mercredi 20 juillet 2011

L'écrivain belge Daniel Charneux

Dans la dernière revue "Le Carnet et les Instants", l'écrivain Daniel Charneux (né en 1955), licencié en philologie romane de l'Université de Liège, retrace son parcours littéraire qui a commencé à Autreppe : "Mon père, instituteur, m'a appris à lire et m'a surtout donné l'amour de la littérature. En classe, il nous lisait les contes de Daudet. Son grand numéro, c'était "La chèvre de Monsieur Seguin" que nous adorions... Et puis, l'ombre de Verhaeren était là. J'ai su, gamin, qu'il avait habité dans ce petit coin des Hauts-Pays en Hainaut, appelé le Caillou-qui-bique. Son souvenir était toujours vivant chez les vieux, et je voyais son portrait dans une ferme où j'allais souvent. Ce fut un de mes premiers contacts avec la littérature".

Daniel Charneux raconte ensuite : "Plus tard, en poésie, un professeur passionné a encore renforcé mon appétit de lire. J'ai eu ma période Camus. Je me rappelle aussi ma fascination pour Lautréamont : j'ai dévoré "Les chants de Maldoror" en une après-midi fiévreuse! A cette époque, j'ai écrit des poèmes lyriques, un peu surréalistes, du sonnet au vers libre. A 21 ans, je suis devenu professeur de français à l'école secondaire de Quaregnon...et j'y suis toujours! C'est une vocation, une expérience très réussie. Directeur de l'école pendant deux ans, j'ai préféré redevenir professeur : l'enseignement s'accorde bien, pour moi, à l'écriture, à laquelle j'étais revenu longtemps après mes poèmes d'adolescent. En 1998, j'avais participé à une formation à l'animation d'ateliers d'écriture. J'en suis sorti bouleversé, transformé. L'écriture revenait dans ma vie. Grâce aux techniques que j'ai découvertes à ce moment-là, je me suis lancé. "Une semaine de vacance" a paru en 2001 chez Luc Pire, dans la collection Embarcadère. Il a reçu quelques bonnes critiques et un prix local qui m'a fait un vrai plaisir, m'encourageant à poursuivre".

Son deuxième roman, "Recyclages", est publié en 2002 dans la même collection Embarcadère. Suit un recueil de nouvelles, "Vingt-quatre préludes", qui paraît en 2004 chez Luce Wilquin, devenue son éditrice attitrée ; ces courts récits portaient le nom d'un des vingt-quatre préludes de Debussy. Deux ans plus tard, dans "Norma, roman", Daniel Charneux se prend à réinventer la destinée de Norma Jean Baker après la mort de Marilyn Monroe qui fut son image étincelante, sa légende...et son malheur : "C'est la femme qui m'intéressait, sous le mythe. Elle atteint à l'authenticité dans la vacuité. Ce roman est celui sur lequel j'ai le plus travaillé. J'avais traversé une période de doute, un passage à vide. Le Prix Charles Plisnier, décerné au livre en 2007, m'a relancé" , confie-t-il dans la revue.

Finaliste du prix Rossel, du prix Rossel des jeunes et du prix des lycéens, couronné par le Grand Prix littéraire France-Communauté française de Belgique de l'A.D.E.L.F. (Association des Editeurs de langue française), "Nuage et eau" (sorti en 2008) retrace librement la vie du moine boudhiste zen japonais Ryôkan (1756-1831). L'imagination romanesque s'y mêle à l'évocation historique, basée sur les biographies de ce moine, calligraphe, poète, ami des oiseaux et des enfants, fidèle à son destin de moine itinérant.

Dernier livre de cet écrivain : "Maman Jeanne", paru en 2009 aux éditions Luce Wilquin. C'est le récit d'une femme qui passe de la coupe de son père à celle d'un mari imposé, et qui se retrouve veuve à 30 ans avec trois fils dont la belle-famille se chargera. Au début des années 1900, elle devient servante d'un curé auprès de qui elle connaît, pour la première fois, la douceur et la tendresse. Mais enceinte, elle doit partir pour Bruxelles car le curé n'assume pas l'enfant... Ce récit raconte en fait la vie de l'arrière-grand-mère de Daniel Charneux qui s'est basé sur des lettres de Jeanne racontant cet abandon forcé.

