jeudi 13 octobre 2011

Départ de Jean-Luc Outers du Service de Promotion des Lettres

A l'occasion de son départ du Service de Promotion des Lettres en communauté française qu'il a dirigé pendant 20 ans, l'écrivain Jean-Luc Outers a répondu à une interview pour la revue "Le Carnet et les Instants" :

"Comment fonctionnait ce Service de la Promotion des Lettres que vous avez découvert il y a vingt ans?
- On peut dire que le travail de mon prédécesseur était centré, pour résumer, sur ce qu'on pourrait appeler le "patrimoine littéraire" en développant les Archives et Musée de la Littérature et en créant la collection Espace Nord pour rendre enfin accessible un patrimoine constitué de livres qui pour beaucoup avaient disparu de la circulation sans être réédités et n'étaient donc plus accessibles pour le public. Il a lancé ce vaste chantier qui est toujours d'actualité puisque, comme vous le savez, la communauté française est désormais propriétaire de cette collection. Quant au Service des Lettres de l'époque, c'était une petite équipe qui s'occupait principalement de la gestion administrative. Parallèlement, ce qu'on appelait la Promotion des Lettres était géré par une asbl qui avait son siège au palais des Beaux-Arts, subsidiée par les pouvoirs publics, et s'occupait de la promotion de la littérature belge auprès des écoles, d'organiser des expositions, des rencontres littéraires, etc. Quand je suis arrivé au ministère, le ministre de l'époque a considéré que cette asbl jouait un rôle de service public et devait intégrer l'administration de la communauté française. Mon premier chantier a donc été d'intégrer le personnel et les missions de cette asbl au sein du Service des Lettres. On peut d'ailleurs dire qu'aujourd'hui encore, il reste des traces de cette ancienne organisation et une répartition du travail entre des tâches plus administratives et d'autres davantage liées à la promotion.

- Et cette double nature du Service de la Promotion des Lettres a-t-elle été un frein ou un moteur pour son développement?
- D'après moi, ce fut plutôt une chance car l'appel d'air introduit par cette intégration a permis de ne pas cantonner notre travail au seul volet administratif mais de le doter aussi d'un contenu qui lui donne du sens tout en multipliant les rencontres avec des gens passionnants : écrivains, éditeurs, etc. Cette ouverture vers l'extérieur me semble indispensable pour éviter à l'administration de se renfermer sur elle-même.

- Pour revenir un instant sur le travail de Marc Quaghebeur que vous évoquiez et qui a permis, avec d'autres, de circonscrire un véritable champ de la littérature belge francophone, souscrivez-vous avec cette "identité en creux" qui est devenue une sorte de lieu commun de nos lettres?
- Ma position est sensiblement différente. J'estime que la littérature commence par la langue, cette langue qui forge notre rapport au monde. Ecrire, c'est donc mettre un mot derrière l'autre et au travers de cette action se développe un sens. Pour cette raison, j'estime que la littérature belge francophone appartient au corpus de la littérature française. Mon premier roman a été publié dans la collection "Blanche" de Gallimard et non dans celle "Du monde entier" qui regroupe les écrivains étrangers. La question de la traduction et du caractère intraduisible de certains mots ou de certaines expressions souligne cette primauté de la langue. Certains titres de mes propres livres comme "La place du mort" ou "Corps de métier" sont souvent impossibles à traduire dans d'autres langues. Ceci dit, il y a quand même l'histoire de la Belgique qui est singulière. C'est un petit pays et je rappelle toujours, de mémoire, cette phrase de Milan Kundera à propos de la Tchécoslovaquie : "Les petits pays sont ceux qui vont disparaître et qui le savent". Il n'existe donc pas chez nous ce destin qui parfois s'apparente à l'éternité et que connaissent les grandes nations comme la Russie, l'Angleterre, l'Allemagne ou la France. Cette singularité se retrouve dans notre littérature marquée par la liberté et une forme de fragilité. Même notre langue est poreuse et traversée d'influences germaniques. Le symbolisme belge en est la parfaite illustration. Mais cette spécificité qu'on trouve chez Maeterlinck ou Verhaeren a aujourd'hui à peu près disparu. La jeune génération d'auteurs belges s'inscrit plutôt dans le courant d'une identité européenne. Pour revenir sur ce que je disais, un écrivain est avant tout confronté à un code, celui de la langue. Il doit essayer de faire sa propre langue dans la langue. Il doit aller jusqu'au bout de la langue, jusqu'à la rendre irrégulière. C'est ce qui distingue également l'écrivain du journaliste ou l'écrivain de l'écrivant, pour reprendre la distinction de Roland Barthes. On reconnaît donc un écrivain avant tout à sa langue.

