mercredi 19 février 2020

Jacques De Decker quitte son siège de secrétaire perpétuel de l'Académie

Afficher l’image sourceJacques De Decker est un écrivain belge né en 1945 dont je vous ai déjà parlé :  http://ecrivainsbelges.blogspot.com/2017/02/jacques-de-decker-et-les-biographies.html

De 2002 à fin 2019, il a occupé la fonction de secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Cette académie siège au palais des Académies à Bruxelles, et fête son 100ème anniversaire en cette année 2020. Depuis janvier, c'est désormais Yves Namur qui en est le nouveau secrétaire perpétuel.

A l'occasion de ce passage de flambeau, Jacques De Decker a répondu aux questions de la revue "Le Carnet et les Instants" que vous pouvez recevoir gratuitement par courrier sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles :

"Jacques De Decker, en quoi consiste la fonction de secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique?
- Le secrétaire perpétuel est celui qui est en charge de la gestion et de la représentation de l'Académie. "Pas de pouvoir, un peu de savoir, beaucoup de saveur" :  cette phrase de Barthes a été ma règle de vie. D'aucuns y voient une fonction de pouvoir ; je la considère plutôt comme un instrument qu'on reçoit et qu'il s'agit d'ajuster, de raffiner en fonction des besoins que l'on capte.

- L'Académie reste une institution méconnue. Pourriez-vous nous la présenter?
- Paradoxalement, dans l'esprit des gens, l'Académie par excellence est celle des Lettres. Pourtant, le palais des Académies à Bruxelles héberge cinq académies différentes :  l'académie dite "thérésienne", généraliste ; une académie de médecine ;  l'académie des Lettres qui nous occupe plus particulièrement ; et côté flamand, l'académie généraliste et l'académie de médecine. Le corps des académies, qui est un peu l'équivalent de l'Institut en France, a été fondé à l'époque autrichienne et aura bientôt 250 ans. L'académie première est dite "thérésienne" en référence à l'impératrice Marie-Thérèse, parce que voulue par elle. Elle est installée à Bruxelles parce que c'était - on l'oublie trop souvent -  la deuxième ville de l'Empire après Vienne. Napoléon l'a balayée, au prétexte que la seule Académie se trouvait à Paris. Les Hollandais l'ont rétablie et elle est devenue belge avec l'indépendance. Au départ, elle était multidisciplinaire ; il n'y avait pas de classes. Les travaux se faisaient en français, raison pour laquelle les auteurs flamands écrivant en néerlandais se sont rapidement sentis mal à l'aise dans ce cadre. On a donc créé en 1880 une académie de littérature flamande, qui s'est installée à Gand pour marquer le coup. Les écrivains francophones, restés à Bruxelles, ont voulu leur propre académie, qui ne s'est réalisée que quarante ans plus tard, en 1920. C'est cette année-là que Jules Destrée, ministre de la Culture, des Sciences et des Arts, a émis l'arrêté royal de création de l'Académie. Avec deux intuitions géniales :   celle de l'ouverture aux femmes, qui s'est imposée dès la création de l'Académie, et celle de la francophonie avec l'élection de 10 membres étrangers.

- L'Académie fête donc son centenaire en 2020 ?
- Oui, avec de nombreux événements, notamment une exposition à la Bibliotheca Wittockiana. Cet anniversaire a d'ailleurs précipité mon départ comme secrétaire perpétuel :  je quitte la fonction pour pouvoir me concentrer sur l'organisation du centenaire. Pour l'anecdote, je suis né jour pour jour 25 ans après l'Académie,  le 19 août 1945. J'y vois comme une malédiction, l'impératif d'assumer cet anniversaire.

- Et quel est plus précisément le rôle actuel de l'Académie dont vous avez retracé l'histoire?
- Elle crée une confrérie d'écrivains, où les membres se réunissent et échangent. Son espace échappe à la puissance prioritaire du moment qui est l'économie. On peut y aborder le réel en se dégageant des lois dictatoriales du matérialisme.  Elle a longtemps été considérée comme passéiste, dépassée, mais son rôle me semble aujourd'hui essentiel, voire avant-gardiste :   dans un monde broyé par sa logique utilitariste, les académies entretiennent une flamme intellectuelle de plus en plus menacée. Nous sommes les dépositaires d'une priorité à la pensée, à la culture, une forme de vigile permanente qui rappelle au corps social quelques universaux aujourd'hui menacés tels que la beauté et la vérité.

- L'Académie française, avec son dictionnaire et ses prescriptions linguistiques, donne l'image d'une institution coercitive. Est-ce aussi la vocation de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique?
- L'Académie belge n'a jamais eu l'ambition de faire un dictionnaire. Nous sommes d'ailleurs plutôt une terre de grammairiens que de lexicologues. Plusieurs de nos grammairiens (André Goosse, Marc Wilmet) ont été académiciens. Mais nous n'avons de toute façon pas intégré l'autorité symbolique de l'Académie française, qui ne repose en fait sur rien. Nous privilégions la réflexion permanente et la vigilance sans coercition. A l'image d'André Goosse, qui était très libéral, tout en soutenant qu'une langue est en demande d'un semblant de fixité et de permanence.