Ajoutons que Daniel Charneux anime des ateliers d'écriture de haïkus, et prépare un nouveau roman se déroulant à Liège, la ville où il a effectué ses études universitaires.

lundi 11 juillet 2011

François Weyergans à l'Académie française

A l'occasion de son entrée en juin à l'Académie française, l'écrivain belge François Weyergans a accordé une interview à Jeannine Paque pour la revue bimensuelle "Le Carnet et les Instants" publiée par le Service de Promotion des Lettres en communauté française :

"Vous êtes le premier écrivain belge élu à l'Académie française. Bernard Gheur, un journaliste et romancier belge de vos amis a écrit à votre propos : "Pas mal de terre belge reste collée à ses semelles. Et l'on peut être sûr qu'il ne brossera pas les pieds avant d'entrer sous la Coupole". Dans certains milieux ou en privé, vous évoquez volontiers la Belgique et notamment Bruxelles, le lieu de votre naissance où vous aimez parfois séjourner.

- Bernard Gheur, on s'est rencontré grâce à une interview! Il m'a reçu chez lui à Liège. Je connais si mal Liège... Nous sommes très cinéphiles tous les deux. Des titres comme "La scène du baiser" et "Nous irons nous aimer dans les grands cinémas" sont formidables. Mais si Bernard m'avait parlé de "terre belge" au téléphone, je lui aurais dit "plutôt le pavé bruxellois". Si terre il y a, ce serait la Provence, la Haute Provence. Je revois de modestes chapelles romanes au milieu des champs de thym, sans frises ni frontons, mais pas moins solides que le Mont Ventoux qui avait, de loin, la même couleur que leurs pierres de taille. J'apprivoisais des lézards, on cueillait des pêches dont le goût s'est perdu. "Vous êtes rhénano-méditerranéen" me disait Pierre Klossowski. J'ai vécu à Bruxelles mon adolescence, cette période de la vie un peu négligée au profit de l'enfance. Ce n'est pas parce que j'y suis né que j'aime Bruxelles ; c'est une ville qui n'a pas attendu ma naissance. Je tournerais volontiers un film documentaire sur elle, comme Manoel de Oliveira a tourné "Porto de mon enfance". Mais il faudrait reconstruire en studio le jardin du Mont des Arts, tel qu'il était avant la construction de cet ensemble quasi mussolinien dont fait partie la Bibliothèque Royale où l'étudiant que je fus découvrit avec ferveur tant d'ouvrages qu'il ne pouvait pas s'acheter. Je pense à toutes les librairies qui ont disparu. Ce qui a surtout disparu, ce sont les heures que j'y ai passées. Thème connu... Heureusement, il y a de merveilleuses librairies aujourd'hui à Bruxelles, quel que soit leur nombre de mètres carrés, de Chapitre XII à Tropismes, de Filigranes à La Licorne (la Licorne qui se trouve un peu loin, chaussée d'Alsemberg, mais loin de quoi, finalement?). Et la librairie d'occasions boulevard Adolphe Max où je trouve toujours des livres épuisés sur le cinéma. Autres disparitions : des salles de cinéma, des hôtels. Mais tant qu'on a l'Hôtel Métropole, tout va bien. L'équipe de tournage de mon film "Couleur chair" habita l'hôtel Métropole pendant tout l'été 1976. La chambre que j'occupais, sublime, a disparu ; c'est devenu une salle de réunion. Mais ils ont bien restauré le bar. Et mes soeurs et moi avons fêté au Métropole l'anniversaire de notre mère l'année dernière (histoire de vous dire que ma mère va bien!). Mais je ne vais pas vous faire un guide de Bruxelles! Chaque fois que j'y reviens, je fais un petit pélérinage place Rouppe où se trouvait jadis la gare du Midi. C'est là que Verlaine a tiré sur Rimbaud. Et puis, la grand-place sera toujours la grand-place, n'est-ce pas? Une place de cette importance sans édifice religieux, c'est plutôt rare et agréable. A Bruxelles, j'achète des cahiers Atoma made in Belgium. Je m'en servais à la fin de mes études et on en fabrique toujours. Leur reliure, que je suppose brevetée, est très pratique.

- D'autres souvenirs abondent. Vous pouvez parler longuement de l'enseignement chez les jésuites, dont vous avez gardé une mémoire très vive, que vous avez utilisée dans certains de vos romans, comme "Frans et François" par exemple. Des lieux vous ont marqué durant ces années de votre adolescence, de vos premiers apprentissages.

