Le 1er février à 20h, l'auteur franco-belge Eric-Emmanuel Schmitt sera sur la scène du Forum de Liège pour une représentation de "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran". A cette occasion, il a répondu aux questions des quotidiens du groupe Sud Presse :
"Depuis combien de temps donnez-vous ce spectacle?
- Je le fais depuis huit ans. C'était Francis Lalanne qui le jouait, mais les jours de relâche où il devait donner des concerts, on m'a demandé de le remplacer. J'ai accepté et j'en suis à plus de 200 représentations. Je ne le joue jamais très longtemps, mais c'est un spectacle que je porte et qui me porte. Et je crois qu'il retentit plus fort aujourd'hui qu'il y a 20 ans quand je l'ai écrit. Le texte n'a pas changé mais le contexte, oui. On a peur les uns des autres. Un texte qui célèbre la bienveillance et la rencontre d'un ado juif et d'un vieillard musulman est presque à contre-courant. Il va au-delà des étiquettes qui font des murs entre les êtres. Des histoires comme celles-là existent depuis toujours. Mais le savoir-vivre avec l'autre qui débouche à l'arrivée sur de la tendresse, ce n'est pas ce dont on parle le plus.
- Cela se passe entre un garçon (quelqu'un d'encore malléable) et un vieillard rempli de sagesse. Je vais vous choquer, mais n'est-ce pas une vision Bisounours? Entre deux adultes, ce serait peut-être impossible?
- Ca, c'est terrible. Vous le dites avec délicatesse, mais il y a de l'insulte. Nous vivons une époque qui n'est pas consciente de sa sottise. On se croit plus intelligent si on est pessimiste, et on se croit plus lucide parce qu'on voit les choses en noir! Est-ce ça qu'on a envie de transmettre? Les gens parlent pessimistes alors qu'ils vivent optimistes….
- L'idée de votre pièce est aussi qu'être heureux est une décision à prendre?
- Il y a un passage qui traite de ça. Je pense que la joie, ça se décide. Si on l'attend, elle ne peut pas durer longtemps. Et donc le bonheur est quelque chose qui est en notre pouvoir.
- Monter sur scène est-il difficile pour vous?
- Je traque plus encore qu'avant, mais j'aime cette peur, elle mobilise mon énergie. Et au lever du rideau, elle s'en va. Je n'ai pas la peur du trou. Il m'en est arrivé un et là, l'auteur a sauvé l'acteur. J'ai réfléchi et je me suis rétabli.
- Un acteur occasionnel comme vous, se compare-t-il à Omar Sharif et Francis Lalanne qui ont joué le rôle?
- Omar, c'était différent, c'était le cinéma. Je l'ai adoré dans le film et nous avons eu une très belle relation. Lui et Francis sont de magnifiques acteurs. Mais je suis le seul à avoir la légitimité de la source. Pour revenir à ce que vous dites, pour le nouveau texte que je présente à Paris, je me suis dit, les critiques vont encore mégoter… Et pour une fois, c'est plutôt le contraire.
- En 2020, Schmitt, c'est le Rostand contemporain?
- On puise la force de faire quelque chose dans l'admiration qu'on porte à ceux qui le font avant vous. J'ai admiré des écrivains. Aujourd'hui, quand quelqu'un vient me trouver en me disant que mon livre lui a fait du bien, je me dis que je ne me suis pas trompé de chemin. Maintenant, un écrivain ne doit pas se juger lui-même. Il tombe systématiquement soit dans la vanité, soit dans le doute. Je ne suis pas ici pour me construire une statue.
- D'ici deux mois, vous fêtez votre 60ème anniversaire. C'est important à vos yeux ou pas?
- Il m'arrive ce qui arrive à tout homme! Le problème de la vieillesse, c'est qu'elle ne touche que les gens jeunes. Moi, je me sens jeune, mais les autres s'en rendent de moins en moins compte. J'ai plus d'énergie qu'avant, je travaille plus vite qu'avant, c'est l'expérience! Et j'ai découvert la joie de faire. Je pense comme Spinoza que la joie décuple le pouvoir de faire.
- Vous refaites un film bientôt?
- Je commence à y penser. J'ai des histoires en tête mais je dois d'abord les écrire. Mais j'adore me retrouver avec des acteurs sur un plateau pour un film qui est toujours l'addition des talents de chacun.
- Votre dernier ouvrage ("Journal d'un amour perdu") est consacré à votre maman. Pourquoi la première phrase fait écho à Camus?
- C'est un écho inversé. Je ne raconte pas l'étranger, mais le familier. C'est un livre sur le chagrin, mais surtout sur le dépassement du chagrin. J'ai eu la chance d'avoir eu quelqu'un d'aussi aimant et d'amoureux de la vie que ma mère".