mercredi 7 février 2018

Isabelle Fagot, attachée de presse des éditions Onlit

Isabelle Fagot est l'attachée de presse de la maison d'édition belge Onlit (www.onlit.net). Elle a été interviewée par la revue "Le Carnet et les Instants" que vous pouvez recevoir gratuitement sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles :

"En quoi consiste le métier d'attaché de presse?
- J'aime bien dire que l'attaché de presse est un fil conducteur, un intermédiaire entre une personne et une autre personne, ou parfois entre une personne et une multitude de personnes. Plus précisément, c'est un intermédiaire entre un artiste (quel que soit le domaine : musique, littérature, p.ex.) et la presse. Le but de l'attaché de presse, c'est de faire connaître au grand public l'artiste en question. Donc, mon intermédiaire à moi, c'est la presse. Parfois, l'attaché de presse peut aussi être relations publiques :  dans ce cas-là, on touche directement différents publics ciblés. Mais l'attaché de presse au sens strict ne travaille qu'avec la presse. Ce qui est déjà un domaine très vaste.

- Vous travaillez avec la presse au sens large, c'est-à-dire télévision, radio, journaux et périodiques?
- Oui, on considère vraiment tous les canaux. Il y a quelque temps, on ne tenait pas compte des blogs, et puis ils se sont vraiment développés. Les gens lisent de moins en moins les journaux et écoutent de moins en moins la radio, donc l'attaché de presse est obligé d'être proactif et de s'ouvrir aux autres canaux. 

- Comment êtes-vous devenue attachée de presse?
- Un peu par hasard. Je suis autodidacte et j'aime bien le terme "amateur". Parce que dans amateur, il y a aimer. Et puis parce qu'on apprend toute sa vie. A quel moment l'autodidacte cesse-t-il d'être amateur pour devenir professionnel? En fait, c'est la pratique qui professionnalise l'amateur ou l'autodidacte. J'ai d'abord été une attachée de presse autodidacte et aujourd'hui, je me professionnalise.

- Avez-vous toujours travaillé comme attaché de presse?
- Non. J'ai commencé ma carrière professionnelle en faisant de la radio à la RTBF. J'étais déjà ce passeur entre les artistes que j'aimais et les publics. Mais des publics que je ne voyais pas. C'était en plus une époque où on ne filmait pas la radio. L'animateur était vraiment dans son cocon, il parlait a priori pour des milliers de gens mais on ne savait pas vraiment combien. Les gens qui me croisaient dans la rue ne me reconnaissaient pas. J'aimais cet anonymat. Puis, j'ai eu l'idée de ce travail d'attachée de presse, parce que c'était une manière d'être encore plus proche des artistes et plus efficace :  je travaillerais avec eux sur le long terme, alors qu'à la radio, j'étais ce passeur éphémère qui ne pouvait leur accorder que quelques minutes. J'avais déjà un intérêt marqué pour la littérature. C'était donc finalement assez cohérent que je m'occupe aussi d'auteurs. Puis, je suis partie en France pendant neuf ans parce que j'ai rencontré l'homme de ma vie...que j'ai ramené ensuite en Belgique. Là-bas, c'était plus compliqué de continuer à travailler comme attachée de presse. A cette époque, il y avait bien quelques artistes belges qui ont amorcé la reconnaissance de la Belgique aux yeux des Parisiens. Mais pour tous les autres dans le bas de l'échelle, les artistes moins connus et encore plus les invisibles comme moi, il n'y avait aucune reconnaissance et les Parisiens se moquaient même facilement de nous et de notre accent. Difficile donc de se faire une place. Mais j'ai aussi été libraire à cette époque ; j'étais alors un passeur direct. Comme nos projets, à mon époux et moi, n'aboutissaient pas vraiment, nous avons décidé de rentrer en Belgique. J'ai alors repris très vite des contacts qui m'ont amenée à redevenir l'attachée de presse que j'étais et je me suis très vite orientée vers la littérature.

- Quelles sont vos fonctions (passées et actuelles) dans le monde littéraire?
- J'ai eu des missions pour la Foire du Livre de Bruxelles. J'ai travaillé pour Luce Wilquin dans le cadre d'un festival qui s'appelait "L'écrin de l'écrit". Bon an mal an, il y a toujours eu le livre dans mes activités depuis lors. Aujourd'hui, je travaille pour Onlit et je suis très contente qu'une maison d'édition belge se donne les moyens d'avoir une attachée de presse.