- J'ai fait mes humanités gréco-latines dans deux collèges, Saint-Michel et puis Saint-Boniface. C'est là que j'ai appris que Louis XIV avait fait bombarder la grand-place de Bruxelles! On ne le dit pas en France, çà. Mon professeur de troisième latine s'appelait Monsieur Lahaye. Je mets son nom quand un ordinateur pose la question secrète au cas où on oublierait son mot de passe : "votre professeur préféré". Il m'a écrit lorsque j'ai publié mes premiers livres ; il disait être fier de moi. Dans les années 80, j'ai rencontré à Tokyo un autre de ses anciens élèves et nous lui avons envoyé une carte postale. Il mourut peu de temps après, je crois. Pendant un cours de français, je m'étais disputé avec lui à propos de Cocteau, sans savoir qu'un demi-siècle plus tard, ce serait l'exemple de Cocteau qui me pousserait à me présenter à l'Académie française! L'Expo 1958 a été très importante. J'ai eu 17 ans pendant cette exposition, j'ai découvert des films, des peintres, des êtres humains exceptionnels : ce serait une belle séquence pour mon film de reconstruire le pavillon américain et la fresque de Saul Steinberg. Le stabile de Calder, transfuge de ce pavillon, s'est retrouvé, lui, entre l'ancien Old England et la nouvelle cinémathèque. Et si on parlait de Venise, la ville où je suis allé le plus souvent? Il n'y a pas que Bruxelles. De toute façon, j'aime toutes les villes où je vais, c'est une chance, c'est peut-être dû à une curiosité que je considère comme un instrument de travail.

- Que pensez-vous de la Belgique actuellement? Quel est aujourd'hui votre sentiment à l'égard de votre pays ou de votre ville d'origine, des relations entre communautés et des problèmes présents en général?

- Alors, je tiens beaucoup à dire le plus grand bien de la vie intellectuelle en Flandre. Déjà en 1967, c'est la télévision dite flamande, la BRT, qui m'a commandé un film d'une heure sur Baudelaire à l'occasion du 100ème anniversaire de sa mort. J'ai pu tourner avec un chef opérateur et un ingénieur français. Mon titre était "Baudelaire is gestorven in de zomer". Il y a deux ou trois ans, j'ai fait des lectures en français, surtitrées en néerlandais, dans une dizaine de théâtres, de Brugge à Hasselt, de Knokke à Gent, à Sint-Niklaas, à Aalst, à Mechelen et dans l'extraordinaire théâtre Bourla d'Antwerpen, en compagnie de confrères néerlandophones (Anne Provoost, Bernard Dewulf entre autres). Et même à...Brussel! Je logeais à Anvers, on y rentrait tous les soirs en minibus. C'était organisé par l'étonnant Luc Coorevits, l'inventeur de Behoud de begeerte et la tournée s'appelait "Saint Amour Vlaanderen". Saint Amour,c'est à cause du vin de Bourgogne! Chaque soir, je lisais en français devant un public en or, plutôt jeune et extrêmement attentif, dans des théâtres qui étaient complets. Il y avait un partage de rires et d'émotions, une complicité forte. Ces soirs-là, elle était aux oubliettes, la malsaine frontière linguistique. Là encore, je voudrais me servir de cette tournée, ces dix jours incroyables, dans un roman. Si je vous en parle davantage, ce sera moins intériorisé, moins mystérieux pour moi. Pour rester du côté néerlandophone de cette frontière linguistique utilisée de la pire des façons, laissez-moi ajouter que je m'intéresse de très près par admiration au travail de trois peintres dits flamands : Thierry De Cordier, Luc Tuymans et Michaël Borremans. Je vais finir par acheter des dessins de Thierry De Cordier.

- Mais il fallait à l'époque quitter Bruxelles et monter à Paris? C'était irrésistible?

