Né à Mouscron en 1943, Jacques Mercier est un homme polyvalent. Journaliste de formation, il a animé de nombreuses émissions populaires de radio et de télévision sur la RTBF ("Dimanche Musique", "Musique au petit-déjeuner", "Le jeu des dictionnaires", "Forts en têtes", etc), il tient une rubrique quotidienne "Monsieur Dico" dans le journal "La Libre Belgique" depuis plusieurs années, il est l'auteur de romans, d'essais mais aussi de livres pour enfants.
"Un équilibre fragile" raconte l'histoire de Gustave, un écrivain trentenaire connaissant le succès et élu précocement à l'Académie. Secondé par son assistant Gilles, il est emporté par les nombreuses obligations de sa carrière littéraire qui l'ennuient : interviews, conférences, séances de dédicaces ou négociations de contrats. Il leur préfère le travail d'écriture.
Jusqu'à la page 134, on suit Gustave qui tente de concilier sa carrière, son amour pour Charlotte et...ses infidélités. Ce passage traduit son état d'esprit : "Notre couple est à l'image d'un tricot de ma grand-mère. En jouant, j'avais heurté l'ouvrage et l'aiguille avait glissé, relâchant tous les points. Le travail avait encore l'air d'être structuré, mais il pouvait se désarticuler au moindre mouvement. L'envie de liberté monte en moi, grossit en rejetant toutes les objections, ne les relevant plus".
Après le divorce de Gustave et Charlotte, aucun élément nouveau n'apparaît jusqu'à la fin du récit devenu monotone et répétitif. On continue de suivre Gustave entre ses activités littéraires et les femmes qu'il rencontre. Mais il faut féliciter Jacques Mercier, un passionné de la langue française, pour l'excellent travail d'écriture, marqué par de fréquents flash-backs dans le passé de Gustave.
Je laisse la conclusion à l'auteur qui résume assez bien le roman : "Quand je suis moi-même et me fie à mes intuitions (ou mon instinct qui est inné, irréfléchi, animal, spontané?), je réussis ma vie professionnelle mais pas ma vie amoureuse. L'échec avec Charlotte est d'autant plus douloureux que mes succès littéraires foisonnent en parallèle. Ces deux pans de ma vie relèvent de la même énergie, il me semble y consacrer autant de temps et j'en conclus que s'engager totalement dans deux entreprises est impossible (...) La compréhension que j'ai de l'amour n'est pas aussi claire que celle que j'ai de la création" (p.167).
dimanche 30 août 2009
samedi 22 août 2009
"Amélie Nothomb de A à Z : portrait d'un monstre littéraire" (Michel Zumkir)
A chacune de mes visites à la Foire du Livre de Bruxelles, je suis fascinné par les dizaines et dizaines de personnes (en particulier des jeunes) qui font la file pendant des heures pour se faire dédicacer un roman par Amélie Nothomb. Cette dernière a toujours l'air disponible, agréable et simple. Qu'on aime ou qu'on déteste ce qu'elle écrit, elle mérite le respect car elle donne le goût de la lecture à de très nombreux jeunes. J'ai voulu découvrir sa personnalité, la femme qui se cache sous son chapeau noir.
Issue d'une famille très connue en Belgique et fille d'un diplomate, Amélie est née au Japon en 1967 et a vécu ensuite en Chine, aux Etats-Unis, au Laos, en Birmanie et au Bangladesh. A l'âge de 17 ans, elle vient habiter en Europe et effectue des études de philologie romane à l'Université Libre de Bruxelles, où elle aura du mal à se faire intégrer à cause de son nom et de sa personnalité décalée. Elle consacre son mémoire à l'oeuvre de Bernanos.
Son diplôme en poche, Amélie retourne au Japon où elle travaille dans une grande entreprise. Après cette expérience pénible qu'elle raconte dans "Stupeur et tremblements", elle rentre en Belgique et publie "Hygiène de l'assassin" aux éditions Albin Michel en 1992. C'est un succès. Désormais, elle peut vivre de sa passion pour l'écriture et publie chaque année un roman en septembre. Elle est également l'auteur de textes pour la chanteuse française Robert et a reçu divers prix.