- Les grandes maisons d'édition françaises disposent d'un service de presse avec plusieurs attachés de presse salariés. En tant qu'attachée de presse travaillant en Belgique, vous êtes freelance?
- Oui. Cela signifie que je travaille pour plusieurs artistes, dans différents domaines. Je ne peux pas me limiter à la littérature, parce que ce ne serait pas tenable financièrement. Je trouve d'ailleurs important de ne travailler que pour un seul éditeur belge en littérature générale. Mon travail pour Onlit ne serait pas incompatible avec des missions pour des éditeurs de bande dessinée ou de livres universitaires, mais je ne connais pas assez ces milieux pour y travailler. Donc comme je me positionne exclusivement sur le créneau littéraire, je ne voudrais pas, étant donné les réalités du marché du livre, travailler aussi pour des concurrents d'Onlit. Par contre, j'assure des missions pour les éditions Fleuve, où je m'occupe des auteurs belges, et pour certains écrivains belges, parfois même publiés à compte d'auteur, qui décident à titre personnel de se donner les moyens de prendre une attachée de presse. 

- Travailler avec un attaché de presse n'est pas une évidence pour les maisons d'édition belges qui sont souvent de petites structures. Chez Onlit, vous avez d'ailleurs inauguré la fonction. Rencontrez-vous des résistances des éditeurs ou des auteurs par rapport à ce que vous proposez?
- Oh non!  Ils sont très à l'écoute et très réceptifs. Les seules résistances sont évidemment financières. Je sais que les budgets sont limités, donc je m'autocensure. Je ne peux pas proposer des actions qui vont coûter des sommes énormes, ça n'aurait pas de sens.

- Et pour les éditions Fleuve, quel est plus précisément votre rôle?
- Les éditions Fleuve ont fait appel à moi pour leurs auteurs belges, c'est-à-dire Paul Colize et Nadine Monfils. L'éditeur sentait bien qu'il ne pouvait pas toucher la presse belge comme il le souhaitait depuis Paris. Il fait donc appel à une attachée de presse en Belgique pour pouvoir toucher les médias belges. Plusieurs éditeurs parisiens prennent ainsi des attachés de presse en Belgique, comme d'ailleurs en Suisse et au Québec. Dans ce domaine, ma collègue Sarah Altenloh fait un travail remarquable. Sans elle, beaucoup d'auteurs belges publiés en France n'auraient pas une aussi belle visibilité dans la presse belge. Il n'y a finalement presque plus que Gallimard qui continue à tout faire depuis Paris.

- D'un point de vue pratique, comment travaillez-vous avec les auteurs? Les coachez-vous pour leurs relations avec la presse?
- Pour la radio notamment, j'insiste sur le temps de parole dont ils disposent. Ils doivent gérer ce temps et dire un certain nombre de choses dans l'espace qui leur est imparti. Ca implique parfois de dévier de la question qui leur est posée, parce qu'il faut que les choses essentielles soient dites.

- Comment les auteurs accueillent-ils cet accompagnement et vos conseils?
- Très bien. Les artistes sont dans une position où ils doivent apprendre certaines choses et ils demandent qu'on les guide. Moi, je suis là pour les aider. 

- On dit souvent que les médias se désintéressent de la culture en général et de la littérature en particulier. Est-ce aussi votre impression?
- Pas vraiment. Quand j'ai commencé avec Onlit, on a établi un fichier d'une quarantaine de journalistes incontournables. Aujourd'hui, je suis à soixante, sans compter les services de presse envoyés par le web. Augmenter d'un tiers, ça me semble assez significatif. Evidemment, ça débouche parfois sur une seule chronique de quelques minutes sur une petite radio ou quelques lignes dans un journal local. Mais l'essentiel, c'est que l'auteur soit présent. Quand le lecteur verra ensuite son nom chez le libraire, il le reconnaîtra.

- Notre époque est aussi celle de la démultiplication des canaux d'information, avec les blogs littéraires et les réseaux sociaux. La presse traditionnelle est-elle toujours aussi prescriptrice qu'avant?
- Je crois que oui. Une demi-page dans un grand quotidien, ça représente toujours quelque chose de fort. Ce qui a changé, c'est que la presse est beaucoup moins lue qu'avant. Donc les ventes de livres générés par les grands quotidiens diminuent au prorata du lectorat. Puisque le nombre de lecteurs de la presse baisse, il nous faut multiplier les canaux de communication pour toucher un nombre de personnes équivalent.