- N'oubliez pas que ma mère et donc la moitié de ma famille sont françaises. Un de mes oncles, sociologue, habitait Paris. Et après un passage à l'IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques) et mes premiers articles dans les "Cahiers du Cinéma", je suis revenu un mois à Bruxelles pour y tourner en avril 1961 mon premier court-métrage professionnel en 35mm, sur un jeune chorégraphe qui s'appelait Maurice Béjart. Avec ce film, j'ai eu un grand prix au festival de Bergame, où j'ai rencontré Marcel Duchamp. Le prix, c'était un chèque d'un million de lires que j'ai reçu en liquide dans une banque lombarde. J'avais 20 ans. Ah l'Italie! Qu'est-ce qu'on serait sans l'Italie? A propos, vous avez vu sur youtube l'intervention de Riccardo Muti à l'Opéra de Rome? Il interrompt la représentation d'un opéra de Verdi et s'adresse à la salle, où se trouvait le sieur Berlusconi, pour s'indigner des coupes dans le budget de la Culture. J'avais la chair de poule. Il faut absolument regarder çà.

- C'est aujourd'hui le plus parisien des écrivains belges, peut-être celui que l'on attendait le moins, qui va revêtir l'habit vert, porter l'épée et prononcer le discours de circonstance. Peut-on supposer, espérer, en cette occurence, qu'il s'agira, outre la pratique convenue de l'éloge, d'un objet hautement littéraire et tout à fait personnel?

- Le plus parisien des écrivains belges, où allez-vous chercher çà? J'ai écrit les 3/4 des 500 pages du "Pitre" à Cannes, à Avignon, à Venise, à Londres, à Munich, à Amsterdam, et "Macaire le Copte" dans une maison de campagne à Sologne. J'ai commencé de rédiger "Je suis écrivain" à Montréal. J'ai récemment vécu un an en Suisse. Cela dit, j'aime écrire à Paris, où vivent mes enfants et petits-enfants, et où sont mes éditeurs. Et puis c'est à Paris que je trouve tout ce dont j'ai besoin : l'amour, l'amitié, les restaurants, le musée du Louvre, le centre Pompidou, les centres culturels du monde entier ou presque, la Seine. Pour les restaurants, Bruxelles n'est pas mal non plus. Pour l'amour aussi, j'imagine. Mais l'adjectif "parisien" ne me plaît pas. Quant à "écrivain belge", c'est un autre dossier, vous en conviendrez... Elu en mars 2009, je serai reçu le 16 juin 2011 à l'Académie française. C'est un peu long, mais de prestigieux confrères ont attendu aussi longtemps, René Clair et Edmond Rostand. Ce fut long parce que l'Académie devait recevoir quatre ou cinq académiciens élus avant moi. Dans un geste à la fois sentimental et réfléchi, je reprendrai l'épée de mon ami Maurice Béjart qui fut membre de l'Académie des Beaux-Arts. Je préfère que cette épée continue de vivre plutôt que de m'en faire faire une, avec de prétendus symboles de ce qu'on appellerait mon oeuvre. J'ai fait graver les lettres de l'aphabet qui est après tout mon premier instrument de travail! La mort de Maurice vint mettre fin à plus de 40 ans d'une amitié sans disputes. J'ai eu en 2007 le douloureux honneur d'organiser ses funérailles. Elles eurent lieu dans un théâtre plutôt que dans une église".

mercredi 6 juillet 2011

Interview croisée d'Edmée De Xhavée et Nicole Versailles

Petit Belge : Avant de faire publier votre premier livre, vous avez toutes les deux créé un blog et choisi un pseudonyme. Pourquoi avez-vous fait ces deux choix et qu'est-ce que cela vous a apporté?

Edmée : Quand j'étais petite, je jouais à être une (merveilleuse) princesse adorée de tous mais d'une sauvagerie assez impressionnante (je grimpais aux arbres, me battais à l'épée et avais une chevelure avec laquelle j'aurais pu étrangler plus d'un impoli). Mais j'avais un grain de beauté sur le bras qui, lorsque je le voyais au cours de mon jeu, me rappelait cruellement que je n'étais "que" moi. Je me suis donc peut-être offert non pas la couronne d'une princesse, mais un second moi. Je me sens plus libre d'écrire sous un pseudonyme qui est un de mes prénoms de baptême et le nom d'une rue commerçante de ma ville natale, Verviers. Quant au blog, au départ, je l'ai fait pour présenter mon premier roman "Les Romanichels". Or ils ont mis si longtemps à être prêts qu'entretemps, je m'étais mise à parler de bien d'autres choses, et à me prendre au jeu. Maintenant, j'y tiens beaucoup et essaie de garder ma discipline autant que possible.