Construit sous forme d'abécédaire, cette biographie d'Amélie Nothomb contient des entretiens avec ses parents, sa soeur, son attachée de presse et des professionnels du monde de l'édition. On y apprend que ses livres sont traduits en 35 langues, qu'elle prend ses congés entre le 15 juillet et le 15 août, qu'elle est amoureuse mais ne souhaite pas avoir d'enfants. Elle aime, entre autres, la correspondance, l'art nouveau bruxellois, le Japon, la culture gréco-latine, le thé, la famille royale belge, Jacqueline Harpman et Mylène Farmer. Elle déteste être prise en photo et aller dans des cocktaïls mondains.
Une remarque de la mère d'Amélie m'a particulièrement surpris : "Ce succès me prive de mon enfant. Je ne la vois que quelques jours par an. A part çà, j'ai droit à un coup de fil de trois minutes par jour. J'en sais moins sur sa vie privée que beaucoup de mères. J'ignore où elle vit et avec qui. Nous ne pouvons jamais aller la voir chez elle. Elle est terriblement secrète".
Enfin, il faut noter l'objectivité sans complaisance et sans préjugé de Michel Zumkir qui s'est consacré à l'oeuvre d'Amélie Nothomb et n'a pas cherché à entrer dans sa vie privée. Il a également le mérite d'avoir écrit un livre accessible au grand public.
Issue d'une famille très connue en Belgique et fille d'un diplomate, Amélie est née au Japon en 1967 et a vécu ensuite en Chine, aux Etats-Unis, au Laos, en Birmanie et au Bangladesh. A l'âge de 17 ans, elle vient habiter en Europe et effectue des études de philologie romane à l'Université Libre de Bruxelles, où elle aura du mal à se faire intégrer à cause de son nom et de sa personnalité décalée. Elle consacre son mémoire à l'oeuvre de Bernanos.
Son diplôme en poche, Amélie retourne au Japon où elle travaille dans une grande entreprise. Après cette expérience pénible qu'elle raconte dans "Stupeur et tremblements", elle rentre en Belgique et publie "Hygiène de l'assassin" aux éditions Albin Michel en 1992. C'est un succès. Désormais, elle peut vivre de sa passion pour l'écriture et publie chaque année un roman en septembre. Elle est également l'auteur de textes pour la chanteuse française Robert et a reçu divers prix.
Construit sous forme d'abécédaire, cette biographie d'Amélie Nothomb contient des entretiens avec ses parents, sa soeur, son attachée de presse et des professionnels du monde de l'édition. On y apprend que ses livres sont traduits en 35 langues, qu'elle prend ses congés entre le 15 juillet et le 15 août, qu'elle est amoureuse mais ne souhaite pas avoir d'enfants. Elle aime, entre autres, la correspondance, l'art nouveau bruxellois, le Japon, la culture gréco-latine, le thé, la famille royale belge, Jacqueline Harpman et Mylène Farmer. Elle déteste être prise en photo et aller dans des cocktaïls mondains.
Une remarque de la mère d'Amélie m'a particulièrement surpris : "Ce succès me prive de mon enfant. Je ne la vois que quelques jours par an. A part çà, j'ai droit à un coup de fil de trois minutes par jour. J'en sais moins sur sa vie privée que beaucoup de mères. J'ignore où elle vit et avec qui. Nous ne pouvons jamais aller la voir chez elle. Elle est terriblement secrète".
