"La liberté de l'amour" est une conversation de 2005 entre le journaliste Christophe Henning et Colette Nys-Mazure (née en 1939) qui dédie cet ouvrage "à ceux et celles qui m'ont communiqué l'intime conviction d'un amour plus fort que la mort". Son enfance est, en effet, marquée par le décès de ses parents qu'elle raconte en détail dans son livre "L'enfant neuf". Elle rend hommage à l'attention que lui ont prodiguée ses oncles et tantes du Tournaisis, ainsi que Mère Marie-Tarcisius qui lui a transmis sa foi mais l'a découragée d'entrer au couvent : "Je la sentais désireuse de m'aider à trouver ma voie propre, sans aucun préjugé. Outre l'amour inconditionnel, elle m'a révélé le respect de la liberté, l'autonomie de chacun (...) Je suis convaincue que c'est une sainte authentique de notre temps, mais elle n'a nul besoin de canonisation officielle".
Colette raconte ensuite sa rencontre avec son époux - qui avait perdu, lui aussi, sa maman - et confie : "Il se peut qu'influencés par ces débuts tragiques et par la qualité de notre entourage, nous ayons jeté toutes nos forces dans un couple résolu à durer. C'était et c'est un projet fort. Nous avons souhaité une famille nombreuse et désiré l'élargir en accueillant des enfants d'ailleurs, par le biais d'un organisme international". Elle évoque aussi la maternité ("Le fait de donner la vie n'implique pas de donner sa vie pour les enfants"). Trois de ses cinq enfants vivent aujourd'hui à l'étranger et on sent une pointe de tristesse de ne voir ses petits-enfants que deux ou trois fois par an. Mais elle ajoute : "Allons! Ils sont heureux et font leur vie avec allégresse, n'est-ce pas ce que tu souhaites?".
Professeur de français de 1961 à 1999, Colette Nys-Mazure obtient en 1975 le Prix Froissart dont la récompense était l'édition de son premier livre, "La vie à foison". Elle revient sur "Célébration du quotidien", publié en 1997, qui a marqué sa carrière littéraire : "Nous nous masquons notre réalité mortelle, nous fuyons vers l'arrière ou vers l'avant en négligeant ce présent très quotidien qu'il nous est donné de vivre ; nous recherchons l'extraordinaire et c'est lorsque l'ordinaire nous est interdit que nous en mesurons la valeur". Colette Nys-Mazure refuse cependant d'être enfermée dans le courant minimaliste cher à Philippe Delerm. Elle nous raconte ensuite ses quatre résidences d'écrivain - notamment à l'Academia Belgica à Rome - et son besoin d'avoir deux heures solitaires le matin pour lire et écrire.
Dans le chapitre intitulé "Enseigner savoir et saveur", Colette confie : "Aujourd'hui, le travail de l'enseignant se trouve sérieusement compliqué : d'une part, l'école n'est qu'un des accès à l'information et son crédit s'est affaibli ; d'autre part, les élèves sont habitués à zapper lorsqu'une émission les ennuie, et surtout, ils ont tant d'énergie à dépenser que, faute d'activité physique quotidienne, l'attention soutenue au cours leur devient difficile, voire impossible". Aujourd'hui retraitée, elle préfère animer des ateliers d'écriture que donner une conférence, et tente de faire redécouvrir le plaisir de la lecture à ses stagiaires.
Colette Nys-Mazure évoque ensuite la société de consommation, les nouvelles technologies, la religion et son souhait d'être enterrée au Jardin des Poètes au sommet du Mont Saint-Aubert. Même si la mort est souvent évoquée dans cet ouvrage, on le termine avec un message positif d'espoir et d'optimisme. C'est un bon résumé de la vie et de l'oeuvre de cette Grande Dame de la littérature belge dont les médias ne parlent pas assez.
samedi 27 juin 2009
samedi 20 juin 2009
"La Mandarine Blanche" (Rémi Bertrand)
Né à Charleroi (Belgique) en 1982, Rémi Bertrand a effectué des études de philologie romane et d'édition à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve. En 2001, il participe à un séminaire d'écriture organisé par l'écrivain belge Vincent Engel qui débouche sur la publication confidentielle de sa nouvelle "Le gant". Après des stages chez les éditions Fayard et Gallimard à Paris, l'année 2005 voit le début de sa carrière littéraire : les Editions du Rocher publient son essai "Philippe Delerm et le minimalisme positif" (en janvier) et son premier roman "La Mandarine Blanche" (en octobre).