- Contrairement à l'Académie française, on ne pose pas sa candidature à l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique?
- Nous avons de bons contacts avec l'Académie française. Certains de nos membres sont d'ailleurs aussi membres de l'institution hexagonale. Mais une grande différence est en effet qu'on ne pose pas sa candidature pour entrer à l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique :  nos membres sont cooptés. Je pense que ce mécanisme rend notre assemblée plus représentative. C'est une question qui me tient particulièrement à cœur. J'ai toujours eu une vision historique de l'institution, due sans doute à mon métier de journaliste, et j'ai peut-être imprimé cette marque en tant que secrétaire perpétuel. Il me semble essentiel que l'Académie représente ce qui se publie en Belgique, de Jean-Philippe Toussaint à Armel Job. La composition de l'Académie compte aussi des auteurs ignorés par les universités, lesquelles privilégient toujours la littérature expérimentale. Un de mes regrets est que ce qu'on appelle la paralittérature, et plus précisément la bande dessinée, ne soit pas encore entrée à l'Académie. Benoît Peeters y aurait tout à fait sa place, mais il est français et les fauteuils dévolus aux membres étrangers sont moins nombreux.

- Entretenez-vous des contacts privilégiés avec votre pendant flamand?
- Nous n'avons pas d'activités communes, mais un dialogue constant, une information mutuelle. Je siège à l'académie flamande en ma qualité de néerlandiste, j'y ai succédé à Liliane Wouters. A l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, nous avons le souci d'avoir des membres flamands et des francophones qui connaissent la littérature belge dans son ensemble.

- Selon vous, on pourrait donc parler d'une littérature belge, qui rassemblerait les œuvres écrites en français et celles en néerlandais?
- Pour moi, il y a une littérature belge qui s'écrit dans les deux langues. Cela se voit dans les thématiques abordées. De ce point de vue, Marcel Thiry et Johan Daisne sont étonnamment proches. Il y a un signifié commun à la littérature belge, dans lequel l'irrationnel, le fantastique, le réalisme magique occupent une place importante.

- Quel regard portez-vous sur la littérature belge francophone d'aujourd'hui?
- Nous pouvons nous enorgueillir d'être la région du monde qui a propulsé le plus grand nombre de mythes dans l'imaginaire collectif :   Tintin, les Schtroumpfs, Bob Morane, p.ex.  Simenon laisse par ailleurs l'une des œuvres majeures du 20ème siècle. Alors qu'on a longtemps considéré que les meilleurs auteurs belges étaient publiés à Paris, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Chez nous paraissent des livres inattendus, surprenants. J'identifie par contre plusieurs sujets de préoccupation. Tout d'abord la manière dont cette littérature publiée chez nous circule. Le phénomène est relativement récent :   avant-guerre, des maisons comme la Renaissance du Livre circulaient dans toute l'Europe. La seconde guerre mondiale a été une cassure :  les livres français n'arrivaient plus en Belgique, où des maisons belges, surtout en paralittérature, ont commencé à proliférer. Après la guerre, les Français ont voulu que cela ne se reproduise plus et ont colonisé la Belgique avec leur production et leur distribution. Un écrivain allemand peut être indifféremment publié à Zürich, à Berlin ou à Vienne. Les Français ont intégré que d'où qu'ils viennent, ils doivent être publiés à Paris. Nous, les Belges, n'avons pas le même imaginaire collectif que les Français, mais ce que nous produisons est susceptible d'intéresser un public qui passe les frontières. Or, les livres qui paraissent chez nous n'atteignent pas ce public potentiel francophone. Ce n'est pas seulement une question d'aide d'Etat. C'est aussi lié au centralisme permanent du public français. Quand j'ai écrit "Le ventre de la baleine", on m'a dit chez Grasset que le public ne comprendrait pas la référence à l'affaire Cools, alors qu'elle n'est qu'un prétexte et non le centre de l'histoire. Le livre a été traduit en espagnol et cette référence n'a pas posé de problème!  Les auteurs québecois rencontrent le même problème en France.  Soyons justes :  le fait que la littérature publiée en Belgique ne fonctionne pas très bien en librairie nous a aussi préservés d'une vision trop matérialiste de la circulation de la littérature. Nous avons été préservés des livres écrits uniquement pour la victoire au box office et inversement, certains livres écrits et publiés chez nous n'existent que parce qu'auteurs et éditeurs ne pensent pas à faire de l'argent avec les livres. Nous sommes, par exemple, le dernier refuge de l'édition poétique francophone en Europe".

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire