Présentation de ce nouveau roman : Jeune homme brillant mais solitaire, Stéphane forme avec sa sœur une sorte d'équipe d'opposition en révolte contre les projets de son père, qui veut entraîner son fils vers une carrière juridique. Attiré par leur esprit de liberté et par le théâtre, Stéphane fréquente des personnes très différentes de son milieu famial. Nous sommes fin des années 50. Le professeur de grec et de latin l'initie au bonheur de rester chez soi pour disserter sur les choses de la vie en écoutant Béla Bartok. Par ailleurs, Nini, professeur de ballet et amie de sa mère, l'initie à l'ivresse de la performance scénique. L'étude le passionne dans l'absolu et, au-delà de ses rêves de ballet et de théâtre, Stéphane réussit brillamment ses humanités classiques. Le père de Stéphane sera-t-il suffisamment conquis par l'estime sociale de son fils pour lâcher l'emprise qu'il continue d'exercer sur lui? Entre le silence du dialogue intérieur et les mystères de l'amitié, le hasard d'une rencontre verra Stéphane se rendre à Paris, et peut-être vers l'indépendance....
Présentation de l'auteur : Née à Gand en 1939, Nicole Verschoore est docteur en philosophie et lettres. Au cours de sa carrière de journaliste, elle travaille pour le quotidien "Het Laatste Nieuws", "Le Nouveau Courrier" et "La Revue Générale". Son premier roman, "Le maître du bourg", est publié en 1994 et reçoit le Prix France-Belgique 1995. En 2008, elle obtient le Prix Michot de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique pour sa trilogie "La passion et les hommes", parue aux éditions Le Cri. Plus d'infos sur son site Internet (français/néerlandais) : www.nicoleverschoore.be
J'ai lu deux de ses romans : "La charrette de Lapsceure" et "Les parchemins de la tour".
"La charrette de Lapsceure" (éditions Le Cri)
"La charrette de Lapsceure" est une grande fresque racontant l'histoire de la Flandre aux 19ème et 20ème siècles à travers "tant d'existences parallèles tendues d'un siècle à l'autre comme les fils d'une dentellière attachés à son coussin", pour reprendre les mots de l'auteur. La lecture des premiers chapitres n'est guère aisée avec le nombre élevé de personnages et l'absence d'un héros principal. J'ai eu un peu de mal à m'y retrouver au sein de cette grande famille. Le récit est régulièrement coupé par des rappels historiques sur l'extrême pauvreté de la Flandre au 19ème siècle ou l'évolution du droit de vote jusqu'au suffrage universel voté après la première guerre mondiale.
Après avoir évoqué la guerre scolaire entre les écoles officielles et catholiques qui atteint le petit village de Lapsceure où enseigne Théodore, le patriarche de la famille, Nicole Verschoore écrit un passage très engagé sur la religion : "De nos jours, dans nos démocraties compliquées, les nouvelles générations qui ne s'intéressent plus au passé du pays ne peuvent tirer de l'Histoire les modèles qui, hélàs, se répètent sous d'autres cieux et dans d'autres couleurs. Il faut se méfier de l'attrait de la religion combattante. Ne lui accorder aucun droit. Dans toutes les populations, le même besoin d'absolu et de guidance pousse les âmes vers la foi, mais les éléments les moins émancipés ne perçoivent pas la différence entre la religion et l'armée d'un clergé qui craint de perdre son pouvoir absolu. La civilisation doit se munir contre ce que les armées de croyants imaginent devoir faire sous les ordres de leur clergé".
Au milieu du livre, l'histoire devient plus facile à comprendre et l'auteur donne l'explication du titre : "La charrette de Lapsceure" évoque le départ en charrette en 1880 de l'instituteur Théodore, de son épouse Louise et de leurs enfants du village de Lapsceure vers Courtrai. Louise décède en 1893 à l'âge de 43 ans. Théodore se remarie six mois plus tard et devient archiviste de la ville et un historien reconnu. L'un de ses fils, Alphonse, est engagé dans le mouvement flamand, tandis qu'un autre, Renier, est curé aux Etats-Unis.
Nicole Verschoore place ses personnages au sein de la société belge de l'entre-deux guerres : "Deux populations vivaient en Belgique dans deux univers totalement dissemblables : le peuple et les nantis. Les intermédiaires qui ne plaisaient pas au gouvernement et qui commençaient à se faire représenter à la Chambre étaient les Théodore et les Alphonse, intellectuels issus du peuple, idéalistes qui désiraient l'émanciper et le sortir de son état d'esclave. Une quantité de nouveaux nantis comme Constant, issus de grandes écoles francophones, formaient une deuxième sorte d'intermédiaires. Ils appartenaient de cœur à leurs provinces natales, mais se distanciaent du mouvement d'émancipation flamand parce qu'ils avaient dépassé le stade de ceux qui avaient besoin d'aide".