Enfin, il faut noter l'objectivité sans complaisance et sans préjugé de Michel Zumkir qui s'est consacré à l'oeuvre d'Amélie Nothomb et n'a pas cherché à entrer dans sa vie privée. Il a également le mérite d'avoir écrit un livre accessible au grand public.
dimanche 16 août 2009
Nouveau livre de Nicolas Ancion
Et oui, la rentrée littéraire approche... Le 27 août, le nouveau livre de l'écrivain belge Nicolas Ancion (http://www.nicolasancion.com/), "L'homme qui valait 35 milliards", sortira au Grand Miroir (éditions Luc Pire). Je ne l'ai pas lu, mais l'action se passe dans la Cité Ardente avec la sidérurgie en toile de fond. Outre ses talents d'écrivain, Nicolas est également un pro de la communication : site Internet, blog, Facebook, visite dans les classes, etc. (cette remarque vaut aussi pour l'auteur belge Vincent Engel). Pour marquer la sortie de son nouveau livre, il a pensé à une vidéo très bien faite que vous pouvez trouver sur YouTube ou sur son blog http://ancion.hautetfort.com/ . Bien pensé! Et comme il sait que je suis son travail et que nous nous sommes rencontrés en mars à la Foire du Livre de Bruxelles (en plus, il est sympa!), il a eu la gentillesse de m'avertir personnellement de cette sortie, ainsi que d'autres bloggeurs probablement. Comment dès lors ne pas avoir envie de l'aider?
Allez, chers lecteurs fidèles de ce blog, apportez un petit coup de pouce à un auteur belge et vous aurez en plus le plaisir de pouvoir discuter par mail avec lui. Bon vent Nicolas!
P.S. Ce serait intéressant d'avoir l'avis d'autres écrivains (la Bande des Nez Rouges, Philippe Desterbecq, Jean Botquin, etc.) et de Bob, notre ami libraire : que pensez-vous de la communication de Nicolas?
Allez, chers lecteurs fidèles de ce blog, apportez un petit coup de pouce à un auteur belge et vous aurez en plus le plaisir de pouvoir discuter par mail avec lui. Bon vent Nicolas!
P.S. Ce serait intéressant d'avoir l'avis d'autres écrivains (la Bande des Nez Rouges, Philippe Desterbecq, Jean Botquin, etc.) et de Bob, notre ami libraire : que pensez-vous de la communication de Nicolas?
lundi 3 août 2009
Interview de l'auteur belge Pierre Coran
Il y a quelques semaines, je vous avais déjà parlé de Pierre Coran qui fête en 2009 ses 50 ans de carrière littéraire. J'ai retrouvé une longue interview qu'il avait accordée l'an dernier à la revue "Le Carnet et les Instants" :
"Comment en êtes-vous venu, en étant instituteur, à vous lancer dans l'écriture pour la jeunesse?
- J'avais publié un premier livre de poésie. Un élève de 5ème primaire m'a dit : "Pourquoi avez-vous écrit pour les parents et pas pour nous?". Interloqué, j'ai écrit ce soir-là un poème que j'ai mis au tableau le lendemain. Les élèves m'ont dit : "Ce n'est pas mal mais il faudra nous en écrire d'autres". Je me suis rendu compte qu'en 1960, la littérature de jeunesse n'existait pas, qu'elle était tout au plus embryonnaire. Même Maurice Carême faisait alors ses livres à compte d'auteur! Moi aussi, je faisais paraître mes livres moi-même aux Editions Le Cyclope. Des tirages de 5.000 exemplaires parfois, sans même d'illustration! Je les vendais très bon marché à des associations. Ma mise récupérée, je sortais un autre livre de poèmes. A la fin des années 70, Casterman m'a fait confiance et j'ai commencé à faire carrière dans l'écriture pour enfants. Entretemps, j'étais devenu directeur d'école et çà devenait dur de faire les deux. C'est donc en 1978 que j'ai décidé de quitter l'enseignement pour vivre de ma plume. Je gardais un jour de cours comme professeur d'histoire de la littérature au Conservatoire Royal de Mons. Cela m'a permis de faire carrière.
- A cette époque, était-il possible de vivre de sa plume en écrivant pour la jeunesse?