Nicole : Depuis toujours, j'aime écrire, j'ai rempli des cahiers entiers achetés tout neufs et de préférence tout rouges, de mes petites pensées personnelles. Tellement personnelles que tôt ou tard les cahiers se retrouvaient plongés dans les feux de joie de la cheminée...sous mes yeux nostalgiques de voir partir en fumée tant de mots dont je ne retrouverai plus jamais la trace. La peut d'être percée à jour par une indiscrétion commandait cet acte de destruction massive! C'est pour cette raison que l'anonymat de la toile me séduisait tellement : écrire sous les yeux du monde entier, tout en restant cachée de mon entourage... Quel paradoxe tentant! Et puis, il y avait la magie incroyable de voir affichés sur la fenêtre de mon ordinateur, accessibles à chacun, les mots que j'écrirais, mes mots à moi. Cela me semblait proprement fascinant! Je me prenais à rêver que moi aussi, je pourrais écrire de belles choses sur l'écran du monde entier, que je pourrais être lue par des dizaines de lecteurs que j'imaginais bien sûr intéressés et enthousiastes. Ecrire et être lue dans un même élan, je n'osais y penser, moi qui jusqu'alors n'avais confié qu'à mes tiroirs les plus secrets quelques mots inachevés. J'avais envie d'écrire et je me prenais à rêver qu'on me lise... Comme tant d'autres, je me suis donc peu à peu laissée séduire par l'idée exaltante de déposer dans le vaste monde du Net les traces indélébiles et passionnantes de ma vie, en réalité pas toujours si passionnante que çà et même parfois franchement quelconque. Mais qui sait? Ma vie prendrait peut-être un autre relief si elle s'affichait sur l'écran de cet ordinateur qui décidément prenait de plus en plus de place dans ma vie... Le pseudo choisi sur un coup de coeur pour sa musicalité était obligatoire, l'anonymat était à ce prix.

Petit Belge : Nicole en a déjà parlé dans la première question, mais vos romans et les textes de vos blogs sont en partie autobiographiques?

Nicole : En ce qui concerne mes livres, "Tout d'un blog" et mon récit de vie "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" racontent beaucoup de moi, bien sûr... Même chose en ce qui concerne mon blog, qui sont des billets d'humeur à propos du quotidien, de la vie : c'est du personnel qui peut rencontrer le vécu des autres. Mon recueil de nouvelles raconte des histoires de fiction. J'ai voulu sortir de la facette "personnelle", récit de vie, faire autre chose...inventer des personnages et les aventures qu'ils vivent, j'ai aimé çà!

Edmée : Comme Nicole, le premier roman contient beaucoup d'éléments personnels réels, mêlés à de la fiction parce qu'il ne s'agit pas du tout d'une histoire vraie (je me souviens d'un ami français qui, horrifié, y a tellement cru qu'il m'a dit : "mais comment as-tu pu abandonner ton enfant???"). Le second aussi, mais avec plus de fiction. Le troisième sera un recueil de nouvelles où je pense que seuls les éléments de décor ou de mise en scène sont parfois réels, ou un personnage secondaire. Le blog, c'est personnel oui, mais je ne cherche pas à en faire un journal ou une sorte d'autobiographie. Ce sont les choses qui m'ont marquée, ont accroché ma curiosité, et que je cherche à partager.

Petit Belge : La famille, ses secrets et ses dessous de table, ainsi que la relation mère-fille sont présents dans vos ouvrages respectifs?

Edmée : Toute famille a des secrets, tout cercle social en a. Les secrets sont les tabous que l'on a enfreint, et donc forcément, les maisons sont tapissées de secrets. Ca me fascine, d'autant plus que, finalement, les gens sont de fameux comédiens! Quant à la relation mère-fille, je la trouve toujours intriguante aussi. Après tout, une mère est une mère au sortir de notre regard, nous ses enfants, mais elle est une jeune femme dans le sien propre - heureuse ou déjà lasse de ce que la vie pouvait lui offrir - et une fille inexperte dans le regard de ses parents. Elle peut aussi être une amante exceptionnelle ou une épouse trop conventionnelle aux yeux de son époux. Mais elle n'est la mère que pour ses enfants, et son rôle peut lui plaire ou pas, l'user, la ravir, l'amuser parce qu'elle confie les enfants à des nannies et offre un baiser parfumé du soir, la tuer parce qu'elle est seule et n'en sort pas. Ce sont des relations difficiles et qui ne trouvent leur plénitude, je pense, que sur la longue durée, la longue attente, la longue patience.