On suit ensuite Grite et Castel au Congo. Nicole Verschoore défend l'action du roi Léopold II et des Belges dans ce pays : "Qui connaît la pauvreté du 19ème siècle en Europe, le nombre de victimes de la famine et du choléra, qui se rappelle la misère des ouvriers textiles, des mineurs, des campagnes affamées des pays européens dits civilisés et compare ces données aux annales de l'histoire des pays colonisés d'Afrique, découvrira vite l'incongruité de certaines interprétations tardives concernant le colonisateur usurpateur maltraitant le colonisé. Les généralités en cours sont issues d'une absence totale de connaissance exacte et détaillée, et de l'incapacité du béotien de mettre en perspective la réflexion historique".
Très bien écrit, ce livre se termine par une touche de nostalgie avec le décès de Mamou, la veuve d'Alphonse, qui rappelle à chacun d'entre nous le départ d'un proche. Au-delà des nombreuses références historiques qui retracent l'histoire de notre pays, Nicole Verschoore nous montre que les défunts continuent de vivre tant qu'on parle d'eux, et nous incite à être curieux et à poser des questions sur nos familles : "Les découvertes glissent doucement dans l'oubli mais l'histoire continue, explorée au hasard de la curiosité, par l'insaturable besoin de comprendre".
"Les parchemins de la tour" (éditions Le Cri)
Dans "Les parchemins de la tour", Nicole Verschoore raconte, à la première personne, la vie d'Edmond Beaucarne (1807-1895), le grand-oncle de son arrière-grand-mère, à partir de ses archives retrouvées. Après avoir grandi à Eename auprès de son vieux père, il entre dans un collège jésuite d'Alost, où ses professeurs l'initient à la politique : "Quant au roi Guillaume que le Congrès de Vienne avait imposé aux Pays-Bas catholiques, ce mécréant était un homme nouveau, ses idées néfastes se propageraient, le désordre s'ensuivrait. Il fallait que l'Eglise reconquisse le pouvoir. Les élèves devraient aider leurs maîtres à renverser le gouvernement hollandais (...) Je suis bien placé pour savoir que Guillaume, ce roi sans grande allure, bien intentionné et maladroit, aurait été écouté et compris s'il n'avait pas été victime de l'opposition féroce et dûment inspirée à laquelle j'ai moi-même prêté l'ardeur de mes jeunes années".
Sur le conseil de ses maîtres, Edmond entre, à l'âge de 22 ans, à la rédaction gantoise du journal contestataire et antigouvernemental, "Le Catholique des Pays-Bas", qui joue un rôle non négligeable dans la révolution et l'indépendance de la Belgique en 1830. Un an plus tard, il quitte le journal et retourne dans son village natal. Le récit se concentre ensuite sur sa vie sentimentale qui se déroule en trois temps.
Lors d'un séjour à Vienne en 1832, Edmond tombe amoureux d'Hortense d'Hoogvorst : "La femme qu'on rêve est la décalque exacte de nos désirs. Pour cette raison, le premier amour et le désir qui ne s'accomplit pas laissent le souvenir d'un bonheur complet". Mais il ne chercha pas à la revoir et Hortense se maria...
De retour à Eename, Edmond en devient le bourgmestre. Il habite avec son frère Louis-Maur, sa belle-soeur Baudouine et ses neveux et nièces dans la maison familiale. Au fond du jardin, il aménage une vieille tour fortifiée pour y ranger ses livres et documents. Eudaxie, la femme de ménage, est aussi sa maîtresse : "Le délice s'avérait être le contraire du pêché décrit par l'Eglise. Pouvoir honorer notre nature humaine comme nous le faisions, avec la fantaisie, la créativité, la légèreté ou la patience nécessaires, c'était faire oeuvre de vie, productrice d'énergie et de jeunesse". Mais Eudaxie met fin à leur relation.
Quelques années plus tard, à la demande de ses amis, le célibataire solitaire Edmond accueille chez lui Isabelle, venue trouver à Eename le calme pour écrire ses traductions et articles. Après son décès accidentel, il se rend compte de la place qu'elle avait prise dans ses vieux jours : "Je n'ai pas été bon pour Isabelle parce que je ne l'aimais pas assez. Je n'avais de sentiment pour elle qu'en son absence, je n'ai souffert que de ses départs. Le dernier départ, l'irrévocable, a éveillé les remords, le regret posthume, l'effroi de l'irréparable".
Malgré ces rendez-vous manqués avec les femmes, les dernières pages de ce livre très bien écrit montrent un Edmond serein et apaisé qui vante les joies de la famille et des liens intergénérationnels : "Grâce aux saisons qui se répètent, aux enfants qui naissent, à l'exaltation des parents et à l'instinct du vieil oncle, un jour, dans un élan incompréhensible d'éclatante allégresse, subitement, ce vieil oncle soulève de nouvelles pelotes vivantes qui hurlent de surprise et de joie, agitent des petits pieds aussi informes que les boutons de magnolias au bout de leurs tiges minuscules. Grâce à ces miracles du quotidien et à l'éternel recommencement, on finit par accepter que meurent ceux qu'on aime, comme s'étiolent les fleurs".
mercredi 29 mars 2017
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