collection dédiée aux classiques de notre littérature n'a pourtant rien d'une évidence. Les Lettres belges, passées ou contemporaines, sont en effet peu abordées à l'école et peu représentées dans les médias et les librairies, auprès desquels les petites structures, caractéristiques de l'édition littéraire en Wallonie et à Bruxelles, peinent à conquérir de la visibilité face aux grosses machines éditoriales.

Patrimonialiser la littérature belge, c'est toutefois la ligne à laquelle se tient Espace Nord depuis quatre décennies. Certes, elle n'est pas la première (Jacques Antoine s'y était essayé dès 1976 avec Passé Présent), ni la seule collection à oeuvrer dans ce domaine. Elle se singularise cependant par son format de poche, qui va de pair avec un prix modique, gage d'accessibilité. Cette approche démocratique s'est accompagnée, tout au long de l'histoire de la collection, d'une attention spécifique au public scolaire. 

Espace Nord se signale aussi par son souci de la littérature d'aujourd'hui. A côté des Maeterlinck, Verhaeren, Simenon et Gevers, elle publie des oeuvres contemporaines, d'auteurs vivants, et réalise ainsi un audacieux et nécessaire travail de discernement et de classification, cherchant à désigner, dans le flux continu des publications de tous les genres et au-delà des modes, des oeuvres qui resteront.

Autre trait particulier :  la collection est la propriété des pouvoirs publics, en l'occurence la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui l'a rachetée en 2011. Cette entrée dans le giron communautaire lui confère un statut sans guère d'équivalent dans le monde francophone et a contribué à sa longévité.

Une histoire de quarante ans qui n'a pas été sans remous :  créée par les éditions Labor, Espace Nord est ensuite passée chez Luc Pire puis chez Renaissance du Livre avant, donc, d'être rachetée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui en a délégué, par marché public, la gestion aux Impressions Nouvelles".

Laura Delaye et Nausicaa Dewez 

Le témoignage de Marc Quaghebeur (conseiller littéraire du ministère lors de la création) :

"L'invention d'une collection de poche patrimoniale fut moins aisé que je ne l'avais cru alors qu'elle me paraissait aller de soi. Les difficultés rencontrés sont révélatrices de la situation dans laquelle se trouvait le corpus belge francophone avant la proclamation de la belgitude. Non seulement, les classiques étaient devenus le privilège des bouquinistes mais cette littérature, frappée de quasi inanité symbolique. Le lourd processus de réédition de deux titres par an, décidés par le conseil culturel de la Communauté Française, n'y pouvait rien.

Contactés successivement, et bien que l'opération ne leur fit courir aucun risque, Casterman, Duculot et Complexe se récusent en arguant de l'inévitable échec d'un tel projet, le dernier considérant que mis à part Maeterlinck, rien dans le corpus belge ne méritait réédition. Jacques Antoine, lui, voyait dans le poche une quasi insulte à la littérature, sa collection Passé Présent, lancée en 1976, constituant sa concession maximale au commercial.

Chez Labor, Alexandre André, promoteur avant 1940 d'une collection bon marché de classiques belges, éprouve lui aussi des réticences à l'égard du poche. Tout change à la suite de l'arrivée de Dominique Friart. C'est avec elle que je pose les bases de la collection Espace Nord. Daniel Blampain nous rejoint assez rapidement. C'est ensuite le tour de Jacques Dubois puis du premier comité (Jacques Carion, Paul Edmond, Jean-Marie Klinkenberg, Michel Otten). 

A l'automne 1983, le hall du palais des Beaux-Arts de Bruxelles accueille la présentation des huit premiers volumes (Simenon, Maeterlinck, Malva, Crommelynck, De Coster, Gevers, Nougé, Juin). La presse est unanime. Les 5.000 premiers exemplaires de plusieurs titres doivent rapidement connaître un nouveau tirage. 

Une conscience francophone accrue accompagne le processus. L'amorce d'une collection francophone avec les éditions L'Age d'Homme, créatrices des poches de la Suisse romande, n'aboutit pas. A Strasbourg, en 1989, je propose le projet à Hubert Nyssen. Certains titres d'Espace Nord constituent les premiers titres de la collection Babel. Las, celle-ci devient très vite la collection de poche d'Actes Sud. La combat francophone n'est toujours pas gagné".