Nicole : La famille, ses failles, ses douleurs, son manque de dialogue sont évoqués surtout dans mon livre "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers"...mais aussi sous forme de fiction dans mes nouvelles. Dans mon récit de vie, j'ai tenté d'explorer quelque peu toutes ces failles, à travers les visages de trois générations de femmes. J'ai voulu aussi retrouver mes souvenirs d'enfant, ceux qui s'obstinaient à se cacher dans ma mémoire sélective. Je l'ai fait pour que mes enfants puissent avoir accès à leur histoire et puissent à leur tour la transmettre plus librement à leurs enfants. Quant à la relation mère-fille, elle n'a pas été simple pour moi, ce fut le berceau de beaucoup d'incompréhensions. L'amour et la haine s'y sont côtoyés bien souvent. J'ai voulu croire jusqu'au bout que l'amour pouvait triompher de tout par le dialogue et qu'il n'y a aucune malédiction d'incompréhension définitive. Je crois fermement que, quel que soit le passé, le futur reste sans cesse à construire et qu'il est dans nos mains!

Petit Belge : Vous dénoncez toutes les deux l'hypocrisie et les conventions de certains milieux, liées notamment à la religion et au "qu'en dira-t-on?". Etes-vous la rebelle de votre famille?

Edmée : Je suis certainement la rebelle, mais je ne me voyais pas comme telle. On me regardait un peu comme celle qui ne comprenait rien, la cigale impénitente, et on me sérinait "pierre qui roule n'amasse pas mousse"... C'est vrai que je n'ai pas de mousse, mais peut-être suis-je une pierre brute? Et je ne suis ni anti-religion, ni anti-famille, et je reconnais la nécessité des conventions aussi. Mais tout est dans la mesure, car souvent, c'est le fait de cacher les choses pour ne pas faire de mal aux enfants, à une épouse, à un groupe humain qui fera le plus grand désastre en fin de compte car le secret viendra au jour quand même, mais à la manière d'une bombe.

Nicole : Non, je ne suis une rebelle. Je suis juste une femme en quête de vérité. S'il me faut dire quelque chose (principalement par l'écriture), je tente de le dire tant dans le respect de l'autre que dans la fidélité à moi-même. Je suis bien plus encore une femme en quête d'amour (aussi bien donné que reçu), sans doute idéaliste à ce niveau... Je suis capable de me taire, de prendre sur moi, pour ne pas blesser l'autre...et de continuer seule au profond de moi-même mon chemin d'humanité. C'est aussi pour cette raison que j'aime écrire : il m'est donné l'occasion de m'exprimer de manière non-violente. Maintenant, dans ma fratrie, je suis considérée comme un peu "à part"...

Petit Belge : Autre ressemblance entre vos écrits : les femmes y sont très présentes et les hommes sont souvent à l'arrière-plan. Est-ce un choix ou un hasard?

Edmée : Ma vie m'a portée à construire autour de moi un mur de femmes. A savourer la force et la présence des femmes. Parce que les hommes furent, en fait, peu présents...en tout cas positivement présents. J'ai grandi dans un monde de femmes : ma mère (divorcée), sa mère (séparée), la gouvernante (une vieille demoiselle malgré de nombreux prétendants), des tantes veuves ou divorcées, des amies de ma mère célibataires ou "plantées là"... L'homme semblait ne faire que de brèves apparitions et disparaître.

Nicole : Difficile de répondre à cette question. Je répondrais spontanément que c'est un hasard, mais ce genre de hasard n'existe pas vraiment... J'aime me glisser dans la peau des femmes, essayer de mieux les comprendre, essayer de savoir ce qu'elles peuvent vivre. Mais je suis tout aussi intriguée par le monde masculin, il me fascine tout autant. Alors hasard sans doute... En tout cas, ce ne fut pas un choix délibéré. J'aime beaucoup les hommes (rires)!

Petit Belge : Quelles difficultés et quelles bonnes surprises avez-vous rencontrées pour faire connaître vos livres et votre blog?

Nicole : Je n'ai pas cherché à faire connaître mon blog. J'étais au début une simple anonyme qui écrivait simplement sur la vaste toile. Mais très vite les lecteurs sont venus... Cela m'a surprise... Il semblait qu'on aimait me lire, je n'en revenais pas mais c'était du bonheur. Ecrire et avoir cette chance d'être lue, que demander de plus? Mes lecteurs sur mon blog sont bien plus nombreux que les lecteurs de mes livres... Et la surprise la plus merveilleuse, c'est que mes livres se sont fait connaître en priorité grâce à mes amis blogueurs. C'est mon meilleur réseau!

