mercredi 17 avril 2024

Isabelle Bary et les livres de poche

                             


Isabelle Bary a répondu à trois questions de la revue "Le Carnet et les Instants" du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles :

"Votre premier roman, "Zebraska" (publié chez Luce Wilquin), est reparu six ans plus tard chez J'ai lu. Comment cela s'est-il passé ?

- "Zebraska" avait rencontré un vif succès en Belgique mais publié par une maison d'édition belge aux petits moyens, il avait peiné à se faire une place hors des frontières. Grâce à un agent français à qui le livre a plu, il a atterri chez une éditrice de J'ai lu, qui a proposé de le rééditer sans attendre une éventuelle nouveauté, mais sous forme inédite pour le marché français. Pour "Zebraska" qui aborde le sujet de la différence chez un adolescent à haut potentiel et celui du monde de demain, mon enthousiasme à le voir réédité en format poche était accompagné de l'idée de pouvoir, grâce à son petit prix, toucher plus facilement les jeunes par le biais des écoles. Ce qui a d'ailleurs été le cas, puisque j'ai rencontré des centaines de jeunes grâce au sujet, bien sûr, mais aussi aux avantages financiers du format. Cela donne au livre une seconde vie, au niveau non seulement national, mais aussi international, puisque les maisons d'édition françaises de format poche distribuent leurs romans dans toute la francophonie.

- Est-ce que vous avez été associée comme auteure à cette réédition ?

- Lorsque J'ai lu m'a proposé une collaboration, "Zebraska" avait déjà six ans et j'avais moi-même envie d'y apporter quelques changements, de le moderniser en quelque sorte. L'idée pour J'ai lu était d'atteindre un lectorat plus étendu (le marché français bien sûr) mais aussi des personnes qui n'avaient rien à voir avec le haut potentiel. Or, ma première version se passait essentiellement dans la tête de mon héros, ce qui était moins accessible pour quelqu'un qui n'était pas du tout intéressé par le sujet a priori. Nous avons réfléchi ensemble à comment améliorer le récit existant afin de l'actualiser et de le rendre plus abordable pour tous. Plusieurs idées sont sorties de ces réflexions :  écourter certaines parties trop détaillées, aller vers plus d'action et faire davantage agir le personnage principal au lieu de le faire toujours penser, ajouter un nouveau personnage qui permettrait plus d'interactions, simplifier l'écriture notamment par la réécriture du texte au présent et par un découpage plus cadencé et des chapitres plus courts. C'était très technique, tout nouveau pour moi, très intéressant. Je travaillais plusieurs chapitres, puis les envoyais à J'ai lu qui me donnait son feed-back. C'était un réel plaisir de travailler avec cette équipe, dont le professionnalisme est incroyable.

- Outre une forme de reconnaissance, qu'a représenté pour vous cette édition en poche ?

- La reconnaissance des pairs, bien sûr, mais aussi un suivi professionnel. Je me suis senti entourée, épaulée, portée par une structure qui avait les moyens de le faire. Ensuite, il y a la visibilité. Le marché touché est bien plus vaste. Les ventes peuvent ainsi exploser et donner de la crédibilité (même si cela n'a pas forcément un lien de cause à effet!) à notre travail d'auteur. Cela ouvre des portes. Cette édition, comme je l'ai évoqué plus tôt, m'a également permis de visiter beaucoup de classes d'ados entre 16 et 18 ans, de dialoguer avec des jeunes sur les sujets de la différence, de l'importance du livre et du monde de demain. Enfin, et ce n'est pas le moindre des cadeaux, cette forme de notoriété professionnelle m'a permis de proposer une adaptation BD du roman à plusieurs maisons d'édition. Les éditions Dupuis ont accepté le projet et nous y travaillons actuellement avec le scénariste Eric Corbeyran, le dessinateur Ludovic Borecki et le coloriste Benoît Bekaert". 

mercredi 3 avril 2024

"Le mystère de la femme sans tête" (Myriam Leroy)

                           


A l'occasion de la sortie de son roman "Le mystère de la femme sans tête", l'auteure belge Myriam Leroy a répondu aux questions du magazine Flair :

"Comment est né ce projet de roman ?
- Nous étions en décembre 2020. Je venais de perdre un procès qui était impossible à perdre, c'était inattendu. Quelques jours plus tard, je me balade au cimetière d'Ixelles et je découvre la tombe d'une femme. Sous son nom, il est marqué "Décapitée". Je m'engouffre dans son histoire qui me permet d'affronter l'échec que je venais de vivre en justice. Paradoxalement, cette rencontre tragique m'a sauvée, m'a appelée. Tout au long de la rédaction de ce bouquin, à chaque fois que j'allais au cimetière d'Ixelles, je tombais immédiatement sur elle. Aujourd'hui, je ne la vois plus si je ne la cherche pas. Comme si elle n'avait plus rien à me dire, que je pouvais continuer mon chemin.

- Marina Chafroff était-elle réellement derrière ce coup de couteau à un officier allemand dans le but de sauver soixante otages ? Aucune source n'a pu le confirmer. Frustrant ?
- Non car l'enjeu du projet n'était plus tellement de reconstituer la vérité, mais de montrer ce que l'histoire de Marina pouvait dire de nous. Au départ, je voulais écrire une enquête journalistique avec un point final. Mais je suis repartie de zéro en assumant aussi le pouvoir de l'imagination. Mine de rien, cela reste un livre sur la vérité puisque j'y dévoile mon processus d'écriture.

- Défendre une idée justifie-t-il le fait d'abandonner ses propres enfants ?  

- C'est l'angle mort de cette histoire. Personne ne comprend, surtout pas ses enfants. Mais nous étions en 1942 et Marina était russe. Elle n'avait pas exactement le même rapport à la violence, à la mort, à l'au-delà. Elle était extrêmement pieuse, hyper religieuse. Tout cela a dû jouer. 

- Dans cette histoire, personne n'est tout blanc ou tout noir. Vous arrivez à vous dire que chacun a ses raisons ?

- Pas du tout. J'ai même plutôt tendance à devoir me réfréner. Dans la vie, je pense que ne pas juger est une faute morale. Dans les livres, par contre, juger est une faute esthétique. Juger ses personnages, c'est insupportable. Je ne sais pas pourquoi je suis à ce point contradictoire. J'ai un peu de mal avec les donneurs de leçons. Et puis, ici, j'étais aussi dans l'obligation de ne pas juger mes personnages puisque la plupart d'entre eux ont encore de la descendance. On pourrait croire, à tort, qu'on peut s'emparer de cette histoire comme si de rien n'était car elle a eu lieu il y a 80 ans... Mais non, il faut encore faire preuve de précaution. 

- C'était la première fois que vous écrivez un roman historique. L'exercice vous a plu ?

- Oui. Même si au départ, je me disais que ce n'était pas pour moi. A ce moment-là, je ne pensais pas que ce quelqu'un pouvait être moi. Je ne suis pas historienne, je ne savais pas comment chercher mes sources. J'étais assez démunie, désorientée mais heureusement, les portes se sont ouvertes. J'ai toujours aimé les vieux journaux, les archives, la désuétude du passé...mais ce n'est pas une motivation suffisante. Je crois que le sujet d'un roman doit être profondément vital, sans qu'on ne sache toujours l'expliquer. Qu'on doit avoir l'impression qu'on va s'effondrer si l'on ne continue pas à creuser".