mercredi 22 décembre 2021

"La Porte du ciel" (Eric-Emmanuel Schmitt)

                                 

A l'occasion de la sortie de "La Porte du ciel", l'écrivain franco-belge Eric-Emmanuel Schmitt a répondu aux questions des journaux du groupe Sud Presse :

"Il y a plusieurs mois, vous vous êtes lancé un défi :  raconter l'histoire de l'humanité sous la forme d'un roman. Après "Paradis perdus", sorti début de cette année, vous publiez le tome 2, "La Porte du ciel". D'où vous est venu cette idée un peu folle ?

- Cette idée m'a traversé l'esprit il y a 25 ans. Comment l'histoire a construit ce monde dans lequel nous vivons? Comment à partir d'ancêtres qui étaient très peu nombreux sur cette planète, est-on arrivé à un monde exploité ? Comment en est-on arrivé là ? Cette idée est devenue un programme de vie. Je me suis dit qu'il fallait que je me rende capable d'écrire ces livres.

- Faut-il avoir lu le premier tome pour se plonger dans le second ?

- J'aurais tendance à vous répondre oui mais je découvre que non. Depuis quelques semaines, je rencontre des journalistes qui n'ont lu que le deuxième tome et qui ont accroché totalement. J'en suis assez content. Cependant, si on veut une épreuve de jouissance absolue, il faut lire le premier d'abord.

- Comment avez-vous fait pour mélanger histoire et modernité ?

- Une partie du roman, c'est le héros, Noam, aujourd'hui, qui découvre l'état de notre monde et qui s'inquiète. C'est cette inquiétude devant notre monde qui fait qu'il entreprend d'écrire ses mémoires qui sont aussi celles de l'humanité. Son histoire est la nôtre. Comment en sommes-nous arrivés là ? J'interroge le passé à partir du présent et je montre à la fois les différences et les constances, comme la Tour de Babel. Au présent, Noam va arriver à Dubaï où il y a un concours de la plus haute tour. Babel n'est jamais fini et Babel n'est jamais détruit. L'orgueil humain, la volonté de manifester sa puissance et de laisser une trace, continue.

- L'amour et la sensualité sont omniprésents dans cet ouvrage. C'est important ?

- Oui parce que c'est la vie. Mon personnage, Noam, est un grand amoureux. Il est à la recherche d'une femme qui lui échappe tout le temps, même lorsqu'elle est là. Elle est tellement mystérieuse et complexe, qu'on ne peut pas la capturer. Il ne pourra jamais la posséder et donc, c'est une grande histoire d'amour. La sensualité est également présente car je raconte une époque extrêmement sensuelle, l'histoire de la Mésopotamie.

- Quelle a été votre méthode de travail pour écrire ce livre ?

- Ce sont des années de lecture sur des sujets les plus généraux et parfois plus spécifiques. Pour chaque tome, je lis une littérature spécifique sur l'époque. J'ai vraiment profité du boom des études mésopotamiennes depuis les années 1950 puisqu'on s'est mis à redécouvrir tous ces sites en Irak. En conséquence, je me suis servi de la science récente sur la plus vieille civilisation. Je suis très heureux de partager ça dans le livre.

- Vous aimeriez être immortel comme votre héros ?

- J'adorerais que mes livres le soient. Qui dit fin de la mort, dit fin de la naissance. Il faut avoir l'humilité d'appartenir à un cycle. Je pense qu'un jour, je voudrais être débarrassé de certaines questions sans réponse. J'apprécierais aussi être débarrassé de certains chagrins et si je vivais éternellement, ils s'accumuleraient.

- Le 3ème tome sortira dans un an et abordera l'époque des pharaons. Comment le préparez-vous ?

- Chaque tome offre des problèmes différents. Il y a une égyptomanie. Il existe des clichés sur l'Egypte et je vais les éviter. Je vais essayer de présenter à la fois l'Egypte qui nous fait rêver avec ses mystères, mais aussi une Egypte comme on la voit moins dans les romans. Le personnage principal sera un fleuve, le Nil".

mercredi 1 décembre 2021

"Une grande actrice" (Stefan Liberski)

                                   


A l'occasion de la sortie de son septième roman, "Une grande actrice", l'écrivain belge Stefan Liberski (70 ans) a répondu aux questions des journaux du groupe "L'Avenir" :

"Comment est né ce personnage ?
- Elle n'est pas loin d'un personnage très proche de moi. Il y a des échos autobiographiques là-dedans. Après, il faut faire revivre, faire exister les événements, les sentiments. Ce n'est pas tellement important que ça soit une autofiction ou pas, c'est une histoire qui s'est imposée.

- Cette femme est tellement excessive que c'est un super personnage de roman ?
- C'est quelqu'un de très énigmatique, quelqu'un qui n'a jamais appliqué la maxime grecque "Connais toi toi-même", mais qui jugeait que tout le monde était un imposteur. Il y a deux parties :  celle où elle domine son mari et celle où elle rencontre Josyane, qui prend le dessus. Et à travers ça, il y a ses enfants qui font ce qu'ils peuvent pour ne pas devenir dingues.

- On sent en même temps que son fils Roman l'admire. Il dit qu'elle est bluffante.
- Il y a un amour énorme. Elle le défendait du père quand il était petit. Il y a une reconnaissance, une gratitude.

- Elle joue tellement tout le temps qu'elle n'imagine pas que les autres fassent autrement.
- En quelques secondes, elle voit ou elle croit voir le piège, l'imposture de chacun. Mais elle n'applique pas la chose à elle-même.

- Josyane, surnommée "le Tas" par les enfants de Jacqueline, est elle aussi tellement excessive. Est-elle le symbole de quelque chose?
- Non, c'est quelqu'un avec qui elle est associée. Jacqueline dit que Josyane est vide, mais c'est en quelque sorte le reflet d'elle-même. Le fils doit sans cesse accepter toutes ses contradictions. Il s'en sort par l'humour, d'où le comique parfois involontaire. Les personnages sont assez modernes, il y a ces excès, ces voyages permanents, les restaurants gastronomiques, les parcs d'attractions. C'est très contemporain. 

- C'est une sorte de symbole de la société de consommation : elle ne vit pas les voyages, elle en fait des listes en se disant que ça, c'est fait ?
- Oui, c'est une sorte de caricature. Ca explique pourquoi Jacqueline Boulanger s'associe à elle. Avec elle, elle peut ne faire que critiquer et en même temps, elle profite de ce flux, de ces voyages. Un voyage chasse l'autre et il n'en reste rien que des photos sans personne dessus, qui sont rangées dans une boîte et que personne ne regarde jamais.

- Il y a une sorte de distance dans la manière de raconter cette histoire. Vous exposez les faits bruts à l'appréciation du lecteur ?
- C'est volontaire. Je ne voulais pas employer des termes psychologiques qui pourraient expliquer certains comportements, je ne voulais pas fermer l'authenticité. Mon intention, c'était que le lecteur éprouve ce que Roman a vécu auprès de cette mère extravagante et extraordinaire".