Edmée : Les bonnes surprises ont été l'aide de gens, comme toi Petit Belge, qui ont fait que mon blog a bien démarré et avec lui l'annonce faite au bon peuple de la sortie de mon livre, ce qui a duré plus d'un an. J'ai donc eu des fidèles du blog qui ont acheté le livre. Maintenant, les éditions Chloé des Lys ne font pas de promotion ou presque, c'est donc à l'auteur de se débrouiller. Un petit noyau d'auteurs se soutient et s'entraide, ce qui assure une bonne relation sans rivalité et des échanges d'idées. Un auteur m'a, par exemple, mis une vidéo promotionnelle sur youtube, et je viens d'avoir une interview de Bob Boutique - autre auteur - qui vient de passer dans l'émission Actu TV de juin 2011. Je vais participer un peu plus à des événements littéraires, maintenant que je suis en Belgique. J'espère donc que çà aidera...

Petit Belge : Quels sont vos projets littéraires?

Nicole : Une publication des billets les plus commentés des Petites Paroles de Coumarine (très bientôt). Une publication collective d'ici la fin de l'année, dont je ne peux encore rien dire. Et puis d'autres choses en chantier...mais je préfère ne pas dévoiler ce genre de projet tant qu'ils ne se trouvent pas finalisés. J'en profite pour annoncer que le 7 septembre à 9h30, je serai interviewée dans les locaux de la Sabam dont je fais partie (dans le cadre des Mercredis du Livre). Et que le 16 octobre, je participe en tant qu'auteure au "Curieux dimanche" à la bib. Sésame à Schaerbeek (interview et dédicaces vers 13h, les détails suivront). Ces deux interviews concernent les "Dessous de table", éditions Mémory Press, 2010.

Edmée : Là pour le moment, je laisse un peu de place et d'espace à "De l'autre côté de la rivière, Sibylla". Et je pense sortir, l'année prochaine, un recueil de nouvelles (chic, diront certains, moins de personnages!) d'amour et de mals d'amour... Mais pour entretenir la forme, je compte aussi continuer à faire les petits concours littéraires qui passent, ne serait-ce que parce que c'est chaque fois un défi qui me stimule et m'évite de penser que "çà, c'est pas pour moi!".

Petit Belge : Quel regard porterz-vous sur cette interview croisée, et sur le travail et l'écriture l'une de l'autre?

Edmée : Je dois dire que j'aime énormément ce que fait Coumarine. Je visite moins son blog - je visite moins tous les blogs - parce que j'ai moins de temps, mais je le garde, avec quelques autres, "pour la bonne bouche". J'ai lu deux de ses livres avec fascination et, sans vouloir me comparer à elle, quelque part je me reconnais en elle sur bien des points. On a, je pense, le même regard sur les choses, bien qu'elle me paraisse plus sage que moi (dans le bon sens!). Coumarine, pour moi, est une dame! Son écriture est belle, profonde, sans langue de bois et sans vulgarité. J'aime beaucoup, beaucoup !!!

Nicole : Je n'ai lu que le premier roman d'Edmée qui m'a un peu déroutée par l'abondance des personnages et la complexité de son intrigue. C'est le genre de livre qu'il faut lire d'une traite, sous peine de perdre le fil de l'histoire. Edmée écrit de manière ample, avec une grande richesse de vocabulaire. Cette écriture ample et recherchée, apparaît aussi sur son blog et suscite souvent l'admiration de ses lecteurs. Edmée écrit moins sur son blog que moi, ce qui me permet quant à moi, de la lire régulièrement. Quant à cette interview croisée, j'ai trouvé l'idée originale et intéressante : Edmée et moi, nous nous ressemblons pas mal, nous sommes contemporaines, nous écrivons et publions depuis peu, et nous tenons un blog à visée plutôt littéraire. D'autre part, la place de la femme, chez elle comme chez moi, est prédominante, et cependant nous ne sommes ni l'une, ni l'autre des "féministes". N'ayant pas lu toutes ses réponses, ce sera donc une (belle) surprise de découvrir l'ensemble de l'interview... Merci Petit Belge de nous avoir permis cette confrontation amicale.