- Et le complexe de l'écrivain belge vis-à-vis de la France s'est-il atténué?
- Je crois qu'il ne faut pas se tromper : la France est une chance pour l'écrivain belge francophone car nous évoluons, malgré tout, dans la même langue. En ce qui me concerne, comme auteur, je n'ai jamais caché mon identité belge et j'ai toujours été bien accueilli en France. La plupart des éditeurs parisiens ont également bien compris que ce qui peut les menacer avant tout, c'est justement le parisianisme. C'est par la périphérie que la langue et la littérature se régénèrent.

- Venons-en maintenant aux chantiers que vous avez vous-même initiés. Commençons par les bourses aux auteurs.
- J'ai toujours été très surpris de la différence qui existe entre le statut de l'écrivain et d'autres catégories d'artistes. On considère normal qu'un musicien soit payé pour un concert, qu'un comédien le soit également pour ses prestations mais pour l'écrivain, hormis des droits d'auteur faméliques qui souvent ne lui étaient même pas payés, il n'existait rien. Nous avons donc essayé d'instituer une réelle professionnalisation du métier d'écrivain en mettant en place une série de bourses. Ces bourses sont, à mes yeux, du même ordre que les aides octroyées par les pouvoirs publics à un théâtre, par exemple. Les demandes sont examinées par la Commission des Lettres qui est l'une des instances d'avis dont nous assurons le suivi.

- Concernant maintenant l'aide au monde de l'édition belge francophone, comment s'est opérée l'évolution?
- Quand je suis arrivé, il y avait peu d'éditeurs strictement littéraires et la plupart fonctionnaient de manière tout à fait artisanale. Ces structures, dans l'offre éditoriale en Belgique francophone dominée par la bande dessinée et les sciences humaines, représentaient un pourcentage extrêmement faible. Elles avaient donc un mal fou à trouver des auteurs et à se diffuser surtout en France. C'était un véritable problème. Les auteurs en souffraient eux aussi car leurs droits n'étaient souvent pas payés par manque de surface financière de ces éditeurs. Nous avons donc mis en place des contrats-programmes avec ces derniers pour leur permettre d'avoir une aide substantielle dans le développement de leur politique éditoriale. En échange, ils s'engagent à publier un certain nombre de titres par an, à rétribuer les auteurs, à investir dans la promotion et à avoir une véritable distribution en Belgique et en France.

- Et au-delà de nos frontières, quelle place occupe aujourd'hui la littérature belge francophone et quels sont les outils qui participent à son rayonnement?
- Les deux premières choses essentielles, ce sont les envois d'ouvrages sélectionnés par la Commission des Lettres à destination des universités à l'étranger (environ 20.000 par an dans une quarantaine de pays) et les lecteurs présents dans certaines d'entre elles qui y enseignent notre littérature. Ensuite, il y a le développement de la traduction par lequel nous nous donnons des aides qui connaissent un succès croissant, générant une vingtaine de traductions par an. Enfin, il y a le collège des traductions de Seneffe créé en 1996 et qui accueille en été des traducteurs venus des quatre coins du monde pour traduire des écrivains belges francophones. C'est un lieu très important qui joue un véritable rôle catalyseur. Mais le problème du rayonnement de nos lettres reste la France, surtout pour les auteurs publiés en Belgique. La frontière demeure. La création de la Librairie Wallonie-Bruxelles à Paris en 1994 était une tentative pour rendre cette production visible en France, physiquement présente. Albert Mockel, dans les années 1930, avait déjà eu cette idée.

- Un autre instrument de visibilité important pour notre littérature, c'est "Le Carnet et les Instants" qui au départ n'était qu'un agenda des lettres belges.
- C'est en 1992 que "Le Carnet et les Instants" a pris la forme d'une revue dont le rédacteur en chef était Carmelo Virone. On peut dire que c'est l'outil le plus complet sur la littérature belge et son actualité. Le tirage est aujourd'hui d'environ 6.000 exemplaires. La partie réservée à la critique, au regard de la place de plus en plus restreinte accordée à la littérature dans la presse générale, est très importante car elle rend compte de livres dont on ne parlerait parfois nulle part ailleurs. C'est également un bon baromètre de la vie de nos lettres. On constate par exemple depuis quelques années une diminution sensible du nombre de publications.

- Quels sont vos éventuels regrets ou chantiers que vous n'avez pas pu voir aboutir à l'heure où vous quittez votre poste?
- Je dirais simplement que certaines choses ont parfois pris beaucoup de temps pour se mettre en place. Il y a également la question du rendez-vous avec le public pour des choses que nous avons organisées ou soutenues, et pour lesquelles nous aurions espéré davantage d'audience même si l'arrivée d'un événement comme le Marathon des Mots est à ce titre plutôt réjouissant car il assure la présence d'une manifestation de dimension internationale dans notre paysage culturel. Cette question du public pose également celle d'un recul de la place de la littérature dans la vie des gens, et pas seulement chez nous. Face à la multiplication des médias et des loisirs, cette place est de plus en plus difficile à défendre. Passionner les jeunes pour la lecture aujourd'hui, c'est un grand défi. Le plus grand peut-être".

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