- C'était très difficile, mais possible. Bien sûr, j'ai fait d'autres choses, comme des scénarios pour la télévision, principalement pour des dessins animés. J'ai aussi écrit sur commande. Je ne revendique pas ces livres-là, mais on peut dire qu'ils m'ont appris mon métier. D'ailleurs, c'était cela ou rentrer dans l'enseignement. J'avais un congé de deux ans pour convenance personnelle et c'était la débrouille! Je n'ai jamais signé de contrat avec un éditeur, ni Grasset, ni le Seuil, ni Flammarion. C'est trop contraignant et çà ne permet pas de vivre de ses livres.
- Vous écrivez tous les jours?
- J'écris presque quotidiennement quand j'écris un roman. Quant aux poèmes, c'est quand ils viennent, quelquefois en pleine nuit! Je les accumule jusqu'au jour où je les réunis. Je publie aujourd'hui cinquante fables. On m'avait mis en garde : "Les fables, ce n'est pas du tout commercial!". Mais finalement, le livre sort chez Grasset. J'ai eu le Prix La Fontaine dans le temps, mais je n'avais jamais utilisé les fables. Avec l'illustrateur français Christophe Besse, on vient de signer des "Antifables". Il faut comprendre que c'est un livre anti-gnangnan. Avant nous, il y a bien eu les "Antimémoires" d'André Malraux!
- Quel conseil donneriez-vous à un auteur débutant?
- Si j'avais un conseil à donner aux plus jeunes, c'est qu'il faut se battre et ne surtout pas tenir compte des modes. Si on y croit, on se bat pour. Aujourd'hui, c'est un phénomène, la littérature de jeunesse. A condition de publier beaucoup, on peut en vivre. Les livres qui marchent bien permettent d'avoir des animations et ce sont ces animations qui font vivre les auteurs. Il faut savoir que ce ne sont jamais les livres ni leurs droits d'auteur qui permette d'avoir une vie d'auteur à temps plein, mais les animations autour de nos livres. Si on ne sort pas assez de livre, on n'a plus d'animations... Si on fait un métier d'écriture, il ne faut pas privilégier l'argent. J'aimais bien être directeur d'école, mais je ne pouvais pas faire les deux en même temps. Ce métier m'a permis de voyager, d'être invité à des salons du livre, de faire des animations jusqu'au Sénégal ou en Louisiane. Je n'ai jamais regretté, mais bien sûr j'ai un mode de vie beaucoup plus modeste que celui que j'aurais pu avoir.
- Pouvez-vous nous dire un mot de vos animations dans les écoles?
- Dans les salons du livre, je participe à des animations sur mes romans et ma poésie. Il existe aussi une animation dans mon village natal, où je suis né en 1934, à Saint-Denis dans la banlieue de Mons. Je lui ai consacré une trilogie romanesque inspirée de mon enfance pendant la guerre. Les écoles peuvent venir y passer trois heures, découvrir le village et les lieux réels où s'est déroulée l'action des "Commandos des pièces-à-trous". Au préalable, ils ont lu l'un ou l'autre des romans de la trilogie qui vient de reparaître chez Milan dans une édition à 6 euros.
- Quel est l'auteur vivant que vous aimez particulièrement en littérature de jeunesse?
- Ce sont des femmes et elles sont deux, autant pour ce qu'elles écrivent que pour ce qu'elles sont : Susie Morgenstern et Marie-Aude Murail.
- Quels sont les poètes qui vous ont nourri?
- Raymond Queneau tout d'abord! Ses textes me parlent et je les écoute! En 1966, quand j'ai sorti "Enfants du Monde", une anthologie de poésies écrites par des enfants des écoles Freinet, il a salué publiquement l'initiative. Ensuite, Jacques Prévert, qui fut pour moi un premier choc, à seize ans. A la bibliothèque de l'école normale pour instituteurs, j'emprunte "Paroles" et lis avec délectation ses poèmes à dire si différents des chefs d'oeuvre classiques qu'il nous était demandé de mémoriser. Parmi les Belges, il y a Norge pour qui j'ai une admiration sans réserve. On ne s'est jamais rencontrés mais on s'est écrit. Quant à Henri Michaux, ce qui m'a épaté et amené à découvrir ses voyages en mots et ses hallucinations, c'est le "Plume" joué admirablement au théâtre par Philippe Geluck. Je m'en voudrais de ne pas citer Achille Chavée. Il m'est arrivé, un jour, de signer mes premiers albums à compte d'auteur en sa compagnie. Ce samedi-là, il a fait danser mon fils Carl sur ses genoux.