"La Mandarine Blanche" est une courte fiction de 74 pages sur l'euthanasie et l'acharnement thérapeutique qui se lit en une bonne heure. Au début, j'ai été un peu perturbé par la construction originale de cet ouvrage, conçu comme un puzzle en trois histoires, répondant chacune à trois périodes de la vie du narrateur (l'enfance, l'âge adulte et la mort). Au fil des pages, j'ai cependant mieux compris les intentions de Rémi Bertrand. Je conseille d'ailleurs une deuxième lecture qui fait apparaître avec évidence l'agencement du texte et fait mieux comprendre certains jeux de mots et allusions.
L'histoire : de son enfance à sa mort, le narrateur trentenaire Jonathan Demain semble n'avoir jamais quitté l'univers blanc et mystérieux de l'hôpital. A l'âge de six ans, il rencontre Robert le Toubib qui lui explique la signification des soins palliatifs. J'aime beaucoup cette phrase pleine de poésie ("Moi, j'aurais plutôt appelé çà la salle d'apaisement ou le coin des fées").
Victime d'un accident de travail, Jonathan est maintenu artificiellement en vie, mais refuse l'acharnement thérapeutique dont son père a été victime avant lui.
En jouant sur la corde sensible des lecteurs, ce roman est un plaidoyer pour l'euthanasie, comme le prouve cet extrait : "La vie ne m'intéresse plus. Ni celle des autres, ni la mienne. J'ai trop mal pour m'en préoccuper. Je souffre trop pour la désirer encore. Dis-moi où est l'interrupteur : j'appuierai moi-même puisque tu ne t'y résous pas. Donne-moi la morphine. Calme mes convulsions. Soulage mon thorax ; ma poitrine brûle à chaque inspiration. Fais-moi ingurgiter toutes tes substances ; apporte-moi les gélules pour qu'on les voie enfin, pour que la chimie tue la chimie et que l'homme retrouve sa dignité. Je te l'ai dit : je n'attendrai pas demain. C'est maintenant ; il faut agir. Je ne veux pas revivre le destin de mon père. Je ne veux pas disparaître : je veux mourir".
Un seul reproche : je regrette l'absence des arguments des adversaires de l'euthanasie que le narrateur aurait pu discuter. Ce mini-débat aurait été intéressant au sein du roman. Souhaitons une longue carrière à ce jeune et talentueux écrivain belge...
"La Mandarine Blanche" est une courte fiction de 74 pages sur l'euthanasie et l'acharnement thérapeutique qui se lit en une bonne heure. Au début, j'ai été un peu perturbé par la construction originale de cet ouvrage, conçu comme un puzzle en trois histoires, répondant chacune à trois périodes de la vie du narrateur (l'enfance, l'âge adulte et la mort). Au fil des pages, j'ai cependant mieux compris les intentions de Rémi Bertrand. Je conseille d'ailleurs une deuxième lecture qui fait apparaître avec évidence l'agencement du texte et fait mieux comprendre certains jeux de mots et allusions.
L'histoire : de son enfance à sa mort, le narrateur trentenaire Jonathan Demain semble n'avoir jamais quitté l'univers blanc et mystérieux de l'hôpital. A l'âge de six ans, il rencontre Robert le Toubib qui lui explique la signification des soins palliatifs. J'aime beaucoup cette phrase pleine de poésie ("Moi, j'aurais plutôt appelé çà la salle d'apaisement ou le coin des fées").
Victime d'un accident de travail, Jonathan est maintenu artificiellement en vie, mais refuse l'acharnement thérapeutique dont son père a été victime avant lui.
