"Tant pis" est le quatrième roman de l'auteur montoise Jennifer Fordham. Elle y raconte l'histoire de sœurs jumelles toutes deux amoureuses d'un homme d'affaires anglais. Elle a répondu aux questions du journal "La Province" :
"Pourquoi le titre "Tant pis"?
- "Tant pis", c'est regrettable, c'est dommage que la vie effrite le rêve, l'ébranle, l'échaude, suscite le regret et ne laisse qu'une survivance. "Tant pis" désappointé mais aussi "Tant pis" réconcilié, prêt à lâcher prise avec les rancoeurs du passé. En conclusion, "Tant pis" traduit bien, selon moi, l'écrabouillage résigné.
- Laura, personnage central de ce roman, vit à la fois des histoires d'amour et d'amité qui se nouent et se dénouent. Il y a tout de même un horizon assez sombre en toile de fond, quelque chose de pessimiste?
- Laura est un personnage qui correspond au parcours symbolique qui, au travers de l'écriture, fait défiler des périodes de vie, qui cernent ce qu'il y a d'insondable : l'état d'âme. Il reste susjacent aux événements, aux blessures indicibles de l'enfance et de l'âge adulte. Le désamour a une place importante dans la vie de Laura. Elle a été une petite fille mal comprise par sa mère, une sœur dominée par sa jumelle, et une épouse brimée par un homme qui ne savait pas aimer. Elle se tourne aussi vers les amours multiples, à savoir celui pour les animaux, pour les gens différents, et surtout l'amitié. En toile de fond, s'opposent les échecs face à une reconstruction difficile. Ce n'est pas du pessimisme mais une tristesse légitime qu'elle réussira à surmonter.
- Comme l'image du funambule sur la couverture, les relations humaines peuvent être fragiles et tomber dans une forme de vide?
- Sur la couverture, le funambule illustre bien l'idée que j'ai voulu faire ressortir : à savoir on aime toujours à ses risques et périls. Le bonheur est fragile, marche sur une corde raide qui, à tout instant, peut le faire tomber dans le vide, celui-ci étant la rupture ou la déception. Oui, le funambule qui tient en équilibre sur sa corde sous un ciel bleu peut rencontrer de gros nuages noirs. J'ai voulu être symbolique, par cette vision poétique, qui donne la priorité au rêve puisqu'à la réalité. J'aurais pu aussi m'inspirer du mythe d'Icare qui se brûle les ailes en voulant se rapprocher trop près du soleil.
- Clairement, l'amitié entre deux personnages (Laura et Antoine) est indestructible. L'amitié semble être plus facile que l'amour pour Laura. Quelle est votre réponse?
- L'amitié est indestructible parce qu'elle ne se sert pas de l'amour pour en parfaire son expression. L'amour est un sentiment difficile, jamais parfait, inaccessible. Il se veut complémentaire, harmonieux, fusionnel. Il est juste exigeant. La passion ne dure pas, aveugle. Avec le temps, on reste stupéfaits devant l'union qui devient vite une désunion, une fade habitude, un goût vieilli de bonheur. C'est tout ce qui reste du couple passionné. Certes, la tendresse fait place à l'étrangeté, à l'envie de séduire. Est-ce de l'amour? Est-ce une consolation?
- Ostende est une ville que l'on découvre déjà dans vos livres précédents. Pourquoi cette ville côtière?
- Je suis tombée amoureuse de cette ville côtière. Comme les peintres de la mer du Nord, je reste inassouvie devant le mystère de la mer. Je m'y retrouve, elle est mienne. Rebelle, courageuse, grise et tourmentée, elle brave inlassablement les climats capricieux. Ostende parce que j'aime son passé artistique, chargé d'histoire. Petite, je regardais déjà passer les bateaux, avec qui je laissais glisser mes rêves d'enfant solitaire. Rien n'a changé.
- Pourquoi évoquer les attentats terroristes commis en France et en Belgique ces dernières années dans ce livre consacré avant tout à l'histoire d'une femme?
- Certes, l'histoire d'une femme mais qui se passe entre la Belgique, l'Angleterre et la France dans les années 2015-2016. On ne peut survoler cette période sans y donner place au terrorisme qui marque notre génération. Ecrire, ce n'est pas raconter une belle histoire. Ecrire, c'est aussi choquer, dénoncer, prendre parti et surtout ne jamais s'habituer ou ignorer ce qui est inadmissible. L'écriture est un passeport vers la connaissance et en même temps un moyen de témoigner des faits de l'époque en question. Dans mes livres, il n'y a rarement de happy end. J'aime les fins inattendues, parce que, comme la vie, elles ont toujours un côté fantasque auquel on doit faire face.
- Un nouveau livre en préparation?
- Oui. Il sera différent des précédents. Il sera non seulement la dénonciation du harcèlement sous toutes ses formes, mais aussi la certitude que l'enfance reste à portée de mains de l'adulte que l'on devient. Mais sachez que, quoi qu'on fasse, le désamour ou l'amour restent présents dans la sensibilité de chacun, quelle que soit l'histoire".