- Comment considérez-vous le fait que votre fils Carl Norac marche dans vos pas?
- J'en suis heureux. L'autre jour, il devait recevoir la médaille de la province du Hainaut. Comme les trains ne roulaient pas, c'est moi qui suis allé la recevoir pour lui! Je crois n'avoir jamais rien fait pour que Carl m'imite. Simplement, si j'avais été cordonnier, il aurait commencé à taper sur des bottines dès l'enfance. J'ai été son instituteur pendant deux ans et je n'ai pas voulu jouer au papa contraignant. Je lui avais dit : "Si tu veux écrire, il te reste à travailler beaucoup". Disons que j'ai sans doute été le déclic. Bien sûr, il y a des similitudes : il a démissionné de son travail au même âge que moi. Il a fait sa vie tout seul et je ne l'ai jamais aidé. Ce que nous faisons est tout à fait différent et j'en suis ravi.
- Vous avez collectionné les prix prestigieux (prix de la Pléiade 1964, prix Jean de la Fontaine 1979, grand prix de poésie pour la jeunesse à Paris en 1989 pour n'en citer que quelques-uns). Qu'a représenté pour vous le prix triennal?
- J'ai eu peu de prix mais des prix importants. Ici, dans ce premier prix triennal, ce qui m'intéresse surtout, c'est qu'une ministre a reconnu la littérature de jeunesse comme littérature à part entière. On nous a reconnus, Marie Wabbes, Kitty Crowther et moi-mêmes, comme auteurs de littérature de jeunesse, mais aussi tous les autres qui vont suivre. Cela compte, car toutes les générations qui suivent vont s'installer dans quelque chose d'enfin reconnu. Il y aura des prix l'année prochaine et les suivantes. C'est çà qui est formidable. Et Fadila Laanan va entrer dans l'histoire de la culture en Belgique comme la première à avoir réellement reconnu la littérature de jeunesse.
- Jusqu'ici, vous pensez qu'il y avait une sorte de condescendance?
- Oui, je le pense. Surtout à l'époque où j'ai commencé à écrire. On n'est pas vraiment pris au sérieux quand on écrit pour les enfants. Ca me poursuit parfois encore aujourd'hui : certains de mes romans dits pour adolescents pourraient tout aussi bien être lus comme romans pour adultes. Une autre conséquence, pour ma poésie celle-là, est que je suis rarement repris dans les anthologies alors que j'ai écrit pas mal de poèmes pour adultes. Mais je n'en souffre pas. Je ne suis pas tellement dans le milieu littéraire et je n'entends pas ses rumeurs... Quand j'aime bien quelqu'un qui écrit bien, je le lui dis. Si je n'aime pas, je me tais".
(interview extraite de la revue bimestrielle "Le Carnet et les Instants").
"Comment en êtes-vous venu, en étant instituteur, à vous lancer dans l'écriture pour la jeunesse?
- J'avais publié un premier livre de poésie. Un élève de 5ème primaire m'a dit : "Pourquoi avez-vous écrit pour les parents et pas pour nous?". Interloqué, j'ai écrit ce soir-là un poème que j'ai mis au tableau le lendemain. Les élèves m'ont dit : "Ce n'est pas mal mais il faudra nous en écrire d'autres". Je me suis rendu compte qu'en 1960, la littérature de jeunesse n'existait pas, qu'elle était tout au plus embryonnaire. Même Maurice Carême faisait alors ses livres à compte d'auteur! Moi aussi, je faisais paraître mes livres moi-même aux Editions Le Cyclope. Des tirages de 5.000 exemplaires parfois, sans même d'illustration! Je les vendais très bon marché à des associations. Ma mise récupérée, je sortais un autre livre de poèmes. A la fin des années 70, Casterman m'a fait confiance et j'ai commencé à faire carrière dans l'écriture pour enfants. Entretemps, j'étais devenu directeur d'école et çà devenait dur de faire les deux. C'est donc en 1978 que j'ai décidé de quitter l'enseignement pour vivre de ma plume. Je gardais un jour de cours comme professeur d'histoire de la littérature au Conservatoire Royal de Mons. Cela m'a permis de faire carrière.