En jouant sur la corde sensible des lecteurs, ce roman est un plaidoyer pour l'euthanasie, comme le prouve cet extrait : "La vie ne m'intéresse plus. Ni celle des autres, ni la mienne. J'ai trop mal pour m'en préoccuper. Je souffre trop pour la désirer encore. Dis-moi où est l'interrupteur : j'appuierai moi-même puisque tu ne t'y résous pas. Donne-moi la morphine. Calme mes convulsions. Soulage mon thorax ; ma poitrine brûle à chaque inspiration. Fais-moi ingurgiter toutes tes substances ; apporte-moi les gélules pour qu'on les voie enfin, pour que la chimie tue la chimie et que l'homme retrouve sa dignité. Je te l'ai dit : je n'attendrai pas demain. C'est maintenant ; il faut agir. Je ne veux pas revivre le destin de mon père. Je ne veux pas disparaître : je veux mourir".
Un seul reproche : je regrette l'absence des arguments des adversaires de l'euthanasie que le narrateur aurait pu discuter. Ce mini-débat aurait été intéressant au sein du roman. Souhaitons une longue carrière à ce jeune et talentueux écrivain belge...
jeudi 11 juin 2009
Chronique de Michel Lambert
A certains, le monde des Lettres fait peur. Il apparaît comme mystérieux, replié sur lui-même, plein de morgue, cultivant l'ego, tout petit monde dans le vaste monde. Pourtant on y trouve en raccourci, comme disait Brassens à propos des amours d'un jour, l'essentiel de ce qui fait la vie du vaste monde : ses problèmes, ses farces, ses drames, ses fidélités, ses injustices, sa gravité, sa légèreté. A l'instar du vaste monde, il fonctionne grâce à des institutions, vit de son commerce, de ses marchés, sa géographie est complexe, traversée de cénacles, de réseaux, d'instances qui distribuent blâmes et récompenses. Sa légitimité, il la tire de son lectorat qui choisit avec plus ou moins de goût, mais librement, ses élus sur les tables des libraires.
C'est un monde où il se passe toujours quelque chose. L'actualité n'y a pas de répit. Ainsi cette information datant de la fin mars mais qui ne risque pas de vieillir : François Weyergans a été élu à l'Académie française où il succède à l'ancien commissaire-priseur Maurice Rheims. Bravo le Belge! Ou plutôt le Franco-Belge. Décidément, le nouvel immortel aura obtenu les plus belles reconnaissances des deux côtés de la frontière : prix Rossel, prix Renaudot, prix Goncourt et maintenant la Coupole.
La joie, la peine. Peu de temps avant cette élection, une voix émue au téléphone nous annonçait au téléphone la disparition du poète Claude Haumont, parti sur la pointe des pieds. Cet homme discret, ami de Balthazar, Prévot, Chavée, Norge, pour n'en citer que quelques-uns, nul doute qu'il sera immortel dans la mémoire de cette voix émue. Immortel, le fameux mot! Un qui est assuré de l'être pendant longtemps, c'est Georges Simenon : à l'heure où on va bientôt célébrer le vingtième anniversaire de son décès, ses lecteurs restent très nombreux. En poche mais aussi dans la prestigieuse Pléiade, où il figure parmi les meilleures ventes. Pour la petite histoire, sait-on que le père de Maigret faillit être des deux Académies? La Belge et la Française, où François Mauriac le pressait de faire candidature.
Une autre forme d'immortalité, c'est le Nobel. Un seul écrivain belge, Maurice Maeterlinck, eut cette récompense suprême. A l'époque, sa renommée était immense. Aujourd'hui, des colloques se préparent pour commémorer l'événement en automne 2011. Bref, même si on ne le lit plus guère (mais on le joue), il est toujours là. Avec une oeuvre que certains se préparent à revisiter.
Et puis, il y a tous ceux qui ont déserté le monde des Lettres, pour qui, depuis belle lurette, il n'y a plus d'actualité. Ce n'est pas toujours la mort qui les a soustraits au plaisir qu'on avait de les lire. C'est parfois autre chose, mais quoi? Peut-être que le monde des Lettres n'était pas fait pour eux, qu'ils s'y sentaient mal à l'aise? Peut-être que ce monde, après les avoir acceptés, encensés quelquefois, les a rejetés tout à coup. Plus d'éditeur, plus de presse, plus de lecteurs. A moins que la source ne se soit tarie. Des périodes sèches, tous les écrivains en connaissent, ils sont alors déprimés, invivables, scrutant la plus petite goutte annonçant le retour du flux fécond. Dans d'autres cas, les difficultés matérielles ont eu raison de leur disponibilité, les malheurs les ont frappés, et la littérature n'a pu les consoler.
