mercredi 20 septembre 2023

Chronique "Résister" par Colette Nys-Mazure

Dans la revue catholique "Dimanche",  l'auteure belge Colette Nys-Mazure rédige une chronique de temps en temps. Voici l'une d'entre elles qu'elle a intitulée "Résister" :

Résister, j'aime ce mot qui évoque aussi bien la résistance des matériaux que la Résistance pendant l'Occupation ou celle que manifeste une personne minée par une maladie grave :  une force s'oppose à une autre. Cet acte profondément humain se pratique en petit comme en grand. 

"Quel est le timing aujourd'hui ?   - Dis plutôt l'ordre du jour ou le programme ou tes intentions...".  Je suis saturée de ce franglais alors que notre langue française menacée dispose du vocabulaire adéquat ! On m'objecte avec condescendance que l'assaut irrésistible des sciences, des techniques, de l'informatique, du tourisme international...exige le recours à l'anglais. J'entends mais je n'en tiens pas moins à notre terroir. Je m'arc-boute à notre langue maternelle tellement riche et belle :  comme je râle de lire booster au lieu de stimuler, challenge plutôt que défi, surfer à la place du poétique chevaucher la vague...

Résister aux influenceurs et influenceuses de tout horizon. Je repense à ce film vu il y a des éternités, dont j'ai oublié le titre :  un vieil homme s'obstinait à sauvegarder sa maison au milieu d'un terrain voué à la construction d'immeubles. Il incarnait la résistance aux nouveaux modèles d'habitat et aux tentations du chantage par l'argent, par l'intimidation puis la terreur. David contre Goliath ?

Résister aux flux d'information en continu qui mobilise notre temps sans nous laisser celui de la vraie rencontre en présence. Des nouvelles du monde soigneusement triées pour produire l'effet immédiat de panique entraînant la procrastination, voire l'impuissance et l'inaction. Je ne suis pas réactionnaire pour un sou, mais je suis écoeurée de ces fausses nouvelles. Ce jour, je me sens d'humeur rageuse, ravageuse. Trop, c'est trop. J'en ai assez des hypothèses échafaudées par les faux prophètes, des experts du grand écran autour des guerres, des séismes, de la pollution. Se ressent le plaisir de briller, de parader plus que d'exposer modestement des connaissances utiles. La fierté de connaître une heure de gloire télévisuelle l'emporte sur la communication d'un savoir rigoureux et sans complaisance.

Résister aux modes, aux vacances coûteuses en émanations de carbone, aux achats vestimentaires ou domestiques activés par la publicité, les promotions, les soldes tronquées. Et que dire des remèdes miracles ? 

Hygiène mentale et physique. Aujourd'hui, dans le sillage des révélations gravissimes de pédophilie, on apprend tôt aux enfants à dire "Non, mon corps est à moi, je ne consens pas à". Ne faudrait-il pas les alerter aussi de l'existence de prédateurs par écrans interposés ?

J'ai besoin d'aiguiser ma plume, en l'occurence mon clavier, pour résister à cette vague de fond qui tend à nous uniformiser (je n'userai pas de l'anglicisme formater !), nous anesthésier pour mieux nous faire consommer alors que le monde brûle, que les ressources s'amenuisent. Kundera vient de mourir mais son alarme résonne :  nous sommes menacés par les "termites de la réduction" à chaque tournant, non seulement de l'Histoire mais aussi de nos histoires privées.

Comme il est difficile de rester un homme, une femme debout, dans l'indépendance vaillante, l'ouverture aux souffles venus d'ailleurs mais d'abord dans un enracinement profond. Nos vrais amis ne seraient-ils pas ceux et celles qui ne se contentent pas de partager nos goûts, nos valeurs, nos intimes convictions, mais qui nous remettent en question lors de débats confiants et argumentés. Quelle vie spirituelle cultiver pour une résistance essentielle ?

Colette Nys-Mazure (chronique dans une des revues "Dimanche" de septembre 2023)