- A cette époque, était-il possible de vivre de sa plume en écrivant pour la jeunesse?
- C'était très difficile, mais possible. Bien sûr, j'ai fait d'autres choses, comme des scénarios pour la télévision, principalement pour des dessins animés. J'ai aussi écrit sur commande. Je ne revendique pas ces livres-là, mais on peut dire qu'ils m'ont appris mon métier. D'ailleurs, c'était cela ou rentrer dans l'enseignement. J'avais un congé de deux ans pour convenance personnelle et c'était la débrouille! Je n'ai jamais signé de contrat avec un éditeur, ni Grasset, ni le Seuil, ni Flammarion. C'est trop contraignant et çà ne permet pas de vivre de ses livres.
- Vous écrivez tous les jours?
- J'écris presque quotidiennement quand j'écris un roman. Quant aux poèmes, c'est quand ils viennent, quelquefois en pleine nuit! Je les accumule jusqu'au jour où je les réunis. Je publie aujourd'hui cinquante fables. On m'avait mis en garde : "Les fables, ce n'est pas du tout commercial!". Mais finalement, le livre sort chez Grasset. J'ai eu le Prix La Fontaine dans le temps, mais je n'avais jamais utilisé les fables. Avec l'illustrateur français Christophe Besse, on vient de signer des "Antifables". Il faut comprendre que c'est un livre anti-gnangnan. Avant nous, il y a bien eu les "Antimémoires" d'André Malraux!
- Quel conseil donneriez-vous à un auteur débutant?
- Si j'avais un conseil à donner aux plus jeunes, c'est qu'il faut se battre et ne surtout pas tenir compte des modes. Si on y croit, on se bat pour. Aujourd'hui, c'est un phénomène, la littérature de jeunesse. A condition de publier beaucoup, on peut en vivre. Les livres qui marchent bien permettent d'avoir des animations et ce sont ces animations qui font vivre les auteurs. Il faut savoir que ce ne sont jamais les livres ni leurs droits d'auteur qui permette d'avoir une vie d'auteur à temps plein, mais les animations autour de nos livres. Si on ne sort pas assez de livre, on n'a plus d'animations... Si on fait un métier d'écriture, il ne faut pas privilégier l'argent. J'aimais bien être directeur d'école, mais je ne pouvais pas faire les deux en même temps. Ce métier m'a permis de voyager, d'être invité à des salons du livre, de faire des animations jusqu'au Sénégal ou en Louisiane. Je n'ai jamais regretté, mais bien sûr j'ai un mode de vie beaucoup plus modeste que celui que j'aurais pu avoir.
- Pouvez-vous nous dire un mot de vos animations dans les écoles?
- Dans les salons du livre, je participe à des animations sur mes romans et ma poésie. Il existe aussi une animation dans mon village natal, où je suis né en 1934, à Saint-Denis dans la banlieue de Mons. Je lui ai consacré une trilogie romanesque inspirée de mon enfance pendant la guerre. Les écoles peuvent venir y passer trois heures, découvrir le village et les lieux réels où s'est déroulée l'action des "Commandos des pièces-à-trous". Au préalable, ils ont lu l'un ou l'autre des romans de la trilogie qui vient de reparaître chez Milan dans une édition à 6 euros.
- Quel est l'auteur vivant que vous aimez particulièrement en littérature de jeunesse?
- Ce sont des femmes et elles sont deux, autant pour ce qu'elles écrivent que pour ce qu'elles sont : Susie Morgenstern et Marie-Aude Murail.