Mais ici comme ailleurs, il ne faut jamais dire jamais. La vie littéraire nous a habitués à des résurrections où le talent l'emporte sur l'oubli. C'est une question d'années, parfois de décennies. Emmanuel Bove, Pierre Bost, André Fraigneau, Jean Freustié, Madeleine Bourdouxhe, Jacqueline Harpman, René Swennen, et combien d'autres, sont de retour parmi nous. Dans le monde des Lettres comme dans le vaste monde, une éclipse ne dure que le temps d'une éclipse.
Chronique de Michel Lambert dans la revue bimensuelle et gratuite "Le Carnet et les Instants" (juin 2009) publiée par le Service de Promotion des Lettres Belges de langue française.
C'est un monde où il se passe toujours quelque chose. L'actualité n'y a pas de répit. Ainsi cette information datant de la fin mars mais qui ne risque pas de vieillir : François Weyergans a été élu à l'Académie française où il succède à l'ancien commissaire-priseur Maurice Rheims. Bravo le Belge! Ou plutôt le Franco-Belge. Décidément, le nouvel immortel aura obtenu les plus belles reconnaissances des deux côtés de la frontière : prix Rossel, prix Renaudot, prix Goncourt et maintenant la Coupole.
La joie, la peine. Peu de temps avant cette élection, une voix émue au téléphone nous annonçait au téléphone la disparition du poète Claude Haumont, parti sur la pointe des pieds. Cet homme discret, ami de Balthazar, Prévot, Chavée, Norge, pour n'en citer que quelques-uns, nul doute qu'il sera immortel dans la mémoire de cette voix émue. Immortel, le fameux mot! Un qui est assuré de l'être pendant longtemps, c'est Georges Simenon : à l'heure où on va bientôt célébrer le vingtième anniversaire de son décès, ses lecteurs restent très nombreux. En poche mais aussi dans la prestigieuse Pléiade, où il figure parmi les meilleures ventes. Pour la petite histoire, sait-on que le père de Maigret faillit être des deux Académies? La Belge et la Française, où François Mauriac le pressait de faire candidature.
Une autre forme d'immortalité, c'est le Nobel. Un seul écrivain belge, Maurice Maeterlinck, eut cette récompense suprême. A l'époque, sa renommée était immense. Aujourd'hui, des colloques se préparent pour commémorer l'événement en automne 2011. Bref, même si on ne le lit plus guère (mais on le joue), il est toujours là. Avec une oeuvre que certains se préparent à revisiter.
Et puis, il y a tous ceux qui ont déserté le monde des Lettres, pour qui, depuis belle lurette, il n'y a plus d'actualité. Ce n'est pas toujours la mort qui les a soustraits au plaisir qu'on avait de les lire. C'est parfois autre chose, mais quoi? Peut-être que le monde des Lettres n'était pas fait pour eux, qu'ils s'y sentaient mal à l'aise? Peut-être que ce monde, après les avoir acceptés, encensés quelquefois, les a rejetés tout à coup. Plus d'éditeur, plus de presse, plus de lecteurs. A moins que la source ne se soit tarie. Des périodes sèches, tous les écrivains en connaissent, ils sont alors déprimés, invivables, scrutant la plus petite goutte annonçant le retour du flux fécond. Dans d'autres cas, les difficultés matérielles ont eu raison de leur disponibilité, les malheurs les ont frappés, et la littérature n'a pu les consoler.
Mais ici comme ailleurs, il ne faut jamais dire jamais. La vie littéraire nous a habitués à des résurrections où le talent l'emporte sur l'oubli. C'est une question d'années, parfois de décennies. Emmanuel Bove, Pierre Bost, André Fraigneau, Jean Freustié, Madeleine Bourdouxhe, Jacqueline Harpman, René Swennen, et combien d'autres, sont de retour parmi nous. Dans le monde des Lettres comme dans le vaste monde, une éclipse ne dure que le temps d'une éclipse.
Chronique de Michel Lambert dans la revue bimensuelle et gratuite "Le Carnet et les Instants" (juin 2009) publiée par le Service de Promotion des Lettres Belges de langue française.
Inscription à :
Articles
(
Atom
)