mercredi 25 juillet 2018

Interview de Véronique Daine

Née en 1964 à Arlon, la poétesse Véronique Daine a effectué des études de philologie romane à l'Université de Liège, avant de devenir professeur de français. Elle a accordé une longue interview à la revue "Le Carnet et les Instants" :

"Comment en êtes-vous arrivée à écrire de la poésie, alors qu'étudiante, vous étiez davantage attirée par la prose?
- Je n'ai jamais été particulièrement attirée par le romanesque, mais plutôt par le fragment. Depuis mes études en philologie romane, je suis une grande admiratrice de l'oeuvre de Pascal Quignard. Vers l'âge de trente ans, j'ai compris que la poésie manquait à ma vie. Je n'en lisais pas et pensais encore moins à en écrire un jour. Quand j'ai commencé à en lire, je n'y pensais pas en tant qu'écriture, mais au fur et à mesure, je me suis sentie captée, captivée, tentée. Le désir de m'y mettre est venu, tout en sachant que je n'irais pas vers une poésie versifiée, codifiée. Les fragments, eux, me touchaient depuis presque toujours et ils continuent à le faire, au point que je pense en écrire de plus en plus.

- Les textes de vos premiers recueils étaient courts et ne comptaient que quelques mots. Ils se sont allongés depuis R.B. en 2010. Est-ce à cela que vous faites allusion quand vous dites que votre écriture va davantage vers le fragment?
- Je crois que l'évolution de l'écriture est surtout, pour moi, une question d'audace. Au début, je n'osais pas trop. Je surveillais mes textes, ceux que je montrais étaient taillés, ciselés : je me censurais. Avec la publication de mes recueils et la reconnaissance, toute relative, qu'ils m'ont apportée, j'ai reçu comme une sorte d'autorisation à ne plus me surveiller, à aller de plus en plus loin dans mon écriture, à être davantage moi-même, à ne plus écrire des textes minuscules hyper travaillés.

- Ce serait le monde extérieur qui vous aurait permis d'atteindre une certaine liberté intérieure?
- Peut-être, oui. J'ai toujours l'impression que le langage est comme la terre, composée de strates. Lorsque j'en explore une et que j'ai l'autorisation de le faire, je peux continuer à m'enfoncer, à en creuser une autre. Si mon travail n'était pas reçu, s'il était condamné, je crois que je me condamnerais moi-même.

- Qu'a de spécifique, pour vous, la poésie?
- Elle est avant tout une recherche sur l'écriture, le langage. Sa matière première n'est pas le sens mais l'écriture. L'écriture est pour le poète le bois ou la pierre du sculpteur. Un romancier ne travaille pas que le langage, il travaille aussi une histoire. Mais quand je lis un roman, l'important pour moi reste la façon dont le langage est travaillé.

- Quel est ce travail sur le langage dont vous parlez?
- Le travail sur le langage, c'est avant tout la recherche d'une langue. J'ai l'impression que l'école, et plus particulièrement l'école primaire où on apprend à lire, à écrire, casse, mutile chez les enfants la langue qu'ils ont en eux. Il faut parfois toute une vie pour retrouver quelque chose de cette langue-là. Ce n'est pas qu'il existerait une langue de l'enfance, mais plutôt que chacun aurait une langue à soi. Travailler à retrouver cette langue, et la retrouver par moments, peut, peut-être, sauver la vie ; en tous les cas, elle a sauvé la mienne. Je me suis rendu compte, mais je ne sais pas la pertinence de cela, que lorsque j'écris, je parle à la langue comme si elle était ma mère. Est-ce que c'est cela la langue maternelle?  Je n'en sais rien. Je ne peux pas l'expliquer mais il y a quelque chose de ce rapport-là dans l'écriture, une question de survie, d'aller la chercher cette langue-là, cette langue dans laquelle survivre. La langue courante ou la langue académique ne permet pas de vivre, de survivre. Elle est blessante, elle ment. Elle a toujours menti. Il faut trouver celle qui ne ment pas. Mon travail est de me réinventer une langue à chacun de mes recueils. Si je regarde en arrière, l'impression que me laissent les recueils que j'ai publiés est que chacun d'entre eux s'avère être la recherche d'une langue. Au cours de l'écriture du recueil, je trouve cette langue, mais lorsqu'il est fini, elle n'est déjà plus valide, elle ne permet déjà plus de vivree. Je dois, alors, à nouveau, repartir en quête d'une langue nouvelle. Je n'écris pas en pensant au livre que je suis en train de faire. Mais à un moment, j'écris un texte, et il s'avère qu'il sera le dernier du recueil, sans que je sache pourquoi. Après lui, la langue que j'ai trouvée ne parle plus".

Vous pouvez retrouver la suite de cette longue et intéressante interview dans la revue "Le Carnet et les Instants" que vous pouvez recevoir gratuitement sur simple demande auprès du Service de Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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