- Quels sont les poètes qui vous ont nourri?
- Raymond Queneau tout d'abord! Ses textes me parlent et je les écoute! En 1966, quand j'ai sorti "Enfants du Monde", une anthologie de poésies écrites par des enfants des écoles Freinet, il a salué publiquement l'initiative. Ensuite, Jacques Prévert, qui fut pour moi un premier choc, à seize ans. A la bibliothèque de l'école normale pour instituteurs, j'emprunte "Paroles" et lis avec délectation ses poèmes à dire si différents des chefs d'oeuvre classiques qu'il nous était demandé de mémoriser. Parmi les Belges, il y a Norge pour qui j'ai une admiration sans réserve. On ne s'est jamais rencontrés mais on s'est écrit. Quant à Henri Michaux, ce qui m'a épaté et amené à découvrir ses voyages en mots et ses hallucinations, c'est le "Plume" joué admirablement au théâtre par Philippe Geluck. Je m'en voudrais de ne pas citer Achille Chavée. Il m'est arrivé, un jour, de signer mes premiers albums à compte d'auteur en sa compagnie. Ce samedi-là, il a fait danser mon fils Carl sur ses genoux.
- Comment considérez-vous le fait que votre fils Carl Norac marche dans vos pas?
- J'en suis heureux. L'autre jour, il devait recevoir la médaille de la province du Hainaut. Comme les trains ne roulaient pas, c'est moi qui suis allé la recevoir pour lui! Je crois n'avoir jamais rien fait pour que Carl m'imite. Simplement, si j'avais été cordonnier, il aurait commencé à taper sur des bottines dès l'enfance. J'ai été son instituteur pendant deux ans et je n'ai pas voulu jouer au papa contraignant. Je lui avais dit : "Si tu veux écrire, il te reste à travailler beaucoup". Disons que j'ai sans doute été le déclic. Bien sûr, il y a des similitudes : il a démissionné de son travail au même âge que moi. Il a fait sa vie tout seul et je ne l'ai jamais aidé. Ce que nous faisons est tout à fait différent et j'en suis ravi.
- Vous avez collectionné les prix prestigieux (prix de la Pléiade 1964, prix Jean de la Fontaine 1979, grand prix de poésie pour la jeunesse à Paris en 1989 pour n'en citer que quelques-uns). Qu'a représenté pour vous le prix triennal?
- J'ai eu peu de prix mais des prix importants. Ici, dans ce premier prix triennal, ce qui m'intéresse surtout, c'est qu'une ministre a reconnu la littérature de jeunesse comme littérature à part entière. On nous a reconnus, Marie Wabbes, Kitty Crowther et moi-mêmes, comme auteurs de littérature de jeunesse, mais aussi tous les autres qui vont suivre. Cela compte, car toutes les générations qui suivent vont s'installer dans quelque chose d'enfin reconnu. Il y aura des prix l'année prochaine et les suivantes. C'est çà qui est formidable. Et Fadila Laanan va entrer dans l'histoire de la culture en Belgique comme la première à avoir réellement reconnu la littérature de jeunesse.
- Jusqu'ici, vous pensez qu'il y avait une sorte de condescendance?
- Oui, je le pense. Surtout à l'époque où j'ai commencé à écrire. On n'est pas vraiment pris au sérieux quand on écrit pour les enfants. Ca me poursuit parfois encore aujourd'hui : certains de mes romans dits pour adolescents pourraient tout aussi bien être lus comme romans pour adultes. Une autre conséquence, pour ma poésie celle-là, est que je suis rarement repris dans les anthologies alors que j'ai écrit pas mal de poèmes pour adultes. Mais je n'en souffre pas. Je ne suis pas tellement dans le milieu littéraire et je n'entends pas ses rumeurs... Quand j'aime bien quelqu'un qui écrit bien, je le lui dis. Si je n'aime pas, je me tais".
(interview extraite de la revue bimestrielle "Le Carnet et les Instants").
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