- Dans votre profession, vous devez donc aussi être attentive au web littéraire. Comment travaillez-vous dans ce domaine?
- Je cherche des gens qui sont de vrais littéraires, parce que les demandes farfelues existent! J'ai identifié quelques blogs de qualité avec lesquels je travaille. Je leur envoie un exemplaire des dernières publications, comme à la presse traditionnelle. Le choix se fait par essai-échec. J'ai eu l'une ou l'autre mauvaise expérience. Les bloggeurs auxquels je m'adresse sont des gens exigeants, qui connaissent bien le domaine littéraire et dont la voix compte finalement beaucoup pour leurs lecteurs. C'est par exemple le cas de Vincent Engel :  www.blog-a-part.eu

- Quel est le rôle des réseaux sociaux dans le travail de l'attachée de presse?
- Aucun éditeur n'a jamais exigé de moi une activité sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas l'attaché de presse qui gère la page Facebook ou le compte Twitter d'une maison d'édition. Mais j'ai pris l'habitude d'animer mes comptes sur les réseaux sociaux en partageant avec mes contacts (qu'ils soient professionnels, amicaux ou les deux) des informations sur mes auteurs bien sûr, mais aussi sur d'autres sujets :  je relaie les informations proposées par d'autres, je suis active dans la société civile via les réseaux sociaux. Si je ne faisais que la promotion de mes auteurs, ça ne marcherait d'ailleurs pas. Il faut être dans l'échange collectif. Pour ce qui concerne les auteurs dont je m'occupe, je relais tous les papiers et les émissions qui leur sont consacrés, pour montrer au public qu'ils sont des auteurs dont on parle. J'ose croire que ça a un côté prescripteur, même s'il est très difficilement quantifiable.

- Quel regard les médias avec lesquels vous travaillez portent-ils sur les auteurs belges publiés en Belgique?
- Au début de mon travail pour Onlit, je ne sentais pas vraiment de bienveillance pour un petit éditeur. Les médias demandaient surtout des stars, y compris dans le service public, ce qui est quand même un comble par rapport à ses missions de découverte et de curiosité. Ca semble en plus très injuste parce que les stars n'ont pas besoin des médias pour vendre des livres. Mais j'ai beaucoup travaillé :  je suis toujours capable de raconter à mes interlocuteurs les livres dont je fais la promotion, parce que je les ai vraiment lus, et je les présente directement dans l'optique de l'émission dans laquelle j'essaie de les intégrer. Puis les médias ont constaté la qualité du catalogue d'Onlit, alors qu'ils avaient tendance à croire qu'un auteur publié en Belgique a forcément d'abord été refusé en France. Maintenant, je sens une inversion de la tendance et un regard des médias beaucoup plus favorable sur notre travail.

- Onlit a récemment publié le premier roman de Marcel Sel,  "Rosa". L'arrivée d'une telle personnalité médiatique au catalogue a-t-elle permis un coup de projecteur sur la maison d'édition dans son ensemble?
- Il y eu un intérêt, indéniablement, parce que Marcel Sel est une figure très connue. Evidemment, cet intérêt a aussi eu ses ambiguïtés : certains journalistes se sont étonnés que quelqu'un de son envergure publie chez un si petit éditeur! D'autres attendaient au tournant ce blogueur qui a osé devenir romancier. Mais la qualité du livre a fait taire de nombreuses critiques, comme les prix que le livre a reçus.

- Voyez-vous dans ces prix la reconnaissance de la professionnalisation de la maison d'édition Onlit?
- Certainement, oui. En termes de professionnalisation, je suis juste attristée que nous ayons toujours besoin des subsides pour vivre. Ca veut dire que nous ne vendons toujours pas assez de livres pour être autonomes. Pourtant, nous ne sommes qu'une petite équipe :  deux personnes, même pas à temps plein, avec occasionnellement le renfort d'un graphiste, d'une correctrice et d'un traducteur.

- Qu'est-ce qui pourrait être amélioré pour justement mieux toucher le public et augmenter les ventes?
- Chez Onlit, je me sens privilégiée :  il y a une attention aux couvertures, un travail avec un distributeur professionnel Dilibel. Même si ce n'est pas évident tous les jours :   Dilibel travaille avec de grandes maisons d'éditions et a des exigences difficilement tenables pour une structure de petite taille comme Onlit, qui n'a que de petits tirages. Mais il nous manque les moyens pour aller encore plus vers les gens :  c'est tout le travail de relations publiques, pour toucher le public en amont, pour sensibiliser certains libraires aussi, pour qui l'intérêt d'organiser des rencontres littéraires ne va pas toujours de soi". 

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